Coupe du monde 2023 - Laurent Tillie : "La pression va être à un autre niveau qu’en Champions Cup ou en Top 14"

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    Laurent Tillie évoque sa rencontre avec le XV de France) Icon Sport - Icon Sport
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Ancien sélectionneur de l’équipe de France de volley-ball, Laurent Tillie entraîne actuellement au Japon. C’est d’ailleurs au pays du soleil levant, lors de la tournée d’été de 2022, qu’il a rencontré les joueurs et le staff du XV de France afin de partager son expérience du haut niveau. Avant la Coupe du monde 2023, il témoigne.

Par quel biais avez-vous été amené à partager votre vécu après du XV de France ?

J’avais rencontré Fabien Galthié à un séminaire de coachs organisé par les Étoiles du Sport, en 2020 ou 2021. C’est vrai qu’en parlant avec lui, j’avais pas mal accroché et j’avais été assez admiratif de ses résultats. Nous avions pris contact. Pour ma carrière d’entraîneur, je me suis retrouvé au Japon l’été dernier et j’ai vu que le XV de France était en stage à Nagoya. J’ai donc repris contact avec Fabien pour savoir si je pouvais venir voir leur match. Du tac au tac, il m’a rétorqué : "J’ai besoin de toi, il faut que tu viennes à Tokyo pour que tu nous parles de ton expérience des Jeux olympiques !" (Rires). Comme ça, de brut en blanc. À l’époque, j’avais invité l’équipe américaine de volley-ball à Osaka dans mon club, donc je me suis excusé auprès d’eux, j’ai pris le train et je suis parti à Tokyo pour partager mon expérience.

Que leur avez-vous dit ?

J’ai parlé de notre aventure des Jeux olympiques et c’est vrai que ça a été assez fort pour moi parce que nous nous retrouvons face à 45 joueurs gaillards, en plus du staff ! Donc ça devait faire 70 ou 80 personnes en cercle autour de moi et qui m’écoutaient passionnément. Juste pour partager avec eux les émotions, les passages difficiles, ce que nous avons réussi… Ce partage d’expérience était assez émouvant et fort.

Trouvez-vous ce type d’intervention particulier ?

Au volley, ça n’existe absolument pas. Il n’y a pas cette tradition de transmission du maillot par exemple. Trois ou quatre jours après, j’ai assisté au match et j’ai été invité du matin au soir. J’ai donc pu être présent au briefing, à l’avant-match, à l’après-match, à la remise des caps des nouveaux internationaux, qui était par ailleurs un moment assez émouvant. Au volley, nous n’avons pas cet échange, ce partage, cette transmission. C’est vraiment une belle histoire que le rugby entretient.

Fabien Galthié et son groupe ont accueilli Laurent Tillie au Japon
Fabien Galthié et son groupe ont accueilli Laurent Tillie au Japon Icon Sport - Icon Sport

C’est un peu un cliché qui prend son sens ?

Oui et c’est dans la lignée de la virilité de ce sport. Je pense que c’est un sport où les valeurs ne peuvent pas être cachées et qu’elles sont vraiment perpétrées et mises en avant… (Il cherche ses mots) C’est de la franchise pure, il n’y a pas de la sournoiserie. J’ai du mal à m’exprimer parce que c’est vraiment fort. C’est pur, voilà.

Êtes-vous admiratif de ce sport et donc de ces valeurs-là ?

Un petit peu, oui. J’y ai joué très peu à l’école, mais j’ai eu la chance de côtoyer Daniel Herrero, à Nice. Il était beaucoup dans les valeurs, donc j’ai sûrement été un peu sensibilisé par lui. Mais dans le sport en lui-même, nous sommes obligés d’adhérer aux vraies valeurs. Le soutien, la camaraderie, l’effort, nous ne pouvons pas les trahir. D’ailleurs, dans l’équipe de France de volley, j’avais réussi à installer notre haka. Les joueurs, avant de rentrer sur le terrain, faisaient leur propre chant. C’était un petit clin d’œil à cette culture rugby.

Que dégageait ce groupe du XV de France ?

Je trouvais qu’ils étaient très humbles parce que pour écouter quelqu’un qui arrive d’un autre sport comme le volley, il faut de l’humilité. Mais aussi, je les ai trouvés très concentrés sur leur mission immédiate, mais aussi pour la prochaine, celle de la Coupe du monde. Ils étaient très impliqués.

Vous leur avez montré votre médaille olympique, c’était important d’apporter une preuve visuelle ?

C’est incroyable comme c’est important à montrer une médaille d’or. Même moi parfois je dois la regarder pour y croire (rires). Pour un sportif, c’est un aboutissement total. Ça n’arrive toujours qu’aux autres et jamais à soi-même. La médaille est la preuve. Elle a tout son sens parce que nous sommes en plein dans les valeurs, pas dans les primes, l’agent ou les contrats. Nous sommes dans la valeur sainte de la médaille d’or et je crois que le fait de la montrer fait partager son bonheur et ses espoirs.

