La peur des snipers, le Bloody Sunday... Quand le conflit nord-irlandais s'invitait dans le Tournoi

Par Rugbyrama
  • Tournoi des 6 Nations 1972 - Jean-Claude Skrela (France) inscrit un essai contre l'Angleterre
    Tournoi des 6 Nations 1972 - Jean-Claude Skrela (France) inscrit un essai contre l'Angleterre
Publié le Mis à jour
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TOURNOI DES 6 NATIONS 2022 - Le conflit nord-irlandais s'est invité en 1972 dans le Tournoi des 5 Nations, qui n'est jamais allé à son terme après qu'Ecossais et Gallois ont refusé de se rendre en Irlande dans un contexte politique embrasé par la tuerie du "Bloody Sunday".

Il y a un peu plus de 50 ans, le dimanche 30 janvier, à Londonderry (Derry), des parachutistes britanniques ouvrent le feu sur une manifestation pacifique de militants catholiques, faisant 13 morts.

L'onde de choc est immense. Jusqu'ici cantonnés à l'Irlande du Nord, les "Troubles" - nom donné aux trois décennies de violences entre républicains, surtout catholiques, et unionistes, en majorité protestants - menacent de se répandre à l'ensemble de l'île. Et le rugby en devient une victime collatérale.

Alors que le XV du Trèfle, après ses victoires contre la France et l'Angleterre, commence à rêver d'un premier Grand Chelem depuis 1948, la Fédération écossaise annonce que son équipe n'ira pas à Dublin, craignant pour la sécurité de ses joueurs.

Le pays de Galles prend la même décision après avoir proposé en vain de jouer plutôt à Cardiff ou sur terrain neutre. Plusieurs de ses internationaux auraient reçu des lettres de menace provenant en apparence de l'Armée républicaine irlandaise (IRA).

Protection policière

"La situation a été tendue pendant un long moment en Irlande et rien ne laissait penser que nos adversaires étaient particulièrement menacés cette année-là. Si un ou deux joueurs avaient peur de venir, ils auraient pu en envoyer d'autres", estime l'ancien troisième ligne irlandais Fergus Slattery, de confession catholique.

Le légendaire deuxième ligne irlandais Willie-John McBride, un protestant d'Irlande du Nord, trouve, lui, quelques circonstances atténuantes aux Ecossais et Gallois : "La question irlandaise était complexe, ils ne savaient pas exactement ce qui se passait. Ils pensaient peut-être que tout le monde se battait dans la rue ici, alors que ce n'était le fait que d'un petit nombre d'individus."

Une fois même retombée l'émotion du "Bloody Sunday", le conflit nord-irlandais a fait vaciller pendant des mois les fondations du Tournoi des 5 Nations, sauvé in extremis l'année suivante, en 1973, par un échange téléphonique entre le capitaine irlandais McBride et son homologue anglais David Duckham.

"Il m'a appelé pour prendre la température, raconte "Big Willie", qui bénéficiait en tant que Nord-Irlandais d'une protection policière rapprochée lors de chacun de ses déplacements internationaux. Il me dit qu'il vient de se marier et que sa femme n'est pas très chaude à l'idée qu'il se rende en Irlande."

Standing ovation pour les Anglais

"Je lui réponds : "Tu es l'un des cadres de l'équipe d'Angleterre et si tu te débines, c'est fini, les autres suivront. Ne laisse pas les terroristes l'emporter", poursuit McBride. Il m'a rappelé dans la demi-heure pour me dire que c'était bon. Je suis persuadé depuis ce jour-là que cette discussion a sauvé le match."

Seuls trois Anglais refusent finalement de monter dans l'avion. Les autres, plus téméraires, ont tout de même la boule au ventre en se posant sur le tarmac de l'aéroport de Dublin.

Tout au long du trajet en car jusqu'à leur hôtel du centre-ville, le troisième ligne Andy Ripley se balance d'avant en arrière sur son siège pour "essayer de compliquer la tâche des snipers".

Des craintes peut-être superflues : le XV de la Rose est accueilli le jour du match de façon inhabituellement chaleureuse par les tribunes de Lansdowne Road.

"Ils ont reçu une standing ovation pendant cinq bonnes minutes, s'étonne encore l'ancien spécialiste rugby de l'Irish Times, Edmund Van Esbeck. C'est à ce moment précis que les choses sont revenues pour de bon à la normale dans le rugby européen. Le sport venait de triompher de la politique."

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