Cruden : l'intelligence et la technique "Black"

Dans l’enfer de l’Orange Vélodrome, Aaron Cruden s’est révélé. Le 14 avril, Montpellier se déplace à Marseille pour défier le RCT. Son équipe remaniée remporte cette épreuve de caractère malgré la défaite 32-17. Un acte fondateur, illuminé par la première prestation majuscule du Néo-Zélandais : "Il a montré toute sa classe ce jour-là. C’est le joueur qui a apporté le plus de danger, explique Manny Edmonds, ancien ouvreur et coach des trois-quarts varois. Notre défense ne montait peut-être pas assez sur lui et dès qu’il a eu un peu d’espace, il s’est exprimé. Cruden essaye toujours d’identifier dans la ligne défensive adverse, le moment où il peut attaquer le cinq de devant ou un membre de la première ligne, pour créer des brèches. Il fait ça très bien et a ensuite toutes les qualités techniques nécessaires pour faire des différences."

Intelligence et technique "Black"

La vision de jeu du All Black aux cinquante sélections est hors normes. Il est capable d’analyser en lecture toutes les situations selon Rémi Tales, ouvreur du Racing : "Et quand il fait son choix, il se trompe rarement. Sur la demi-finale, on a pu voir qu’il est parvenu à rester "caché" en faisant beaucoup jouer les autres autour de lui et dès qu’il a décidé de garder le ballon, il a fait la différence. Comme sur le deux contre un qu’il décide de jouer avec Steyn, au moment où le match était encore un peu "cadenassé"." Sur cette action, François Steyn ne sera rattrapé qu’à cinq mètres de la ligne : carton jaune pour Gill et essai de Dumoulin dans la foulée…

Implacable. Kendrick Lynn, entraîneur des lignes arrière du Lou, confirme : "Nous avions parlé de lui dans notre semaine de préparation car on savait qu’il allait poser quelques questions à notre défense et que nous voulions "rusher" comme face à Toulon pour le gêner. Mais Cruden est très intelligent et il est donc capable de voir l’espace et de prendre la bonne décision selon l’organisation de la défense. Il est redoutable par sa course intérieure quand il voit un avant devant lui. Il change son angle de course pour aller le défier."

Un pied d’attaque

L’aimant néo-zélandais attire les talents dans son champ d’action : "Les centres autour de lui réagissent très bien sur ses extérieurs pour lui proposer une solution. On voit que ça a bien travaillé à Montpellier cette saison. Cruden a une belle passe des deux côtés, a l’œil, sait attaquer la ligne directement ou en travers. Il est aussi rapide, a des appuis… C’est un dix de très haut niveau. Son bagage technique est celui d’un Black et il est monté en puissance depuis plus d’un mois" ajoute Edmonds. Des mains d’or qui lui permettent d’assurer la continuité du jeu de l’équipe derrière ses prises d’initiatives, d’après le technicien lyonnais : "Si Cruden n’est pas grand, il est toujours capable de réaliser des offloads (trois face au Lou, N.D.L.R.). Il gagne son duel avec ses appuis et ensuite il peut servir Steyn à côté de lui ou aller chercher Nadolo sur les extérieurs. Il y a quelques rencontres où il a fait basculer le match de cette manière."

Chef d’orchestre et facteur X des Cistes, Aaron Cruden a toute la liberté de s’exprimer grâce à un fait essentiel relevé par Tales : "Son association avec Ruan Pienaar est excellente. Il le soulage énormément sur le jeu au pied courant et face aux perches. Il prend presque tout à son compte. Je ne sais pas si Cruden a eu des soucis physiques…" En effet, depuis sa blessure au mollet survenue avant le déplacement au Leinster (octobre) en Champions Cup et ses problèmes rencontrés par la suite au genou, l’intéressé, préservé par Vern Cotter, ne bute plus. Et n’utilise que rarement son jeu au pied long. Kendrick Lynn développe : "Il a un bon jeu au pied. Mais je pense qu’il est plus performant sur les coups de pied courts offensifs. Les petits par-dessus ou rasants et les diagonales pour les ailiers. Et le fait que le jeu au pied long soit pris en charge par Pienaar, Steyn ou Mogg, lui permet de se concentrer sur une chose : identifier les espaces derrière la ligne de défense."

L’art d’optimiser les qualités de chacun. Une des plus grandes forces du MHR selon Manny Edmonds : "Montpellier utilise beaucoup de jeux au pied, surtout offensifs et cela est typique du rugby néo-zélandais. On croit que cette nation joue beaucoup à la main mais elle joue surtout très intelligemment. […] Le coup de pied long est moins bon que celui de Steyn ou Mogg. Alors, dans leur système de jeu, dès qu’ils veulent sortir de leur camp ou mettre la pression sur l’adversaire par le pied afin de contester ensuite la balle grâce à un contre-ruck, ils échangent de place pour utiliser leurs points forts respectifs. Montpellier est excellent pour ça. Et Aaron est donc lui plus utilisé pour son jeu au pied offensif afin de casser les défenses." Ses nombreuses diagonales offertes à Nadolo, Steyn, Fall et consort cette saison en sont la preuve.

Plie mais ne rompt pas…

Insipide sur la première moitié de championnat, ralenti dans son adaptation par les blessures, l’Héraultais monte en puissance au meilleur des moments. Et commence à poser sa "patte" sur le jeu de son équipe. Alors, comment les Castrais peuvent-ils le "museler" en finale samedi ? Deux options s’offrent à eux, applicables contre tous les ouvreurs.

La première consiste à attaquer sa zone sans relâche pour l’épuiser : "C’est toujours mieux de fatiguer les numéros dix talentueux… lâche dans un sourire Kendrick Lynn. Aaron n’est certes pas très costaud mais il plaque beaucoup (dix plaquages en demi-finale, un seul raté). Nous avons essayé de l’attaquer, mais il a été efficace en défense. Le truc avec lui, c’est qu’il n’a pas peur. Quand il était jeune, il a eu un cancer (aux testicules en 2008, N.D.L.R.) et cette histoire a un peu contribué à faire de lui un vrai guerrier." Un défenseur chevronné, qui subit souvent à l’impact mais ne relâche presque jamais sa proie…

Seconde solution ? L’oppresser pour l’empêcher de "respirer", propose le coach toulonnais : "Il faut lui mettre constamment la pression pour tenter de fermer les espaces et réduire ainsi leur temps pour prendre leur décision et l’exécuter. Si Castres ne monte pas fort sur lui, il pourra utiliser ses atouts pour se créer des différences ou faire briller les autres. L’avantage, c’est que le CO est une équipe très bien organisée, notamment en défense."

Le champion du monde 2011 affrontera pour la première fois de sa carrière les Tarnais samedi. Et retrouvera au Stade de France face à lui, un "client" nommé Benjamin Urdapilleta : "La force d’Urdapilletta est sa grande connaissance du Top 14. Il organise bien, se bat constamment, semble partout sur le terrain. Je pense qu’il a un rôle plus important dans son équipe que Cruden dans la sienne. Mais Aaron est capable de faire plus de choses. Son registre est plus grand. Cela sera un beau duel", conclut Lynn. Place au spectacle !

Par Julien Louis