Baky écrit - Il est libre Max

Par Rugbyrama
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BAKY ÉCRIT - Dans sa chronique hebdomadaire, notre chroniqueur Bakary Meïté évoque le décès d'un homme qui lui était cher. Max Brito, ancien international ivoirien. Il avait disputé la Coupe du monde 1995 avec la Côte d'Ivoire, où il s'était très gravement blessé. Bakary Meité lui dédie cette chronique.

Je t’ai connu. Je t’ai perdu.

Ma mère nous a maladroitement introduits. Quand je surprenais des bribes de conversations avec ses amies : "Vous avez vu le jeune rugbyman ivoirien à la Coupe du monde ? Mon dieu, quelle horreur ! Si jeune, si beau ! Le pauvre. Je le disais à mon mari, le rugby c’est trop violent, c’est trop dangereux ! Non, non, non, le mien fait du foot. Ah oui, oui, oui. Et le tien ? Du foot ? ah oui, c’est mieux…" Si elle savait…

Tout au long de ma tardive carrière, tu ne m’auras pas quitté. La "matère", encore elle qui rend compte aux mêmes amies un peu plus de dix ans plus tard : "Mais oui ! Je ne sais pas ce qui lui a pris. Pourtant, il adorait le basket. Il a vite abandonné le foot pour le basket. Et là, il me parle de rugby. Bien sûr que je lui ai parlé du jeune ivoirien qui s’est blessé à la Coupe du monde de Mandela. Mais tu sais bien comment il a la tête dure… Ecoute, on va prier pour lui"

Je t’avais à l’esprit, comme un précieux rappel que ma génitrice avait peur pour moi. Et quand la première sélection arriva plus tôt que prévu, l’idée que j’allais défendre le même maillot que toi, onze en plus tard, avait fait naître un sentiment de fierté qui supplantera la peur de notre pratique de barbare…

Notre première rencontre arrivera presque trop tard à mon goût. Je t’ai espéré. Je t'ai cherché. Tu vivais à travers les anecdotes de glorieux anciens. Qui te racontaient à leur sauce. Je buvais leurs paroles, et rêvais de pouvoir un jour vous imiter en étrennant le maillot des Éléphants, en France en 2007 ou en Nouvelle-Zélande en 2011. Il n’en sera rien.

Les rumeurs te localisent tantôt à Abidjan, tantôt dans les Landes. Souvent, on m’interpelle à ton sujet : il devient quoi le joueur ivoirien qui avait eu ce terrible accident ? Je suis sommé de répondre. Les instances du rugby sont clouées au pilori pour t’avoir lâchement abandonné selon les dires de certains. Je les laisse à leurs polémiques.

La rencontre aura lieu à Soustons. Je suis ému. Je repense à ma mère, qui t’avait utilisé pour me dissuader de jouer au rugby... Elle aurait tellement aimé te rencontrer.

Tu t’intéresses, tu connais ma carrière, tu me conseilles. Les mots sont simples, bien sentis et font mouche.

Ton entrée dans ma sphère privée est spéciale pour moi. Si j’ai eu à fréquenter des handicapés, je n’en connais pas personnellement. Et souvent, la question qui nous vient à l’esprit quand on croise quelqu’un dans un fauteuil roulant c’est comment ? Une myopathie ? Un accident ? Mais ton histoire je la connaissais que trop bien. Je savais pourquoi. Ce maillot que tu as défendu ardemment, je le défendais à mon tour. Et c’est ça qui nous unissait.

Quelque temps plus tard, tu me remettras mon dernier maillot de capitaine de la Côte d’Ivoire pour le dernier match de ma carrière. L’émotion m’étrangle, et je reste stoïque. J’ai des troupes à mener vers un combat qui s’avèrera victorieux.

Mardi aussi, quand j’ai appris la nouvelle. Un nœud inextricable se noue autour de ma gorge. Je pense à Sylvie, ta partenaire d’une vie, qui par son courage et son dévouement nous fait passer nous les courageux des terrains pour de simples pusillanimes. A Mike et Anthony, tes enfants. Il va falloir être fort les gars.

A Fabrice, ton petit frère, mon grand frère, la bonté incarnée, avec qui je partage ma peine et tellement plus.

Nous avions pour projet de coucher tes mots. Je voyais ce projet d’écriture comme un échange, une correspondance entre toi et moi. Nous n’avons pas eu le temps. Alors permets-moi de te conter ici, un peu.

Quand j’ai appris la triste note à ma mère, elle a prié pour que tu reposes en paix. Elle m’a dit pour me consoler, que tu avais emporté avec toi ces moments de joie qu’on avait partagé ensemble. Alors que je la crois sur parole, la douleur est vive.

Tu es libre Max. Mais je dois te le dire, tu ne me quitteras jamais.

Je t’avais près de moi tout au long de ma carrière. Que la paix t’accompagne dans ta dernière demeure. ?? pic.twitter.com/uLjSraYvCM

— Baky Meïté (@therealbak) December 20, 2022
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