La chronique d'Henry Broncan

Par Rugbyrama
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Retrouvez Les pas perdus d'un coach, la chronique d'Henry Broncan, entraîneur du SUA, mais aussi manager de la Géorgie.

Jeudi 20 septembre :

Deux amis l'ont appelé au petit matin : "Tu devrais appeler RM, sa petite fille de 26 ans est décédée... d'une tumeur... il est désespéré ! "...

L'amitié qui les liait désorientait souvent leurs entourages : le vouvoiement, la pudeur, l'humour... "cette politesse du désespoir"...

Seuls, les initiés - rares - savaient que c'était lui et non JF qui l'avait fait quitter son pays de toujours pour gagner le club de la Préfecture : simplement JF alors Président, avait su, madré comme un Gascon, se faire accompagner par lui, pour le séduire.

Il avait 12 ans lorsque RM était entré pour la 1ère fois dans sa vie : Mathalin, 1956, un chaude après-midi de printemps, après le plus rude hiver du siècle, le stade comble pour accueillir l'USAP fort de son titre de Champion de France... Le FCA l'avait emporté 14-6, un essai de JB Barbe derrière sa mêlée, 11 points de RM, maître du match à l'ouverture... Il revoyait les Catalans, bleu azur, cernés dans la cuvette par la bande à Doudou, Roucariés ou Sanac (?) ensanglantés, revenir sur la pelouse, visage entièrement bandé... Plus de 50 ans après, il était capable de mettre un nom sur ces 15 Auscitains qui étaient devenus, pour lui, des héros.

Par la suite, la vie les avait rapprochés sans que leurs effusions n'aient dépassé le stade du sourire et de la poignée de mains : aucune embrassade, pas la moindre tape dans le dos ; des menus présents : une photo, beaucoup de livres échangés.

Il savait combien la petite fille comptait pour lui, même s'il n'en parlait presque jamais : toujours la même retenue. Dans ce doux matin, au ciel trop bleu de l'été finissant, il se demandait s'il fallait lui téléphoner ou bien lui écrire. Il comprit vite qu'il n'en aurait pas le courage, même pas celui de l'accompagner à l'enterrement : lâche, il ne pouvait plus supporter la douleur quand elle touchait un être cher... Il se noya dans les deux entraînements de la journée.

Vendredi 21 septembre :

Je râlais de n'avoir pas su dire non à cette invitation : une grande entreprise bordelaise m'avait invité à commenter, sur grand écran, le match France-Irlande. Heureusement, mon talonneur JN, avait bien voulu, non seulement m'accompagner, mais encore conduire car, en bon Gersois, je ne supporte pas le moindre embouteillage et, chaque fois que j'écoute la radio, je n'entends parler que des encombrements sur le périphérique girondin... Très bon accueil à l'arrivée, près de mille invités, tenues de soirée, petits fours multiples, whisky, vins, bière, fruits de mer, magrets, sucré, salé, champagne...

NB : l'ancien arrière de l'équipe de France est également invité ; j'avais l'image d'un "garçon" calme, équilibré, franc ; il ne me décevra pas : seulement une petite crispation à l'entrée des équipes : la déception légitime de ne pas participer au match ?

Un présentateur sympathique nous fait intervenir dans l'avant match, à la mi-temps et après la victoire : pronostics, jugement sur l'équipe, appréciations techniques, Chabalmania... En fait, si le match retient les attentions, c'est la bouffe qui occupe l'essentiel des esprits quand il n'y a pas de jeu : je retrouve des souvenirs de chanteurs de banquet ou de cabaret que personne n'écoute, la préoccupation essentielle étant de se goinfrer... La prochaine fois, je resterai devant mon poste de TV... En fin de soirée, le plaisir de l'arrivée de TL, le formidable ouvreur de la Coupe du Monde de 1999 : j'apprécie beaucoup l'itinéraire de ce joueur, formé à Peyrehorade, venu terminer sa carrière à Saint Médard en Jalles ; JN lui rappelle sa victoire de la saison passée à Lavardac sur une chistera apprise sans doute par Gaston Dubois ; de mon côté, je me souviens d'une défaite, au Moulias, contre l'Avrion Bayonnais : Titou nous avait assommés de pénalités dont l'une inscrite de plus de 60 mètres. Son sourire et ses plaisanteries sauvent ma soirée... Comment ce formidable joueur n'avait-il pas été l'intervenant de luxe de la soirée ? La France a-t-elle déjà oublié ?

Samedi 22 septembre :

Les Roumains meurtris par les 42-0 de Murrayfield ahanent sur l'annexe d'Armandie : un très bon match contre l'Italie et un comportement de fantômes en Ecosse.

