Interview de légendes - Benazzi : "C'est gravé dans votre coeur et votre esprit"

  • Abdelatif Benazzi - Spécial Grand chelem
    Abdelatif Benazzi - Spécial Grand chelem
  • Tournoi des 6 Nations 1997 - Olivier Merle et Marc de Rougemont (XV de France)
    Tournoi des 6 Nations 1997 - Olivier Merle et Marc de Rougemont (XV de France)
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TOURNOI DES 6 NATIONS - L'ancien joueur d'Agen, capitaine du XV de France en 1997, a porté les Bleus lors du cinquième grand chelem de l'histoire du rugby français. Il revient sur cette aventure qu'il a réussi à terminer malgré une côte cassée.

Quel est le premier souvenir qui vous vient quand on évoque le grand chelem 1997 ?

C’est comme si c’était hier. C’est gravé dans votre cœur et votre esprit. C’est quelque chose d’inoubliable. Après, une fois que l’on plonge dans ce souvenir, on se souvient de tous les détails. Cette équipe de France sortait d’une défaite contre l’Afrique du Sud en novembre. Malgré le traumatisme de la défaite, je me rappelle avoir dit à la réception d’après-match que cette équipe viserait le grand chelem en 1997. ça avait surpris tout le monde car c’est vrai que cette équipe n’était pas du tout favorite. Nous avons très bien entamé le tournoi avec une très belle victoire en Irlande. Un match où Fabien Galthié se blesse d’ailleurs.

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Après, nous montons crescendo dans cette compétition même si nous perdons des joueurs en route. L’événement qui nous permet de croire au grand chelem, c’est bien entendu la victoire à Twickenham. On bat les Anglais, chez eux, après avoir été menés de vingt points. Nous réalisons une deuxième mi-temps exceptionnelle, à l’image de ce qui allait se passer deux ans plus tard dans ce même stade face aux All Blacks.

Après, quand vous recevez pour le dernier match à Paris, en sachant qu’il y a le sacre derrière, que vous avez l’opportunité de remporter le cinquième grand chelem de l’histoire, il n’y a pas de mot pour décrire ça. La motivation est naturelle. C’était aussi le dernier match du Tournoi au Parc des Princes avant de déménager au stade de France. Il y avait plein de choses pour nous mobiliser. C’était aussi dix ans après le dernier grand chelem. Nous réalisons notre match le plus complet du Tournoi puisque nous battons l’Écosse par quarante points.

Le match face aux Anglais est entré dans la légende du XV de France...

C’était le révélateur car la rivalité avec les Anglais était exacerbée à l’époque. Je m’étais blessé aux côtes en deuxième mi-temps et nous n’avions pas de remplaçant en troisième ligne. C’est Marc De Rougemont, un joueur de première ligne, qui m’a remplacé. Je me rappelle de son visage quand on se croise sur la pelouse. Il me dit : "qu’est ce que je fais ? qu’est ce que je fais ?" Je lui ai répondu : "Tu découpes tout ce qui passe !" Je crois qu’il avait fait quinze plaquages à lui tout seul (rires).

Il avait dû aussi plonger quelques fois (rires) mais c’était assez intéressant. Il s’était hissé dans l’agressivité collective que nous avions réussi à mettre. Et la Marseillaise était montée dans les tribunes à la place du Swing Low, Sweet Charriot. C’était vraiment impressionnant. Je crois que ce jour-là nous a beaucoup aidé deux ans plus tard.

Tournoi des 6 Nations 1997 - Olivier Merle et Marc de Rougemont (XV de France)
Tournoi des 6 Nations 1997 - Olivier Merle et Marc de Rougemont (XV de France)

Ça m’a vraiment fait écho en moi, de se retrouver dans ce même stade avec la même sensation de n’avoir rien essayé, d’avoir subi pendant toute une mi-temps, sans avoir rien montré de notre potentiel. A la mi-temps, le discours était le même. Il fallait juste que l’on s’exprime et que nous ne sortions pas frustrés quelque soit le résultat. On s’est libéré, on a tenté des choses et on a créé des situations dangereuses.

L’après-match devait être à la hauteur de ce retournement de situation ?

Le soir, il y avait une belle réception mais je ne pouvais pas respirer à cause de ma blessure. Je me demandais si j’allais aussi pouvoir tenir ma place pour la finale. Heureusement, il y avait un week-end de pause avant d’affronter l’Écosse. J’ai demandé à mon club d’Agen d’être laissé au repos, mais malgré ça, ce n’était pas facile avec une côte cassée. J’avais passé un accord avec le docteur : "Si tu dis que j’ai une côte cassée, on va se fâcher (rires)."

