Champions Cup - À Toulon, l’affiche face au Munster ravive la mémoire collective

Par Mathias Merlo
  • Pierre Mignoni et le RCT avait battu le Munster en 2011.
    Pierre Mignoni et le RCT avait battu le Munster en 2011. Patrice Aim / Icon Sport
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Nain à l’échelle européenne, le RCT avait, en ce 16 janvier 2011, terrassé le Munster de Ronan O’Gara (32-16), dans un Mayol bouillant et incandescent de joie. Une après-midi somme toute normale qui s’est inscrite dans la légende du club varois.

C’était il y a treize ans. C’était hier pour les supporters, anciens joueurs ou membres du staff ayant vécu ce moment. Personne n’a oublié ce premier frisson continental. Il est chevillé au corps par les poils dressés. Il est dans la tête de chacun et se diffuse, comme une madeleine de Proust, de génération en génération.

C’était un samedi de janvier, ensoleillé à souhait comme la Rade en connaît tant. Toulon, qui n’avait pas su prendre le pli du professionnalisme, était en train d’être dépoussiéré par Mourad Boudjellal. À coups de grandes stars et de saillies verbales. Dans la feu HCup, personne ne savait situer le petit poucet du Faron.

Un bizuth qui avait pourtant de la gueule avec quelques visages connus du rugby mondial (Smith, Wilkinson, Contepomi…). Rien de quoi inquiéter tout de même le grand et confiant Munster, deux couronnes européennes à son actif. Et pourtant, ce fut l’acte fondateur du "renouveau de Toulon" dixit Pierre Mignoni, demi de mêlée titulaire du côté méditerranéen.

Tandis que la Red Army envahissait la Rade, Van Niekerk fomentait son piège

À l’époque, l’entité au muguet découvrait la coupe d’Europe sans ambition, mais avec la curiosité de s’étalonner face aux meilleurs. Après un succès inaugural contre les Ospreys de Biggar (19-14), une claque reçue à Thomond Park (45-18), la bande à Wilko basculait dans le positif grâce à deux victoires face au London Irish (13-19 et 38-17). Ce Toulon – Munster était la finale de la poule 3. "On ne savait pas comment aborder cette nouvelle compétition, se remémore Orioli. Quelques jours avec le Munster, on sent l’excitation des gens. Elle montait à travers la ville. C’était fort... Le souvenir du Munster, c’est avant tout l’ambiance. J’en garde un souvenir extraordinaire. Ouais… C’était fort !"

Connus dans le monde entier pour leur ferveur, les Munstermen ne dérogeaient pas à leur réputation et ralliaient en masse la cité chère à Raimu. "C’est la première vraie affiche européenne à Mayol, se souvient Julien Perpère, président des Fils de Besagne. J’ai en mémoire cette fête et cette armée rouge qui arrive à Toulon. On découvre ça, on voit une armée adverse venir déferler dans nos bars, nos rues. C’était une magnifique fête, sans aucune animosité." 

Transcendés par la nouveauté, les supporters varois répondaient par une marée humaine pour porter les hommes de Saint-André à leur arrivée au stade. "Il n’y avait pas un centimètre carré inoccupé sur l’Avenue des Légendes, renchérit-il. Il y avait du monde sur les toits, au balcon. On ne pouvait plus bouger. C’est un temps où il n’y avait pas de fanzone, aucune barrière. Ce sont des hommes chargés de la sécurité qui ont poussé des gens pour créer un chemin vers le vestiaire et faire ainsi passer les joueurs."

Pour ce choc de gala, Boudjellal s'était même réconcilié avec les supporters. Le maillot bleu turquoise porté pour l’Europe est laissé au placard. L’ex-président a senti une potentielle rencontre homérique. Pour les images, pour les futures archives, il fallait jouer en Rouge et Noir. Une prémonition bien sentie. L’accueil réservé aux Irlandais, au moment d’entrer sur la pelouse, avait lui aussi été préparé avec soin. Les partenaires de Van Niekerk avaient mis du temps à sortir du vestiaire, contraignant ainsi les adversaires à pénétrer les premiers dans l’arène.

Les coéquipiers de Paul O’Connell étaient ainsi livrés à eux-mêmes, en cercle, au milieu de la pelouse pendant une minute. Une éternité. En tribunes, la furia était en place avec des sifflets et des encouragements nourris à base de "TOU-LON, TOU-LON" ou encore "Toulonnais, allez, allez". "Cet avant-match s’inscrit dans l’histoire de notre club, poursuit Perpère. On avait une équipe multiculturelle, et les joueurs deviennent tous Toulonnais quand ils font ça. Les gens revoient ou vivent Eric Champ qui refait son lancer juste avant la fin du tunnel. C’est la découverte du traquenard toulonnais pour le Munster. Les adversaires ne s’attendent pas à ça. Ça rend folle la foule. Avant ce match, les gens ne vivent que pour la phase finale du championnat ou les rêves de Brennus. La coupe d’Europe est anodine, avant de vivre ce jour-là à Mayol." Elle sera aimée éperdument 80 minutes plus tard.

