Scotland Hard

Par Rugbyrama
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A Glasgow, la Coupe d'Europe n'interesse personne. Dans un anonymat diamétralement opposé à son statut, Toulouse a pourtant dû combattre. Dans un pays où le football est religion, le Stade toulousain est venu prêcher pour ses propres ambitions. Carnet de

Firhill, quartier Maryhill, un coin excentré de Glasgow. Ici c'est résidentiel, tendance populaire. Pas glauque mais un peu tristounet. Firhill donc. Un stade old-school, l'antre des Glasgow Warriors prêts à recevoir le Stade toulousain. Mais l'exacte vérité est un peu moins rock'n'roll : un stade dont ils n'ont que la garde partagée. Parce qu'à Firhill, il faut cohabiter avec les footballeurs de Partick Thistle F.C. Un club de deuxième division qui exhibe toutefois une ancienneté incontestable : il fut fondé en 1876 quand les Warriors, club artificiel existent seulement depuis 1997.

Dans ce stade composé de trois tribunes et d'une colline, les Warriors ont pris leurs quartiers depuis 2007. Le début d'une reconnaissance ? Douce utopie : le football reste oppressant. "Le plus grand club de la ville vous appartient" : le slogan du club n'est pas mensonger. Mais pour être sincère, il n'a que peu de poids. Parce que "Le seul club de la ville vous appartient" collerait mieux à la réalité.

Glasgow, l'industrielle, construite sur les bords de la Clyde aux berges parfois crasseuses, parfois réhabilitées. Une ville à l'américaine où tout est carré, loin du romantisme dégagé par Edimbourg. A Edimbourg, l'enceinte mythique de Murrayfield et le Tournoi des 6 Nations. A Glasgow, le football et un derby légendaire : Rangers contre Celtic, parmi ce qui se fait de mieux en Europe.

Dans l'ombre de ces deux géants, le rugby et par extension les Warriors souffrent de la comparaison.

1500 abonnés quand Toulouse dépasse les 10 000, aucune subvention. Un seul coup d'oeil à travers le hublot de l'avion avait prévenu : terrains de football à l'infini... A l'aéroport, la confirmation tombe : de rugby nulle part, mais une boutique des Celtic bien en vue signe d'une stratégie de marketing total.

Guazzini, messie de Glasgow ?

Dans le centre-ville, les restaurants proposent déjà leurs menus de Noël. Les bookmakers tapissent leurs vitrines de paris à prendre sur la Ligue des Champions de football. La crise financière n'a pas tout atteint mais la fête n'est pas totale : la H Cup se contente d'une douce ignorance. "Les Warriors? Ca pourrait être une équipe de soccer ou de football américain," grommelle un vieil Ecossais. D'évidence le quidam est un peu paumé. Un autre citoyen se torture : "Un événement sportif européen aujourd'hui à Glasgow ? Je n'en sais rien. La Premierleague (championnat de football anglais N.D.L.R) diffusée dans les bars ?"

Diantre, expatriez Max Guazzini à Glasgow. Il faut dire que les Warriors, eux même ne se facilitent pas la tâche. Recevoir Toulouse ? "C'est jouer contre le Real Madrid," clament les joueurs dans Metro, quotidien gratuit. Le football en fil rouge, thème de toutes les comparaisons.

Le triple champion d'Europe a donc débarqué là, dans cette indifférence. Un an plus tôt, le Stade toulousain était à Edimbourg pour lancer son opération reconquête après une élimination piteuse en 2007, adieux dès la première phase. C'était à Murrayfield, face à Edimbourg, équipe écossaise de référence. Tout de même un autre contexte qu'à Glasgow où le rugby est un peu moisi. Moins festif mais plus piégeux peut être. Glasgow l'éternel loser, jamais invité au stade des quarts de finale de la H Cup pouvait inquiéter ? Remember Biarritz, assommé l'an dernier (9-6), Bourgoin, vaincu deux fois (2003, 2006), Clermont contraint au match nul (2001)...

