Rugby sur le mode mineur

Par Rugbyrama
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Notre chroniqueur Rodolphe Rolland revient sur l'évolution, beaucoup trop rapide selon lui, du rugby depuis le début de l'ère professionnelle. Il estime que les dérives et les conséquences négatives sont déjà bien trop nombreuses et qu'il faut s'en inquié

On vient d"enterrer Didier, 41 ans, fauché par une automobile. Il laisse derrière lui une femme, trois enfants, des parents, des amis... Toute une vie. Un stupide accident de la route. Didier ne jouait pas au rugby, non, lui sa passion c"était plutôt le football et plus particulièrement le club de Carros où il était dirigeant. Cette tragédie absurde en évoque d"autres, des noms, une foule de visages se pressent, certains anonymes, d"autres moins (Guy Boniface, Pierre Lacans...), viennent grossir les rangs des disparitions idiotes. Ici la malchance, là une troisième mi-temps trop arrosée et, comme le rappelait Pierre Desproges, "tout d'un coup, ça s'arrête, sans plus de raison que ça n'avait commencé".

Le temps passe, le monde se transforme invariablement autour de nous. Le rugby suit aussi cette mutation, il évolue, il change. Vingt petites années et le voilà transfiguré, tant est si bien que les derniers rescapés du jeu d'antan semblent des dinosaures dans leur métier d'aujourd'hui. Je songe à ceux qui ont traversé cette révolution, les Betsen, Ibanez, et Pelous, ceux-là même qui vont tirer leur révérence en fin de saison, qui vont à leur tour connaître "la petite mort" de l'après rugby, rentrer dans leur vie d'homme aurait dit Antoine Béguère. Après eux, il en sera fini à tout jamais de ces joueurs "amateurs" passés aux lampions du professionnalisme à l'unisson de leur sport. La génération suivante, elle, sera rentrée de plain-pied dans cette pataugeoire faite d'entraînements quotidiens, de calendriers surchargés, d'agent et d'argent de joueurs, de contrats publicitaires pour certains et de désillusions pour beaucoup d'autres. Antoine Blondin vantant la noblesse du rugby en son temps faisait un distinguo radical entre l'amateur et le professionnel : "Le professionnel est un homme qui fait du sport pour gagner de l'argent (celui-ci sanctionne la victoire) alors que l'amateur est un homme à qui l'on donne de l'argent pour faire du sport".

Or si l'on rêvait auparavant de pratiquer le rugby au meilleur niveau, les rêves du joueur en herbe sont plus prosaïques de nos jours : être rugbyman professionnel. Pas le moins du monde passéiste, je ne remets pas en cause la professionnalisation du rugby, il faut bien vivre avec son temps ; ce qui m'inquiète c'est la vitesse avec laquelle tout s'est mis à changer en si peu de temps, et ce sans que l'on puisse réguler véritablement, ou bien tenter de réguler, ces bouleversements. Des salaires qui grimpent de quinze pourcent par an, la course irrationnelle aux stars fondement de cette inflation, les "petits" clubs qui tentent désespérément de suivre les plus riches au risque de plonger, de jeunes joueurs dont l'unique sujet de conversation sont les contrats signés, sont les signes évidents d'un mal profond que l'on feint depuis trop longtemps d'ignorer, les symptômes d'une fièvre qui accompagnent une croissance trop brutale. On courre à la catastrophe.

Cette évolution trop rapide, ce sprint artificiel vers une autre forme de sport, aura comme fâcheuse conséquence de laisser sur le carreau un nombre considérable de joueurs, dont la seule alternative au chômage sera de jouer à un niveau inférieur et donc changer de métier. Sans parler des clubs menacés dans les régions les moins favorisées économiquement parlant. Alors, lorsqu'on brandit la menace de récession au sein du rugby professionnel, lorsqu'on trompette sur tous les tons la promesse d'une crise sans précédent secouant les secteurs financiers et freinant les investisseurs, il me semble qu'il se peut que le fléau annoncé soit simultanément l'initiateur providentiel de mesures prophylactiques indispensables à l'avenir de tout le rugby français. Il arrive parfois que certains poisons pris à dose infinitésimale deviennent de puissants remèdes ! Dans cette optique, la crise annoncée donnerait l'occasion aux présidents de club, au nouveau président de la Ligue national de rugby et à celui de la FFR d'assurer un développement contrôlé plus juste et au service cette fois-ci des intérêts généraux du rugby français et des joueurs. Penser à l'avenir en évitant les écueils. Il suffirait d'un effort conjoint de toutes les parties.

Je reste pourtant pessimiste quant à l'issue du processus amorcé il y a treize ans. Serait-ce le temps exécrable qui s'est installé sur la région niçoise ? Ou la saison qui incite à la mélancolie ? Ou encore la promesse d'un affrontement interclubs pour la signature de Luke McAlister, Saint-André, Chabal, George Smith et les autres.

Ou peut-être Didier qui s'est tué le week-end dernier ?

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