La chronique de Pierre Villepreux

Par Rugbyrama
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Dans sa chronique hebdomadaire, Pierre Villepreux revient sur les cent ans du Tournoi. Pour lui "L’engouement reste identique au fil du temps et fait espérer un cru porteur d’espérance pour le rugby européen à deux ans de la Coupe du monde."

Commençons par le plus moche. Irlande/Italie a été particulièrement insipide. La faute en revient aux Italiens jamais soucieux de sortir d’un jeu qui n’en est pas un puisqu’ il consiste à ne rien entreprendre quand on est en possession du ballon. Projet de jeu simplifié au maximum qui impose de renvoyer au pied le ballon vers le camp adverse, de le sécuriser dans des regroupements nés d’un jeu sans passe, de conforter ce non jeu par une défense dont on espère qu’elle sera suffisante non pas pour gagner mais pour assurer un résultat le moins déshonorant possible. Résultat des courses, ce non jeu de "la squadra" n’a jamais permis de franchir autrement que par le jeu au pied la ligne d’avantage adverse, sauf une fois dans la dernière minute du match, une action de Mirko Bargamasco venu de son aile et dans le bon timing s’infiltrer après son ouvreur dans un mini espace pour une course inutile et terminer en solitaire vu le manque de réactivitée du soutien presque surpris par cette inattendue initiative sortant du programme. L’essai italien est anecdotique, résultat d’un cadeau irlandais, suite à un contre sur le dégagement de leur arrière. Ce jeu négatif des Italiens, a même grandement troublé la sérénité des vainqueurs du dernier Tournoi qui, surtout en seconde mi-temps ont réalisé une production contre nature. Penser perturber les italiens en répondant à leur jeu au pied par du jeu au pied fut non seulement une mauvaise stratégie mais synonyme de manque d’ambition pour une équipe qui vise un deuxième grand chelem. Cette production en demi teinte ne permet pas de préjuger de la valeur du moment de cette équipe qui n’a pas davantage convaincu lors de la Tournée automnale. Elle devra avoir plus d’ambition samedi prochain au stade de France, celle du jeu entrevu en début de match et conclu par un superbe mouvement collectif plutôt que de se préoccuper du jeu de l’adversaire.

Je dirais, dommage pour les italiens, qui avec Pierre Berbizier aux commandes avaient réalisé un rugby prometteur à la mesure du potentiel que l’on connaît de ces joueurs italiens qui avec ce type de jeu, ne sont pas utilisés comme ils devraient l’être.

Angleterre/Galles a répondu à notre attente. On attendait une confrontation musclé, elle a eu lieu. Avec Wilkinson à la baquette, le jeu anglais a retrouvé une âme et une équipe compétitive. La puissance globale des joueurs anglais est mise à la disposition d’un rugby qui ne se résume pas à utiliser leur force physique. Les intentions sont bien présentes et ils ne refusent pas de mettre tout leur collectif en mouvement mais c’est souvent quand il se crée des situations à priori faciles à jouer, celles où ils doivent sortir du jeu attendu qu’ils "mangent" les meilleurs occasions. Mais ils savent aussi s’appuyer sur leurs points forts, là ou ça fait mal, particulièrement sur les ballons portés. Leur organisation sur ces mauls qu’ils affectionnent devient usant pour l’adversaire, contraint de céder ou d'aller à la faute.

Le 9 joue beaucoup au pied, derrière un pack super protecteur qui lui permet de distiller des up and under terriblement efficaces pour des partenaires particulièrement habiles à se lancer habilement dans la reconquête en l’air où ils excellent. Il soulage aussi Wilkinson plus à même de se consacrer à la gestion du jeu à la main. Ce 9 est de plus très joueur autour des rucks où sa vivacité et ,on peut le dire, sa bonne lecture du jeu mobilise les défenses proches; ce qui ouvre des options pour les partenaires plus au large quand ce choix est fait.

Cette équipe anglaise va être dangereuse à jouer. Je sens cette victoire comme déterminante dans leur progression et leur confiance qui, on le sait, quand elle s’installe, leur permet de défier sans la moindre appréhension les meilleurs.

Les gallois ont bien répondu, quand leur adversaire leur a laissé un peu d’espace, par le jeu à la main, qu’ils savent et aiment faire. Ils ont dans cette option un meilleur sens tactique que les Anglais. Ils s’adaptent mieux et plus vite aux aléas proposés par la défense quand le jeu bouge. C’est une équipe qui accomplie parfois un jeu qui ne peut laisser indifférent pour ceux qui aiment le jeu construit dans le respect de ses principes de toujours avancer et soutenir. Un jeu qui a eu du mal à se mettre en place au départ compte tenu de la pression imposée par leur adversaire. Mais en deuxième mi-temps et fin de match quand l’avancée permis d’imposer une pression déstabilisante, les gallois se créèrent pas mal d’occasions qui pouvaient les conduire à la victoire.