J’ai dissimulé ça avec une injection le jour du match et une espèce de protection que nous utilisions à l’époque entourée d’Élastoplast. Ensuite, l’adrénaline de disputer une finale a fait le reste. Mentalement, j’ai dépassé la douleur avant le match. Et quand elle est revenue pendant la rencontre, le public a joué son rôle et ça m’a permis de finir le match. Mais j’ai vécu l’enfer pendant les quinze jours suivants. En termes de douleur, c’était l’horreur. Mais ça valait le coup. Il faut savoir se sacrifier des fois.

Et vous marquez le premier essai tricolore face à l'Écosse...

Je crois que je marque le premier essai. C’était bien en tant que capitaine de débloquer un peu la situation et de montrer la voie. Je me souviens surtout d’un énorme match d’Olivier Magne, mais je me souviens surtout de l’ambiance dans l’équipe et de l’osmose avec tout le stade. Je n’oublierai jamais l’atmosphère qui régnait ce jour-là au Parc des Princes. Je n’avais jamais connu ça et je ne l’ai jamais retrouvé par la suite. Je me souviens d’être à terre parce que j’avais mal aux côtes. J’entends le stade scander mon nom. Ça m’avait sublimé et permis de repartir. Il y avait une telle fluidité dans notre jeu.

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Aviez-vous changé quelque chose dans la dernière semaine de préparation ?

On s’était enfermés. Nous avions un peu changé nos habitudes car nous avions normalement une journée libre où nous allions à Paris. Mais, cette fois-là nous ne voulions pas nous disperser. C’était vraiment une semaine très importante. On sentait de la pression, de la nervosité, car on ne pouvait pas perdre ce match sinon tu passes pour le cocu de l’histoire. On est resté entre nous au château Ricard. Nous avions aussi demandé de réduire les visites car à cette époque-là, des personnes extérieures venaient manger tous les jours avec nous. On voulait vraiment être entre nous. On sentait de la concentration mais aussi cette nervosité. Mais les entraînements étaient propres et on sentait une communion pour ne pas manquer cet événement. C’est une opportunité qui ne se présente pas tous les jours.

Que change un grand chelem dans une carrière ?

Je ne sais pas si ça change une carrière, mais un grand chelem offre plus d’expérience, plus de maturité mais c’est surtout un souvenir gravé à vie. C’est un peu comme le Bouclier de Brennus. On part du stade avec un petit trophée et le nom de l’équipe de France est inscrit sur le grand trophée. C’est valorisant. C’est un moment important dans une carrière.

Premier épisode de nos Interviews de Légendes ! ?
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Personnellement, avez-vous eu beaucoup de sollicitations après ce grand chelem ?

Forcément. J'ai reçu beaucoup de courrier. Le président Jacques Chirac nous avait aussi reçus à l’Elysée. Il m’a pris dans une petite salle à part pour savoir si je voulais donner un coup de main au conseil d’intégration dans une commission politique. Ça dépassait le cadre du sportif. C’était aussi un poids supplémentaire car ça me déstabilisait moi qui n’était qu’un joueur de rugby. Heureusement que j’avais un peu plus de temps en raison de ma grave blessure au genou à la fin de l’année 1997. je suis resté un an sans jouer, et cela m’a permis de voir un peu autre chose, de m’impliquer sur des tâches qui m’avaient été confiées.

Ce grand chelem a été le point de départ d’une belle époque du rugby français...

Exactement. Avec Pierre Villepreux qui venait d’intégrer le staff on sentait une ouverture sur une autre vision du rugby. Il y avait aussi de nombreux nouveaux joueurs, beaucoup de jeunes, avec un nouveau potentiel, un nouvel état d’esprit et tout le monde adhérait à ce nouveau projet de jeu. Je ressens beaucoup de similitudes avec l’équipe d’aujourd’hui. Derrière, ce grand chelem, les résultats se sont enchaînés, même si l’équipe de 98 était totalement différente. Mais ça démontrait le potentiel et la richesse de la France.

Et la troisième mi-temps après l’Écosse, quel souvenir en avez-vous ?

Je crois que nous sommes nombreux à être restés à Paris jusqu’au lundi (rires). Mais, il y avait eu une erreur. La fédération avait prévu un match amical contre l’Italie à Grenoble le week-end suivant et nous avions perdu en encaissant quarante points. Il ne fallait surtout par mettre un match amical après un grand chelem ! Avec la troisième mi-temps, l’euphorie persistante, nous sommes passés de la lumière à l’ombre. Ça nous a remis les pieds sur terre.

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