Top 14 - "Le rugby français est fort économiquement, il n’a pas besoin d'un mercato" juge Arnaud Pouille, ancien directeur administratif et financier du Stade Français, actuel directeur général de Lens, au foot

Par Loïc Bessière
  • Arnaud Pouille, du Stade français au RC Lens.
    Arnaud Pouille, du Stade français au RC Lens. - Icon Sport
Publié le Mis à jour
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À 21h, le club de foot de Lens dispute son seizième de finale de Coupe d'Europe contre Fribourg. Directeur général du club artésien depuis 2017, Arnaud Pouille a participé à la remontée du RCL dans l'élite, puis à son retour sur la scène européenne. Il s'appuie toujours sur quelques préceptes appris aux côtés de Max Guazzini, quand il était directeur financier et administratif du Stade français (1999-2006). L'ancien secrétaire général de la LNR (2010-2016) a pris une heure pour revenir sur son expérience dans le monde du rugby, ainsi que les différences et les différences entre les ballons ronds et ovales.

Avez-vous prévu de faire un calendrier des Dieux du Stade à Lens ?

Non, on va laisser ça au Stade français (rires). Mais il faut que j’invite Max Guazzini, je lui ai dit de venir quand il voulait mais je me rends compte qu’il faut que je lui donne une date précise pour qu'il vienne, surtout qu’on m’a dit qu’il avait partagé des vidéos des Corons sur les réseaux sociaux. Il faut qu’il voie ça en vrai !

Quel a été votre premier ressenti à votre arrivée dans le rugby, vous qui avez grandi dans le football ?

Le rugby est un milieu fermé, avec ses codes. Ce qui m’avait surpris en arrivant au Stade français, c'était la simplicité mais aussi l’humilité, les valeurs familiales, la bande de copains. Ce n’était pas l’image que j’avais du rugby de haut niveau. Mon premier souvenir, c’est la facilité d’accès des joueurs. Je suis arrivé en 1999. C’était le passage au professionnalisme, donc le rugby était un joyeux bazar (rires). J’avais 25 ans, je sortais d’une première expérience dans une grosse boîte américaine, quelque chose de normé. Et là, j’ai plongé dans un grand bain bouillonnant ! En plus, avec Max, il fallait des résultats tout de suite, sachant qu’il avait aussi une créativité débordante. Chaque semaine il venait me voir avec une nouvelle idée ! Quand je suis arrivé, Max voulait arrêter le championnat quand même, à cause de la Coupe du monde qui était en même temps...

Qu'avez-vous gardé, justement, de ces années à travailler avec Max Guazzini ?

J’étais quelqu’un de pragmatique. J’ai appris de lui dans la communication et le marketing, comme la manière de rédiger des communiqués de presse, car il savait très bien communiquer. Ce qui m’avait impressionné chez lui, c’était sa manière de choisir les joueurs sur des aspects humains, du caractère, de la manière dont ils allaient s’intégrer dans le collectif. Il choisissait des gens qui n’avaient pas des parcours linéaires comme les Auradou ou les Laussucq mais qui avaient une force entre eux. Il savait cibler le bon joueur mais surtout l’homme.

C'est donc pour cela que Lens communique énormément sur les réseaux sociaux, avec des contenus travaillés et originaux ?

Oui, à Lens, il y a un affectif populaire beaucoup plus fort qu’au Stade français. Le stade est toujours plein, les supporters se déplacent à l’extérieur… Mais, quand je suis arrivé, il y avait un gros chantier sur la manière de communiquer sur le territoire tout en gardant notre ADN, car beaucoup de clubs s’écartent de ça en voulant faire trop de communication. Par exemple, nous faisons signer nos recrues au milieu des supporters, dans des endroits emblématiques. Les supporters sont heureux et les joueurs voient où ils débarquent.

Maintenant, je dirige, et c’est plus facile que de devoir cadrer mon supérieur Max Guazzini qui avait des idées folles (rires). Son credo c’était : "À Paris, il faut être différent pour attirer les gens car il y a trop d’offres sportives et culturelles." À Lens, on ne veut pas casser les codes comme au Stade français avec les éclairs. On veut, à l’inverse, promouvoir un football authentique et populaire. Même si le Stade français reste le club le plus populaire de Paris avec un esprit étudiant et festif, comparé au Racing plus bourgeois. Le credo de Lens, c’est pousser le collectif à l’extrême. Même si en dehors de la com, à Paris, le collectif restait aussi très important. On voyageait tous ensemble, on s’habillait tous pareil, il n’y avait pas de passe-droits pour les stars.

Pour soigner leur communication, les Lensois font signer leurs recrues au milieu des supporters !
Pour soigner leur communication, les Lensois font signer leurs recrues au milieu des supporters !

Est-ce plus difficile de construire un effectif au rugby ou au foot ?