La France n’a pas manqué ses débuts puisque la victoire fut au rendez-vous. Le choix de jouer à la main tous les ballons en début de match était une réponse à la demande faite par le staff. Ce fut fait plutôt bien au début et curieusement dans la pénibilité par la suite alors que le score favorable aurait pu les transcender.

D’abord il faut mettre en exergue la capacité française à défendre ce qui est aujourd’hui une des clés de la performance. Les Français n’ont pas failli, mais il faut relativiser cette analyse quand on sait que les Ecossais ont perforé pas mal de fois le premier rideau défensif. Cependant, ce fut toujours plus individuellement que collectivement. Ils se créèrent ainsi des opportunités non exploitées par un manque de cohérence dans la cellule d’action autour du porteur de balle. Cette difficulté à jouer juste en recherchant le bon soutien sans passer par le sol pour préserver l’avancée du mouvement précèdent a généré un retard suffisant pour permettre aux Bleus, non seulement de contester le ballon sur le joueur plaqué, mais aussi de se réorganiser en position et en nombre suffisant pour compenser le jeu successif. Les mêmes situations avec les All Blacks se seraient traduites grâce à la réactivité adaptative du soutien par des essais.

Pour en finir avec les Ecossais, le volume de jeu mis en œuvre est significatif d’un choix. Aujourd’hui l’efficacité est relative. Le nombre de passes faites sans avancer devant la défense en est l’illustration. Quand ils choisirent, par défaut d’efficacité dans le jeu à la main, d’alterner par du jeu au pied, ce ne fut pas fait au bon moment et les contres français qui s’ensuivirent illustrent la carence de la lecture du jeu défensif adverse. En fin de match dans le "hourra" rugby que le score engendra, les français imposèrent un premier rideau constitué de tous les joueurs, ce qui n’eut pas pour effet d’entraîner coté Ecossais le choix logique que cette situation défensive imposait. Contre les Argentins en automne il avait rencontré les mêmes difficultés et là aussi ont échoué pour les mêmes raisons.

L’attaque française a échoué en deuxième mi-temps pour imposer non pas le jeu que souhaite les entraîneurs, mais bien "le leur" celui où il s’agit bien de s’adapter à ce que propose l’opposition adverse, ce qui implique en cours de match et d’une situation à une autre de savoir prendre en compte les faiblesses et forces globales et momentanées de leur adversaire. Ce qu’ils firent bien en mêlée en sachant que cet effort répété a un coup énergétique que l’on paie si le jeu tend à prendre une dimension qui impose des déplacements. Ce qui veut dire qu’il est utopique de toutes les pousser mais bien de faire les choix de celles qui le méritent.

Quelques excellentes actions, les deux essais bien sur, mais aussi d’autres auraient mérité une meilleure finition si la lecture spontanée du jeu par le porteur de balle avait été à la hauteur. Ces actions même si mal finies, augurent de ce que souhaitent mettre en place les entraîneurs mais que le collectif n’est pas en mesure encore de reproduire dans la continuité d’un match.

On a vu les français mal jouer devant la défense en multipliant les temps de jeu sans efficacité. Conserver le ballon est certes intéressant à condition que l’utilisation du ballon à la main quelle que soit sa forme crée les conditions d’avancer et de pressions utiles pour pouvoir enchaîner efficacement. Ce sont alors les déplacements - replacements pertinents de l’ensemble du collectif et donc l’utilité de chacun par rapport à la faiblesse défensive momentanée qui empêche la réorganisation adverse et maintient le déséquilibre.

La réorganisation collective et de fait, le jeu utile de chacun, dans le situations rencontrées successivement, devient capitale, si l’on veut dans la phase de jeu, maintenir l’adversaire en situation d’incertitude sur le jeu future. En cas de ruck concédé, c’est la vitesse de libération du ballon dans les phases de rucks concédés mais aussi le quand, comment et le où (axiale ou latérale droite ou gauche) qui entretiendra la dynamique utile, composante qui est une faiblesse française de toujours.

On peut également regretter que les lancements de jeu manquent eux aussi d’efficacité et ne crée pas plus souvent les bonnes conditions du jeu successifs.

Victoire quand même, en ce début de tournoi, c’est bon pour le mental et surtout pour travailler avec sérénité.

Tournoi du centenaire très "open". Je vois mal une équipe qui domine son sujet suffisamment pour réaliser un grand chelem. Mais dans le Tournoi d’une année sur l’autre, il n’y a aucune garanties, ce qui évite d’avoir des certitudes.

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