Il avait dit que le rugby lui avait procuré ses meilleurs amis et ses pires ennemis et il savait combien la frontière était fragile entre l'amitié et la haine. A son arrivée dans la Préfecture, il avait choisi SC comme capitaine, malgré les réticences de ses dirigeants et les relations entre les deux hommes avaient été excellentes : des temps difficiles pour le FCA avec un maintien ardu dans le TOP 20 pendant deux saisons.

Il avait été écarté de l'entraînement de l'équipe I en 2000-2001 et SC avait perdu, pendant cette période, sas galons de capitaine. L'année suivante, Auch en D2, les deux hommes avaient retrouvé leurs prérogatives. Le seconde ligne fut, pour beaucoup, malgré une cheville en mauvais état, dans l'obtention d'une 5ème place fort honorable : il réalisa peut être la meilleure prestation de sa carrière, contre Brive, au Moulias, c'est sur ce même Moulias qu'il avait contribué, en 1990, à l'historique succès de la Roumanie sur la France. Diminué par des problèmes physiques, il prit la direction de l'équipe espoirs du club : entre les deux hommes, la même harmonie, la même duplicité et le FCA devenu FCAG remontait vers la lumière et puis vint la déchirure : pour entrainer avec lui, il choisit son fils spirituel, son ancien élève de collège et de rugby, venu du LSC...

Il n'y eut aucune explication entre les deux hommes : les visages fermés remplaçaient les clins d'oeil et ils se lancèrent dans les jeux de l'ignorance.

Dans ce premier jour de l'été indien, ses lunettes l'avaient repéré auprès du joug des Roumains, accoudé à la main courante, à 50m de lui. Il ressentit à sa vue un tressaillement de joie mais son orgueil lui interdit d'en faire témoignage : il refusa de bouger et continua d'observer l'entraînement... Une demi-heure plus tard, il vit le colosse se déplacer pour le rejoindre, il l'attendit en se refusant d'aller à sa rencontre : "Adieu

- Adieu..."

Ils partirent pour le plus banal des entretiens : "Ta femme... ton fils... l'école... le travail". Ils enchainèrent sur la Coupe du Monde et sur la Roumanie et se montrèrent incapables d'aborder Auch, la peur mutuelle de ré-ouvrir des blessures.

Sans parler de leur club, la conversation finit par tourner court et des silences s'étirèrent pour accélérer la séparation. Ils se serrèrent la main et se tournèrent le dos. Il fit quelques pas, finit par faire volte-face et l'appela pas son prénom. Ils se retrouvèrent face à face : le nabot et le géant. Le premier lâcha : "Merci, merci... Sandu". Une accolade vive et chacun regagna ses pénates.

Je pense à Cioran : "Toute amitié est un drame inapparent, une suite de blessures subtiles."

Dimanche 23 septembre :

Hier au soir, à Marmande, le SU Agen vaincu, le week-end précédent par le FC Auch Gers renoue avec la victoire – titre du "Petit Bleu" en battant le Castres-Olympique 24-5. Dans les rangs tarnais, Antony Lagardère, amaigri, en forme, bien en place sur la ligne d'avantage ; en seconde période, entrée de Romain Terrain toujours aussi généreux mais le roi du terrain sera le 3ème ligne sud-africain Vosloo si valeureux que le public, un peu frigorifié par la médiocrité des débats, se réveillera pour lui offrir une standing ovation. Côté agenais, retours de Koulemine, rassurant pour le pack et d'Elhorga auteur d'un bel essai en contre mais l'ensemble est bien maussade et 7 joueurs sont réquisitionnés pour un entraînement punition le samedi matin.

En lever de rideau, challenge de l'Espérance et victoire de l'ambitieuse entente Marmande. Casteljaloux sur Orthez. Chez ces derniers, une seconde ligne très auscitaine : le Marocain Hisham Laouni et le Congolais Herman Kamoukounou. Ils font, maintenant, le bonheur des Béarnais.

Lundi 23 septembre :

Depuis hier au soir, j'ai rejoint les 4 étoiles du Château de Pizay, dans le Beaujolais. Réunion avec les joueurs : le match contre la France ne compte pas ; c'est contre la Namibie qu'il faut gagner. Une page de MO titrée le "mic-mac géorgien" est largement discutée au sein du groupe. Ce dernier est assailli brutalement par la renommée mais c'est l'adversaire de la France qui intéresse les médias. C'est très difficile de recentrer les joueurs et l'encadrement sur le match de mercredi. Les deux entraînements ne me donnent pas satisfaction : les ballons tombent, les lancers en touche n'arrivent pas à destination, la concentration laisse à désirer, les tensions titulaires-remplaçants s'exacerbent...

Nicolas Foulquier me fait remarquer qu'ils arrivent au terme de 4 mois de vie commune ! J'ai peur - j'ai toujours peur - pour mercredi d'autant qu'Ilya le capitaine emblématique, fracture de la rotule, ne sera plus sur le terrain.

