Top 14 - Pour sa 50e avec Toulon, Gabin Villière ouvre son roman
Avant sa 50e apparition avec Toulon lors du déplacement à Toulouse, ce dimanche, l’international français s'est confié sur ses matchs marquants à travers six photos sur quinze proposées. De quoi raviver des souvenirs dans un parcours semé d’embûches.
Il est arrivé à l’heure du rendez-vous avec un léger doute : « Vous êtes certain que c’est bien ma 50e avec Toulon ce week-end ? » L’intéressé n’est pas du genre à s’attacher au nombre, mais la nouvelle lui a apporté le sourire.
Comme si cette barrière était encore plus appréciable après une dernière année compliquée. "J’ai envie de vous dire : "Enfin !" C’était dur d’aller chercher ces matchs, avec toutes les galères vécues… Clairement, ça fait plaisir. Ça fait cinq saisons que je suis à Toulon, j’ai envie d’aller plus loin. J’ai un attachement fort envers ce club. Mais quand on me dit ce nombre, j’ai un petit regret." Lequel ? "Si c’était possible, j’aurais voulu les atteindre plus tôt (rires). Je suis à 50 matchs, mais je pense déjà à la barrière de la centaine de matchs."
Villière s’est en tout cas prêté avec plaisir à l’exercice, en début de semaine. Il a pris une poignée de minutes pour trier les clichés. « C'est sympa à faire, car ça montre le chemin parcouru avec Toulon. » Il nous a demandé une petite entorse à la règle pour ajouter une photo de plus à la règle initiale : "Je veux être à l’équilibre : trois bons moments, et trois moments plus délicats." Objection accordée.
Jean-Bouin, Paris, 13 octobre 2019 – "J’avais la crainte de ne pas être au niveau en passant de la Fédérale 1 au Top 14"
J’arrive à Toulon avec beaucoup de périostites (douleur dans la partie inférieure des jambes, NDLR) et des inflammations avec l’enchaînement Rouen et équipe de France à 7. J’ai pris le temps de me remettre et de comprendre ce que l’on attendait de moi à Toulon. J’ai été obligé d’attendre mon tour. À l’annonce de mon entrée, j’avais un stress énorme et j’avais très peur… J’avais la crainte de ne pas être au niveau en passant de la Fédérale 1 au Top 14. J’allais voir si j’étais capable de me hisser à ce niveau. Je m’étais mis une pression énorme.
J’avais fait une erreur en tentant d’avancer à la suite d’une pénalité de Steyn qui tape le poteau. Je perds le ballon dans le ruck, et il marque derrière. On perd un peu sur ça (33-30). Ce n’est pas le meilleur souvenir, mais c’est un souvenir qui m’a marqué. J’ai beaucoup appris de ce match, notamment sur l’importance des détails au haut niveau. Il ne faut rien laisser au hasard. J’étais content de faire ma première, mais je voulais que ça se passe autrement. Ce n’est pas la première rêvée.
Orange Vélodrome, Toulouse, 23 avril 2022 – "L’atmosphère était folle"
Je ne m’attache pas aux essais que je marque (il montre la photo qui symbolise son premier essai en Top 14, NLDR), ni à l’endroit où j’aplatis. Je me souviens plus des moments heureux au niveau du collectif et par rapport à l’ambiance. Je veux ressentir la globalité. Sur cette photo, je suis à côté de mon ami Julien Hériteau. Puis, c’est un choc face à Toulouse, l’atmosphère était folle au Vélodrome. Il était plein. On avait pris une branlée à l’aller. On était à égalité, c’était un match dur vécu en infériorité numérique après le rouge de Parisse. Je finis une action collective, quasiment tous les joueurs touchent le ballon. Je me souviens du coup de pied à suivre de Paia’aua, puis je marque en longeant la ligne de touche. Tout le monde vient me sauter dessus. La victoire permet de continuer la folle dynamique, on croyait encore au top six à ce moment de la saison. Ça m’a marqué, c’est un super souvenir. Il y a tout sur cette photo : l’amitié, et un match mémorable.
Mayol, Saracens, 14 mai 2022 – "Goode me demande mon maillot"
Quand je regarde ça, il me vient le nom des Saracens. C’est un club et une équipe mythiques. On avait l’équipe d’Angleterre en face de nous, dans une demi-finale européenne. C’était une opportunité de se comparer, et de voir s’ils ont été capables de répondre au haut niveau. Mayol était en feu. C’est un match mémorable pour le club, je mets un doublé. La Challenge Cup m’a beaucoup réussi lors de ces dernières saisons. J’apprécie le fait de jouer des adversaires étrangers.
Mais au-delà du match, c’est plus une anecdote en après-match qui me reste. Alex Goode me rejoint en bas du parking de Mayol et me demande mon maillot. Du coup, on fait un échange de maillots et c’est plutôt rare. J’étais surpris. S’il n’avait pas fait la démarche, je n’aurais pas osé (rires). Je l’ai fait avec plaisir. C’est un joueur que j’ai admiré. J’ai encore son maillot à la maison et je pense avoir publié sur mon Instagram la photo de notre échange. Ce sont des souvenirs qui restent. C’était une belle soirée et un magnifique après-match.
