La chronique de Villepreux

Par Rugbyrama
Publié le
Partager :

Notre expert Pierre Villepreux revient sur la victoire du XV de France en Nouvelle-Zélande (27-22) samedi dernier. Il explique que les Bleus doivent s'appuyer sur leur performance, et celle de leur défense notamment, pour la suite, et se penche également sur l'évolution du jeu.

La victoire des Français, dans ce premier test en Nouvelle-Zélande ne doit pas être, ni surestimée, ni sous-estimée.

Elle ne peut être surestimée car ce résultat n'est encore qu'un épiphénomène qui s'inscrit positivement sur le chemin qu'il reste à parcourir pour l'équipe de France jusqu'à la Coupe du Monde 2011. Cette victoire n'est pas un exploit, mais un espoir. Elle a été construite en amont, dans la tourmente des critiques, quelquefois dans la douleur de défaites cuisantes pour ne pas dire humiliantes, particulièrement l'Angleterre lors du dernier Tournoi, mais tout autant dans l'esprit de révolte qui a permis de battre les gallois.

Elle ne peut être sous-estimée car ce match s'ancre aujourd'hui dans le court terme. D'entrée de jeu, elle permet de répondre aux objectifs fixés par l'encadrement (une victoire sur trois matchs). Mais, tout en même temps, dans le long terme, elle permet de se projeter, car c'est le match le plus référentiel de l'ère Lievremont. En ce sens, elle place encadrement et joueurs vers des exigences supérieures en terme de qualité de jeu et de permanence dans la qualité de la production. Ces exigences sont la clé de voûte pour accéder dans la continuité à des résultats de plus en plus significatifs. Mieux, leurs progressives acquisitions exprimeront la marque d'une empreinte, d'une estampille, contrastant ainsi radicalement avec les effets que ne manquent de susciter des résultats obtenus ponctuellement par réactivité ici ou là.

Ce match est certes le plus accompli. Cependant, pour que la métamorphose d'un jour ne soit pas éphémère comme c'est souvent le cas avec les français, il faut que le staff et le collectif partagent encore et toujours sur les priorités indispensables, celles que l'on ne discute pas pour que la performance soit au rendez vous. Le contexte de ce match et la qualité de la production doivent permettre de modifier et de progressivement ancrer la manière de penser le jeu, donc de le jouer. On peut avec cette victoire avoir quelques certitudes et partager des ambitions réalistes pour les deux matchs successifs avec l'ambition maintenant légitime de rivaliser dès samedi prochain avec des Blacks revanchards et avec des Australiens porteurs d'un jeu résolument ambitieux depuis l'arrivée du coach néo-zéalandais Robbie Deans.

Les progrès tactiques et techniques de ce collectif sont en gestation. Ils devront se réaliser dans le temps et autoriseront, en même temps qu'une qualité de jeu croissante, un quota favorable de bons résultats.

Dans le rugby de tous les temps, la défense a toujours été une dimension prioritaire sans laquelle la performance est impossible. Dans cet exercice, il y a la forme, la capacité à s'organiser et se réorganiser face au jeu adverse, et il y a aussi le fond, l'implication et l'engagement, que l'on propose aux attaquants dans chaque mouvement et actes défensifs. Le sens même de la défense et dans la continuité de l'action collective de défense, c'est de contrainte l'adversaire, à perdre la balle (turn-over) ou à rendre la balle au pied, situations qu'il s'agira de transformer immédiatement en contre-attaque et en tout cas avant le replacement des adversaires. Les français ont construit leur victoire grâce à la qualité de leur jeu défensif. Derrière cette priorité, leurs capacités d'adaptation sur les turn-overs devenaient déterminantes et elles l'ont été. S'appuyer sur ce qui a marché devient essentiel en sachant qu'il faudra dans la continuité vouloir évoluer vers un jeu plus achevé et que cela ne se fasse pas au détriment d'une moindre implication dans le combat défensif. On ne négocie pas avec la force mentale en terme de concentration, initiative, vigilance, utile à ce niveau de compétition si l'on veut également que la performance dans les autres dimensions du jeu soit au top.

Cette condition préalable étant acceptée, le jeu du XV de France se construira logiquement et finira par s'imposer. Au sein du groupe d'abord, puisqu'il générera des relations humaines, je parle de la finesse de la complicité tactique indispensable qui se développera entre les joueurs. Dans l'environnement ensuite, puisqu'il deviendra visible, lisible, donc compris.

Cela passera par des erreurs et des incompréhensions mais elles seront porteuses de progrès. Quand Picamoles joue une pénalité rapidement et que le soutien est absent. Ce n'est pas l'initiative de son auteur qu'il faut stigmatiser, mais bien la non réactivité du collectif. Tout le monde aurait pu s'attendre à ce qu'il prenne cette initiative puisque la situation l'imposait. Mais cette lecture dans l'instant de jeu n'était sûrement pas la même pour tous. Un exemple parmi tant d'autres pour que le jeu ne soit pas celui de l'un mais devienne à la vitesse du jeu, "le jeu de tous" et vice versa. Cette disponibilité collective est un manque qui se doit d'être développé.

Les dégradations que l'on constate dans le rugby actuel ne sont pas le fait des règles mais bien de l'occultation volontaire par les entraîneurs de possibilités offensives, j'entends bien par là les situations qui ne sont pas exploitées quand le rapport de force est favorable. Le choix d'une option soit disant sécuritaire s'impose trop souvent aux joueurs. Quand ce jeu calculé est appliqué systématiquement à tous les aspects du jeu, on tue le jeu, bref on oublie ce que ce mot et son concept veulent dire.

Le rugby moderne ne peut pas s'enferrer dans une alternative stérile entre deux conceptions. Le non jeu d'une part qui réduirait la spectacle forcément au seul combat des phases d'affrontement collectives avec pour corollaire le jeu au pied dit d'occupation, et le jeu tout à la main, celui des passes qui n'ont pas de sens, un jeu qui oublierait que c'est le rapport de force -utilisateurs du ballon – défense- qui guident les décisions des joueurs, donc les formes de jeu à mettre en oeuvre.

Ceci dit, si ce match m'a bien intéressé, c'est que les deux équipes n'ont jamais refusé d'entreprendre et pas n'importe quand, n'importe où, ni n'importe comment. Les All Blacks restent dangereux dans tous les secteurs du jeu, la moindre défaillance peut devenir cruciale pour son adversaire.

Le résultat du premier test en fait un match référence. La production française dans le domaine défensif aussi. Le deuxième test s'annonce savoureux en terme de strategie, surtout d'ailleurs pour les Blacks qui vont devoir trouver des solutions pour traverser le rideau défensif des tricolores et cette fois sans laisser en route autant de ballons.

Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?