Laurent Tillie pose avec son fils Kévin avec sa médaille d'Or olympique
Laurent Tillie pose avec son fils Kévin avec sa médaille d'Or olympique Icon Sport - Icon Sport

Votre parcours vous a amené au Japon pour entraîner. Les rugbymen français peinent énormément à s’exporter depuis de nombreuses années. Vous leur conseillez de tenter cette expérience de l’étranger ?

Je ne peux pas leur dire le contraire car j’ai moi-même été un des premiers sportifs à jouer à l’étranger. J’ai joué en Italie en 1986. Je pense que ça fait partie de l’expérience individuelle, de la culture sportive. Ça permet de se mettre en danger dans un autre championnat, dans un autre monde professionnel et, en même temps, de s’ouvrir les portes d’une autre culture, d’une autre façon de s’entraîner et de percevoir le sport. Je trouve que c’est très enrichissant comme moyen de développement individuel.

Quelles seraient alors les causes de cette timidité de l’étranger dans le rugby français ?

Je pense qu’en fait ils sont « victimes » de la qualité du championnat français et des moyens financiers du Top 14. Je crois que c’est un des plus rémunérateurs au monde quand même. Le problème du Français de base, c’est la langue. Nous sommes enfermés dans notre français et avons peur de s’expatrier. Cette barrière-là est en train de tomber donc ça peut être plus facile pour les joueurs d’aller à l’étranger et ça le sera de plus en plus.

La France va jouer la Coupe du monde à domicile. Vous qui avez de l’expérience, quels sont les pièges à éviter quand nous évoluons devant nos familles, nos amis et avec un public qui attend beaucoup de nous ?

Vous avez dit exactement ce que j’ai dit à Fabien Galthié ! Sportivement, pour moi qui ai vécu les JO à Tokyo, nous avons gagné car nous n’avons pas eu la pression médiatique, la pression des familles et des réseaux sociaux. Nous étions dans une bulle avec, en plus, le Covid-19. Nous sommes l’équipe qui a le mieux résisté à la pression. Car la question c’est : comment résister à la pression à domicile quand tout le monde vous attend et que les médias vous mettent sur un piédestal à juste titre ? Comment se libérer pour performer ? C’est le plus dur.

Florian Verheaghe en pleine séance de dédicaces.
Florian Verheaghe en pleine séance de dédicaces. Midi Olympique

Avez-vous déjà été confronté à cela ?

Quand nous avons organisé les championnats du monde de volley en 1986, nous avons perdu en quart de finale et n’avons même pas atteint le dernier carré. Pourquoi ? Parce que nous étions une des premières équipes médiatiques en volley et nous n’avons jamais su passer le cap. Nous n’étions pas prêts mentalement. De toute façon, il n’y a que les équipes anglo-saxonnes et peut-être allemandes qui arrivent à se présenter comme outsider à chaque compétition où elles sont pourtant favorites. Il est impératif de se considérer comme outsider pour performer.

Cette génération du XV de France a toujours assumé la pression jusqu’à présent. C’est même une de ses forces…

Oui, mais c’est comme aux Jeux olympiques. Nous avons l’impression que nous connaissons la pression, mais elle nous écrase. En 2016, c’est ce qui nous était arrivé, alors que nous étions considérés, à juste titre, comme favoris. Le danger, ça va être ça. La pression va être à un autre niveau qu’une finale de Champions Cup ou de Top 14.

Suivez-vous régulièrement le rugby, vous qui êtes dans un pays où le ballon ovale se démocratise ?

Au Japon, le rugby prend énormément d’importance. Je suis de loin, notamment l’équipe de France. Je lis des articles, je regarde un peu le Stade toulousain, le Racing 92 ou Toulon. Je suis à distance mais j’ai un peu perdu le contact. J’ai essayé de voir des matchs au Japon mais je n’ai jamais réussi. En plus, là où je suis, les Saitama Panasonic Wild Knights ont récemment été champions.

Plusieurs joueurs du XV de France, dont Antoine Dupont, ont révélé leur envie de disputer les Jeux olympiques 2024. Pour vous qui connaissez les JO, que leur diriez-vous ?

Qu’ils vivent leur rêve ! S’ils ont envie de le faire, pourquoi pas. Nous avons la même problématique entre le volley-ball indoor et le beach-volley, sauf que les deux sont aux JO. Ce sont deux disciplines différentes mais pas antinomiques, donc pourquoi pas ? Et puis, je pense que les Jeux olympiques sont vraiment un monde et une compétition à part.

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Les commentaires (1)
cantewitko Il y a 8 mois Le 31/07/2023 à 07:17

La remarque de LT sur les anglo saxons est vraiment justes ! A ce jeu les Blacks et même peut etre les anglais peuvent se surpasser.
Et même si je suis grand supporter de l'EDF, il faudra trouver des ressources au delà du rugby et du terrain pour prétendre gagner la CDM