Une pluie d'hiver, un ciel gris du matin au soir. Vous êtes en manteau, les supporters sont en tee-shirt : bienvenue en Ecosse

La délégation toulousaine s'était envolée jeudi matin. Sans Byron Kelleher, le manager général Guy Novès et le président René Bouscatel. Avant le deuxième round de la H Cup, le trio avait un autre combat à mener : défendre le All Black devant la commission de discipline de l'ERC où il était accusé de stamping sur Butch James, ouvreur de Bath. Victoire par K.O. devant les instances. Kelleher blanchi. Mais après s'être levés à 5h30, ils ne sont arrivés en Ecosse qu'à 23h30. "Kelleher a les traits tirés," selon un témoin. Bouscatel euphémise : "Ce n'est pas l'idéal mais c'est ainsi. On a évité le piège là aussi."

Alors que B.K. était auditionné à Dublin, la mise en place était menée à Glasgow par Philippe Rouge-Thomas et Yannick Bru avec l'appui de Jean-Michel Rancoule. La vie continue, classiquement.

"Come on Glasgow !"

A Glasgow, Toulouse était tranquille. La mise en place ? Sans témoin alors que Leicester la saison dernière avait joué les espions. Et puis à l'hôtel Hilton où Toulouse avait déjà séjourné en 2004 pour une victoire probante, le Stade a aussi trouvé de la quiétude. Mine de rien, c'est un événement: d'habitude la mise au vert coïncide avec un mariage alcoolisé et bruyant. Cette malédiction, l'ouvreur David Skrela ne la connaissait pas. Pour lui, il s'agissait du premier déplacement européen avec Toulouse. Un voyage reste un voyage : lecture, muisque et parties de PSP à l'infini. L'avion privé, il y était habitué avec le Stade français mais pour le reste, il a découvert une autre préparation. "Avec Paris, il y avait un entraînement le matin. A Toulouse, c'est un autre fonctionnement : petite promenade le matin puis réveil musculaire l'après-midi." Il sourit : "Comme toujours, le plus dur reste d'occuper la journée."

Celle-ci fut exceptionnellement longue : coup d'envoi programmé à 20 heures. Journée trop longue ? Arrivé à 19h, le Stade toulousain a semblé en décalage : amorphe en première mi-temps.

Fabien Pelous tentait l'analyse : "Après Bath, nous n'avions que cinq jours pour préparer le déplacement à Glasgow. C'était un peu juste. Le voyage aussi fut long : nous avons eu du retard au décollage à Toulouse. Je ne cherche pas des excuses mais cela explique peut-être notre retard à l'allumage."

Au vrai, il fallait avoir envie de s'arracher sous la pluie fine. Ce n'est pas un mystère : à Firhill, il n'y avait pas l'atmosphère des grands soirs européens. Le contexte ? Une pelouse peinte en vert pour masquer les surfaces de réparation, points de penalty et corners. Mesurée la vieille lors de la mise en place, elle fait dix mètres de moins qu'Ernest-Wallon. Une seule tribune utilisée ; sept pompom girls - dont cinq blondes - pour faire le show ; "Come on Glasgow" en fond sonore redondant et trente supporters toulousains pour contrebalançer. Il faut l'aimer ce club pour venir jusqu'ici. Même les joueurs l'ont réalisé venant les applaudir après la victoire.

Au final, Toulouse - avec Kelleher et Dusautoir mais privé de Fritz au dernier moment - a assuré le minimum. Dites leur qu'ils ont évité le piège, ils seront à deux doigts de se moquer. Fabien Pelous : "Mais il n'y avait pas de piège. On savait que les Warriors allaient défendre chèrement leur peau".

Sa phrase s'achève et l'alarme anti-incendie se déclenche dans les vestiaires.... Le reste - le retour à 4h du matin, la séance de récupération à Caliceo samedi, la cinquantième cape de Poitrenaud en H Cup - s'apparente à des instantanées d'une épopée européenne. Venir, vaincre et s'en aller : le credo reste le même. Anonymat ou pas. Firhill peut éteindre les lumières pour retrouver sa sombre réalité. Le rêve est passé.

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