Vélodrome, Lyon, 27 mai 2022 – "C’est le début des emmerdes"
Avec le recul, ça m’a apporté… Fin, ça m’a apporté… Ça m’a plutôt fait grandir. J’ai appris à me connaître grâce à cette blessure. Sur le coup, je ne me suis pas rendu compte. Heureusement, sinon, je ne suis pas sûr que j’aurais pu tenir. Il y a beaucoup de tristesse parce que c’était au Vélodrome. On n’a pas su payer des mecs qui partaient comme Etzebeth ou Carbonel. On est arrivés avec de la fatigue liée à nos matchs de retard causés par le Covid-19. C’était une redescente sur terre, un objectif manqué. Ça aurait été chouette de se récompenser. Personnellement, c’est une grosse blessure. Tuisova me plaque. Il a l’habitude de mettre des tubes à tout le monde, et moi, je parviens à rester debout. Il y a une torsion. Je sens direct que c’est grave, comme la blessure en Australie avec les Bleus sur la cheville gauche.
J’avais pu finir le match en sélection, mais là c’était trop dur. La cheville a gonflé, ça se craquelle. Ce n’était pas possible. C’est le début des emmerdes, même si j’avais l’espoir d’être là en septembre. Si j’avais su… (sourire). J’ai subi trois opérations avant de rejouer. Ça reste un bon moment avec le recul. Je retiens le parcours collectif même si on ne retient que le vainqueur et le fait d’avoir appris sur moi-même. Depuis cette finale, j’ai joué trois matchs en un an avec Toulon. J’ai besoin d’enchaîner les matchs et de sentir les mecs pour entreprendre encore plus. Malgré tout, la blessure m’a fait grandir. Je garde cette photo. Ça a été dur, mais ça m’a servi. J’en retiens le meilleur, et surtout le soutien donné par mes proches pendant plusieurs mois.
Jean-Bouin, Paris, 26 novembre 2022 – "Je veux vivre les émotions positives malgré la blessure"
Retour à Jean-Bouin (rires). Les mois précédents ont été compliqués. Je suis de retour après six mois. J’avais encore des douleurs, et des gênes à la cheville. Je me sentais prêt, l’excitation était au maximum. Je me souviens du plaisir de l’avant-match, d’être avec les copains. On gagne là-bas, mais je subis deux nouvelles blessures. Je me casse la main, mais je serre les dents. Je sais que le 4e métatarse est cassé. Sur ce match, l’adrénaline me porte. Je dis au docteur qu’il y a une fracture, mais que je ne veux pas sortir. Je lui dis de strapper le plus fort possible pour que je puisse continuer à jouer. L’adrénaline est tellement forte. J’avais envie de partager avec les mecs et de me lâcher sur le terrain. Je suis allé chercher au fond de moi grâce aux supporters toulonnais dans le stade.
À deux minutes de la fin, sur un gros appui, je sens que le péroné gauche lâche. Ce ne sont pas mes ligaments. Je ne suis pas bien sur le coup parce que je sais que c’est foutu, mais je pense au positif. Je veux savourer le moment, car je vois déjà le négatif revenir après ce match. Il y a la victoire, les supporters mettent le feu. Je veux vivre ses émotions malgré la blessure. Je joue pour ça, je me stimule pour ça. L’après-match était difficile, j’étais au bord des larmes malgré la victoire. J’avais la main pétée, je ne peux pas prendre de béquilles alors que je suis touché au niveau de la cheville… Je marchais avec une canne, en boitant. Le chirurgien a décidé de ne pas opérer après les derniers mois vécus. Il m’a demandé, une nouvelle fois, d’être patient (rires). Pour le coup, j’ai su prendre mon mal en patience.
Aviva Stadium, Glasgow, 19 mai 2023 – "Cette Challenge Cup récompense tous les sacrifices"
Je reviens avec une nouvelle blessure vécue en équipe de France. Je rate quasiment toute la saison avec Toulon. Cette Challenge Cup récompense tous les sacrifices et toutes les galères de l’année. C’était un bel objectif. La finale se passe bien, à Dublin. Il y avait la dernière de Kolbe, Bastareaud et Parisse. On avait perdu deux finales, et c’est un match qui m’a fait du bien personnellement et collectivement. Je quitte mes partenaires, à la pause, sur une commotion, mais je suis là, sur le terrain. Je suis revenu de si loin pour être à Dublin. En touchant la coupe, je me suis dit que ça valait la peine de s’accrocher. Ça n’a pas été rose, il y a eu des sacrifices.
Ça me récompense, et ça récompense un collectif. On a tous pris du plaisir sur un match maîtrisé. C’était une forme d’aboutissement d’être allé à bout. L’émotion était énorme, même si ça reste la Challenge Cup. Malgré ça, avec mon parcours, je peux vous dire que c’est dur de chercher un titre. C’était déjà dur en Fédérale 1 avec Rouen. On sacrifie beaucoup de choses pour vivre ces moments avec le collectif, mais aussi avec nos proches. À Dublin, mes proches et ma compagne étaient là. Avec l’année vécue, c’est un moment qu’on a apprécié et dont on se souviendra pour toujours. C’est un moment qui marque une carrière, mais aussi une vie.
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