Ce qui était une belle galère, au rugby, c’était de gérer les doublons… Certes, là, vous m’appelez au seul moment où il y en a dans le foot, c’est-à-dire, tous les deux ans avec la Coupe d’Afrique des Nations (l’entretien a été réalisé en janvier). C’était une belle galère car il y avait des stars mais aussi beaucoup de joueurs qui explosaient en cours de saison et devenaient internationaux sans que nous ne l’ayons trop anticipé. En 2001-2002, on avait une équipe incroyable mais on avait je ne sais même pas combien d’internationaux. Et les mecs revenaient éreintés du Tournoi ! Sans cette contrainte, c’est plus facile au football, sans compter le salary cap et les Jiff qui n’existent qu’au rugby. Au foot, vous pouvez très vite intégrer des jeunes chez les pros, dès 17, 18 ans, même si je vois que ça change au rugby, où le groupe est beaucoup plus fermé. Dans le foot, des jeunes peuvent monter plus facilement chez les pros en cours de saison. Mais il y a des choses qui se ressemblent.

Lesquelles ?

Souvent, vous avez un axe fort de leadership et vous l'agrégez au fil du temps. À Paris, c’était plus simple de faire jouer des Argentins. Quand ça se passe bien avec un joueur, il va conseiller à ses compatriotes de venir ! Le premier à être venu, c’est Ignacio Corletto en 2002, puis Agustin Pichot et Juan Martin Hernandez sont arrivés en 2003 et Rodrigo Roncero en 2004. Dans le foot, c’est pareil. L’été dernier, l’international français Ruben Aguilar a appelé Florian Sotoca avec qui il avait déjà joué et on lui a parlé en bien du club, donc il a signé chez nous !

Pensez-vous que les transferts vont se démocratiser dans le rugby ?

On avait commencé à payer des joueurs, comme Fabien Galthié à Colomiers ou Dimitri Szarzewski à Béziers car c’étaient des éléments qu’il nous manquait dans l’effectif et ils étaient sous contrat… Mais au foot, avec les agents, les discussions durent toute l’année ! Sur 26 joueurs, faire moins de sept départs sur une saison, c’est impossible. Quelqu’un qui veut plus de temps de jeu va tout de suite chercher à partir, au rugby, du moins à l’époque, la notion de contrat était plus forte, on allait au bout.

Voyez-vous des fenêtres de mercato arriver dans l'ovalie ?

Le rugby français est fort, donc il n'a pas besoin de diversifier ses revenus avec un mercato. Alors que, dans le football français, pour avoir des balances positives, il faut vendre des joueurs ! Les droits audiovisuels en Ligue 1 sont plus faibles que dans les championnats espagnols ou anglais. Il y a aussi des pays émergents, comme l'Arabie saoudite, où est parti notre capitaine de la saison dernière, Séko Fofana. Le rugby est aussi un monde restreint. Nous, un joueur, il peut y avoir potentiellement 80 clubs dessus, en caricaturant. Au rugby, si le RCT fait une crasse à l’ASM, ils vont, un jour, se retrouver dans la position inverse. Le nombre restreint de clubs oblige un certain code de bonne conduite.

malgré les apprences, les tribunes du stade Bollaert était clairsemé lors de Racing-UBB
malgré les apprences, les tribunes du stade Bollaert était clairsemé lors de Racing-UBB

Lens a déjà accueilli le Racing 92 à Bollaert, les anciens du Stade français vous ont-ils chambré ?

Oui, évidemment ! Joseph Oughourlian, le propriétaire de Lens, entretient de très bonnes relations avec Jacky Lorenzetti, qui est parfois à la recherche d’un stade… Mon plus beau souvenir à la LNR, c’était la finale à Barcelone, même si j’aurais préféré un autre vainqueur, bien que le Racing 92 mérite son succès. Il y a beaucoup de joueurs qui ont joué dans les deux clubs, donc ça se chambre mais cela reste bon enfant. Le rugby reste sympa à accueillir car il y a moins de problématiques sécuritaires. Et le Stade français est le bienvenu chez nous !

Justement, jugez-vous que le rugby doit s'ouvrir à d'autres régions où il est moins implanté, comme les Hauts-de-France, s'il veut de développer ?

Je suis content que des Vannes ou Nevers émergent. À l’époque, Paris, nous étions les seuls au-dessus de la Loire, donc nous nous faisions chambrer. Un de mes gamins voulait faire du rugby quand nous sommes arrivés dans le Nord. Mais il n’y avait pas de club à moins d’une demi-heure de route ! Le rugby à intérêt de forcer son destin pour développer le nombre de licenciés, pour que les jeunes aient des joueurs à proximité pour s'identifier à eux, que ça se développe dans le scolaire… Après la Coupe du monde, il y a eu un soufflé qui est retombé. C’est bien que le France-Italie soit à Lille, pour que la flamme perdure après le Mondial, où le France-Uruguay avait attiré du monde et où les gens s’étaient passionnés pour le XV de France dans le Nord !

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Les commentaires (1)
CasimirLeYeti Il y a 2 mois Le 15/02/2024 à 12:00

Article sympa et instructif.