Le développement durable

En rugby, on loue toujours le collectif. Interrogez n'importe quel joueur après une partie flamboyante, il répondra forcément qu'il doit sa performance au travail de ses coéquipiers. Après le retour en fanfare de Mathieu Bastareaud en Ecosse, Marc Lièvremont s'était même agacé devant la presse après les questions d'un journaliste : "On est là pour parler du XV de France ou de Mathieu Bastareaud ?" Pourtant, le sélectionneur tricolore a dérogé à sa propre règle samedi : "Je suis heureux pour MorganParra et François Trinh-Duc. Je ne sors pas souvent des individualités du collectif mais aujourd'hui la charnière a été particulièrement performante. Le courage, l'intelligence et le culot de Morgan ont été assez exceptionnels."

Si les avants – Nallet en premier lieu – ont fourni une prestation exemplaire contre les Irlandais, c'est celle de la charnière qui a le plus impressionné. Parce que lors de la victoire en Ecosse, le manque de liaisons avants-trois quarts avait été particulièrement criant et que le demi de mêlée et l'ouvreur étaient forcés d'élever leur niveau de jeu contre les Irlandais. "Leur performance a été essentielle, explique Marc Lièvremont. Bien sûr, les avants leur ont donné des bons ballons et les trois-quarts ont su soigner la conclusion. Mais particulièrement contre cette équipe d'Irlande organisée, méthodique, avec ce paquet d'avants assez monolithique, il fallait absolument que cette courroie de transmission pèse sur le match et se l'approprie. Ils l'ont fait de manière brillante. Il va falloir maintenant parler d'exigence pour rester à ce niveau-là. Mais ça valorise l'investissement et le travail."

Travailler plus pour gagner plus

Surtout, l'un des principaux reproches faits au trio Lièvremont-Ntamack-Retière depuis son arrivée début 2008 tenait dans l'absence d'un axe 9-10 performant et solide. De là à dire que la France a trouvé sa charnière, il y a un grand pas, mais force est de constater que la persévérance du staff à l'aligner a payé comme jamais samedi. Le tout demande confirmation au pays de Galles dans quinze jours mais Morgan Parra et François Trinh-Duc ont fait leur meilleur match depuis leurs débuts sous le maillot tricolore voilà deux ans. Voilà qui augure le meilleur.

A 21 et 23 ans, les deux joueurs semblent avoir acquis une maturité qu'on ne leur avait jamais vue. Le résultat d'un gros travail mené en commun dans la semaine, sur paperboard. Les deux joueurs ont voulu comprendre ce qui n'avait pas marché à Murrayfield alors ils ont planché, de leur propre initiative. Des heures supp' bien payées samedi à Paris. "On a beaucoup communiqué avec les centres et Morgan pour savoir ce qu'on faisait: un jeu simple, précis pour mettre dans l'avancée", expliquait Trinh-Duc après la rencontre. Les dialogues ont parfois été vifs sur la pelouse mais visiblement constructifs. L'ouvreur a été impliqué sur deux des trois essais français tandis que le demi de mêlée a parfaitement joué son rôle de neuvième avant, très autoritaire malgré son jeune âge, et jamais gêné par une troisième ligne adverse réputée pénible. Il a, en outre, inscrit quinze points au pied. Ensemble, Parra et Trinh-Duc ont grandi. Et sut briller dans cet instant charnière.