Pierre Mignoni et O'Gara s'étaient affrontés en 2011 du côté de Mayol.
Pierre Mignoni et O'Gara s'étaient affrontés en 2011 du côté de Mayol. Sportsfile / Icon Sport

La "masterclass" Mignoni et la vibration Sackey

En vérité, les joueurs ont pris le pari d’emmagasiner un bol de courage en s’appuyant sur ce public. Jean-Charles Orioli brise le mythe du guerrier qui ne craint personne. "Franchement, on peut le dire maintenant… Il y avait une appréhension (rires) ! C’était la bonne peur de défier le Munster, surtout après ce qui s’était passé à Thomond Park. On avait fait un bon match, mais c’était loin d’être suffisant." Un gamin, né à quelques boulevards de la marmite, semble plus que jamais dans son élément. Son identité : Pierre Mignoni. "Il avait fait une masterclass, salue le talonneur de Provence Rugby. Il a fait chavirer le stade."

Au milieu de la première période, Toulon est dans le match et a assuré un court avantage grâce à la botte de Wilkinson (9-3). Sur un renvoi très court depuis les 22 mètres, les locaux ont hérité d’une possession en bonne position. Derrière ce groupement, avec un avantage en cours en son sein, Mignoni a fait un signe à Loamanu. Le demi de mêlée a monté un coup de pied de pression, l’ailier varois a gagné ses duels sur le All Black Doug Howlett et Peter Stringer jusqu'à ramper dans l'en-but adverse. Mayol a chaviré. "Pierrot" est resté de marbre. Il n’était qu’au début de son show.

À quatre minutes de la mi-temps, Stringer, acculé devant son en-but, a dégagé son camp. À 30 mètres de l’en-but, à la sortie du couloir des cinq mètres, le "Migno" du Port-Marchand a sorti ses cartes de visite à Leamy et à trois autres Irlandais venus à sa rencontre. Avant sa chute, le ballon a volé dans les mains Bruno, et malgré une passe à rebonds de Van Niekerk, Sackey a terminé le coup en coin. Boudjellal a serré le poing droit et les 14 700 spectateurs ont perdu la raison. Mené 26 à 9 à la pause, le Munster ne s’en est jamais relevé.

Le Munster a éliminé Toulon en 2018.
Le Munster a éliminé Toulon en 2018. Sportsfile / Icon Sport

"Il y a eu un avant et un après Munster 2011"

Questionné concernant cette réalisation de l’Anglais, l’ex-coach du LOU a fait une petite confidence. "Je l’ai revu sur les réseaux sociaux, il n’y a pas longtemps (sourire). C’était un bon moment, car c’était une grande équipe du Munster et ça l’est toujours. Ça avait été un grand match. Ils avaient été champions d’Europe juste avant nous et ça avait été un match très engagé avec beaucoup de rythme… Mayol aime ça ! La génération d’avant avait énormément gagné et c’était le bon moment pour Toulon. On avait compris sur la saison d’avant que le club était en train de changer de dimension. On était arrivé sur une nouvelle génération avec Wilkinson, Contepomi et tous les autres." Le premier étage de la fusée vers le chemin du triplé européen (2013, 2014, 2015) a été tiré.

Malgré les exploits futurs, tout le monde conserve aujourd’hui une sensibilité différente sur cette après-midi de janvier. Mignoni a encore les yeux qui brillent, Perpère et Orioli ont quant à eux la voix qui s’emballe. "A l’époque, reprend le manager du RCT, j’avais conscience que c’était un grand match, car il y avait énormément d’attente. Il y a eu un creux avec la remontée, la Pro D2, le maintien… Tout est monté crescendo. Les supporters étaient comme des fous car tu renouais sur le très haut niveau. Aujourd’hui, ils ont été très gâtés entre 2010 et 2015. On se rend peut-être un peu moins compte."

À Mayol depuis son plus jeune âge, le président des Fils de Besagne tente, avec sa gouaille et sa faconde, d’expliquer ce sentiment qui traverse le temps. "Ce match vient combler un manque. Des générations de Toulonnais ont vécu les exploits à travers les histoires des années 80 et du début des années 90 racontées par des membres de leur famille. Pour ceux qui n’ont pas vécu tout ça, c’est le premier match marquant. Pour une grande partie des gens, il y a eu un avant et un après Munster 2011. Tout ce qui s’est passé par la suite, c’est parce qu’il y a eu ce match." Un exploit éternel.

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Les commentaires (1)
Fa_b-maul Il y a 3 mois Le 13/01/2024 à 00:12

"Les gens revoient ou vivent Eric Champ qui refait son lancer juste avant la fin du tunnel" ... non, RR, ce n'est pas le "lancer" d'Eric Champ, mais son LACET, le 28 avril 1991, lors d'une confrontation mémorable à la venue de Bègles à Mayol ... bon, c'était hier, on pardonne ...