La grande mutation du plaquage, toujours plus haut et plus violent

  • Duel entre Keith Earls et Josh Strauss
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  • Kearney vs Brown
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  • Trinh-Duc vs Roberts
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TECHNIQUE - Les plaquages sont comptés, examinés, rationalisés. Les chiffres sont analysés, comparés, décortiqués. Mais le geste, lui, n’est-il pas toujours le même? Analyse du passage du plaquage "aux jambes" de l’éducateur de l’école de rugby aux calculs savants des entraîneurs de la défense.

Le vocabulaire du rugby est étrangement riche de synonymes pour un geste pourtant basique. "Cartouche", "caramel", "poinçon", "arrêt-buffet", "bouchon"… Le plaquage fascine et se décline en dizaine de nuances, en centaine d’explications et selon une échelle de gravité. Mais à l’image de tout le reste dans le rugby, le plaquage en lui-même a changé. L’objectif est identique: ne pas laisser l’adversaire vous franchir. Mais le geste, lui, a muté. Et si cet article n’est pas fait pour pointer du doigt le méchant rugby moderne ou remettre en question les qualités des joueurs, la mutation du plaquage pose question.

Plaquage haut, la peur du offload

Il y a quelques semaines, nous avions tenté de démontrer que la passe après contact était l’une des armes majeures du rugby professionnel. Un geste qui débloque parfois des attaques et surprend les défenses. Pour limiter ce risque, les défenses, les défenseurs et les entraîneurs qui ont en ont la charge ont trouvé une parade: plaquer le plus haut possible. Le plus souvent à l’extrême limite de la règle. Pour passer les bras et faire vivre l’action, l’attaquant doit gagner son duel sur le haut du corps afin de libérer ses bras. Une tâche bien trop aisée lorsque le défenseur se baisse.

Le plaqueur va donc viser les épaules ou le haut des bras. Cette technique défensive directement tirée du rugby à XIII n’est pas une nouveauté fondamentale. La vraie révolution? Là où l’attitude défensive résultait d’un choix basique et schématique ("il est plus gros et/ou plus rapide que moi, je le prends aux jambes" ou "il moins gros et/ou moins rapide que moi, je vise le haut du corps"), elle est désormais systématique.

Kearney vs Brown
Kearney vs Brown

Illustration avec la technique défensive du pays de Galles ou de l’Irlande. Les plaquages sur le haut du corps sont quasi-obligatoires, afin de réduire à zéro les chances de faire vivre le ballon après contact. Mais aussi afin de ralentir les libérations de balle et la vitesse d’éjection. Face à eux, l’attaquant doit souvent gagner trois duels: le duel au contact, sur le haut du corps, le duel immédiatement après le choc, avec le défenseur qui peut s'attaquer au ballon, et enfin le duel dans le ruck, en cas de contest. Epuisant.

La choke défense, l’exemple parfait

Autre exemple qui souligne la mutation formelle du plaquage. L’objectif n’est plus toujours de faire tomber l’adversaire. Parfois, il faut le faire tenir debout! Exemple avec la fameuse choke défense, popularisée par le Munster puis l’équipe d’Irlande et qui a conduit à certaines dérives interdisant aujourd’hui la création de mauls de manière spontanée.

La méthode est connue: le premier plaqueur prend le joueur non pas aux jambes mais au ballon. Quand l'attaquant vient percuter, l’inertie doit jouer en sa faveur. Si sa vitesse est annulée au moment du plaquage, le plaqueur passe une jambe de chaque coté des hanches de l’adversaire. Ce dernier est coincé, incapable de se dégager. L’arbitre va rendre le ballon à l’équipe qui défend. Une solution pour provoquer des pertes de balles et qui peut véritablement éteindre une attaque (Cf le match entre l’Australie et l’Irlande en 2011).

La raison psychologique: l’obsession du duel

Au delà de ces considérations techniques, un aspect non négligeable du geste est d’ordre psychologique. Déjà parce que se jeter dans les jambes ou dans le torse d’un homme lancé à pleine vitesse est contre-instinctif. Il n’existe aucune forme de rationalité dans le fait de percuter un autre humain. Ensuite, parce que le plaquage est l’essence même du rugby: un duel, seul face à un adversaire et qu’il faut stopper. Le gagner est alors un moyen comme un autre de marquer son vis-à-vis.

L’obsession du duel va un peu plus loin et dépasse le simple fait de remporter le combat physique face à l’adversaire. Gagner son duel de manière impressionnante rassure ses coéquipiers, impressionne un peu l'adversaire et focalise parfois sur vous la douce lumière des médias et les honneurs des vidéos multimédias. C'est humain mais un plaquage impressionnant fera toujours plus parler qu'un pourcentage irréprochable.

Trinh-Duc vs Roberts
Trinh-Duc vs Roberts

Une lubie intimement liée à l'individualisation de la performance qui participe à une prétendue dénaturation de rugby. L’évitement aurait été progressivement gommé au profit du tout physique. Une mode où le plaquage s’en ressent naturellement. Prendre aux jambes est-il un aveu de faiblesse? Presque. Le plaquage basique est en tout cas délaissé, y compris par les joueurs aux gabarits les plus modestes, qui sont eux aussi tenté de prendre le plus haut possible. Peut-être par intérêt. Certainement par mimétisme. Parfois par manque de lucidité.

La recrudescence des commotions en question ?

Cette mutation visible soulève des questions. Le plaquage, toujours plus haut et plus violent, participe-t-il a la recrudescence des commotions cérébrales? Très certainement. A l’image des chocs impressionnants entre Roberts et Cowan ou encore de Burban et Warburton durant le 6 Nations. Le fait de viser le haut du corps multiplie les risques d’accidents.

Cela interdira-t-il le rugby de haut niveau aux gabarits les plus modestes? Probablement aussi. Cette mutation de la technique de plaquage et de la psychologie des défenseurs aurait peut-être été un frein à quelques illustres joueurs d’hier et conduira peut-être le rugby de demain a ressembler à s’y méprendre à son cousin du XIII. A moins que le législateur ovale n'intervienne dans l'intérêt des joueurs. Et peut-être du jeu.

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