Mardi 25 septembre :

Et je n'avais jamais pris le TGV !

Train spécial pour les Géorgiens uniquement ! Déploiement des forces de l'ordre pour le départ, gare de Macon ; idem pour l'arrivée à Arras : je trouve que quelquefois le comité d'organisation en fait trop ! Beaucoup trop ! Motards, sirènes, GIGN, policiers en civil, en tenue... Hôtel du golf dans le chef-lieu du Pas de Calais... 3 étoiles seulement : zut ! Je m'étais habitué au grand luxe. Ce matin à Pizay "Hôtel, meetings, Vineyund and spa resort", un trio de Lamborghini sont stationnées. Mes Géorgiens tournent auprès, admiratifs. Quand elles démarrent, ils applaudissent. Victor qui me connaît bien, lance : "Henry, tu ne veux pas en acheter une ?" Ils savent déjà mon horreur pour la vitesse et donc les grosses cylindrées et me citent des chiffres, en euros, que j'ai du mal à traduire, en francs, puis en anciens francs ! Déjà mon Gers me tarde !

Mardi soir, en route depuis Arras jusqu'à Felix-Bollaert, à travers les champs de blé et de betteraves de l'Artois, les cimetières militaires de 14-18 aussi. Près de Lens, les terrils interrogent les Géorgiens, le chauffeur du car nous raconte que, sur certains, apparaissent des edelweiss !

A la descente du car, malgré mon accréditation temporaire, je suis interdit par un colosse - il fait son travail de vigile - de pénétrer sur le terrain d'honneur, pour le "captain's run" ; les Géorgiens menacent de repartir. C'est le commissaire-directeur du site, un Néo-Zélandais, qui débloque la situation en m'accordant son autorisation. Par la suite, réconcilié - en partie - avec mon cerbère, celui-ci me confie : "croyez-moi, M. BRONCAN, j'avais l'ordre de ne pas vous laisser entrer sur le stade et je n'ai fait que mon devoir." J'espère que je ne serai pas rejeté quand j'irai assister au derby Laroque-Timbaut – Pont-du-Casse !

Kirwan a fait progresser les Japonais dans le jeu d'avants : mêlée convenable et maul bien structurés ; ce ne sont pas les mêmes que j'avais entrainés avec Jean-Pierre Elissalde à St-Paul-les-Dax au printemps 2006. Portugais toujours aussi vaillants mais fatigués et trop faibles en mêlées, Roumains costauds mais brouillons : heureusement, Socol et Tinu sont venus les sauver.

Dans la soirée, les Géorgiens assistent à un office religieux sous la direction d'un prêtre orthodoxe : l'équipe est au grand complet !

Mercredi 26 septembre :

Au petit déjeuner, Frédéric me présente Alain Lorieux - finaliste mondial en 1987 - venu, dans le cadre de son métier passer la nuit à l'hôtel. Des récits de son bon vieux temps, des jugements réalistes, parfois un peu amers, sur le rugby d'aujourd'hui : des valeurs qui continuent de séduire des adeptes nouveaux mais une âme qui, le fric aidant, s'évapore un peu.

Des valeurs, depuis Notre Dame de Lorette, on peut se souvenir de celles des "poilus" de 14-18 : des milliers de croix blanches pour les Français de la Métropole et de l'Afrique, des Canadiens, des Anglais, des Polonais, des Tchécoslovaques, etc. La terrible boucherie de mai-octobre 1915, pour gagner 20 km², le Ravin des Ecouloirs, le Cabaret Rouge, la Vallée des Zouaves... C'était autre chose qu'un match de rugby !

A 14 heures, un ami de Bobigny me joint : "Le journal le P... se moque de toi : tu n'avais jamais pris le TGV. Tu n'avais jamais dormi dans un hôtel 4 étoiles ! Pour eux tu es un vieux sauvage." Peut-être que les Parisiens n'ont jamais connu les cars, Martet, encore moins le dortoir de St Christophe ! A chacun son bonheur : j'ai eu les friandises de Monique et les sourires du père Arenal ; ils valaient tous les TGV et les 4 étoiles du monde !

Retour du match vers 22 heures : joie dans l'hôtel envahi par les supporters : un ministre d'Etat, celui des sports et l'ambassadeur de Géorgie en France y vont chacun de leurs discours... 10 stades de rugby, des millions de dollars !

De mon côté, j'ai promis que si la 3ème mi-temps était trop longue, je reprenais dès jeudi matin, le TGV pour Agen.

Jeudi 27 septembre :

4 heures du matin et l'insomnie des nuits d'après-match. Tintamarre dans le couloir de l'étage : debout et colère aux lèvres... Ce n'était que 4 dirigeants : tant pis pour le TGV !

Lecture d'un grand quotidien sportif : interview de Bob Ashton et photo d'HB. Me prendre pour un Anglais !

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