6 Nations 2024 - Les Bleus face à la critique avant l'Écosse : d'anciens internationaux témoignent
Après la lourde défaite face à l’Irlande, les Bleus et leur sélectionneur doivent affronter des critiques dont ils n'étaient pas habitués depuis quatre ans. Comment les gérer ? Peuvent-elles être destructrices ? Éléments de réponses avec d’anciens internationaux qui sont passés par là.
Après quatre années passées à redorer le blason, les premières secousses ébranlent la bâtisse bleue. Si la maison est encore loin de brûler, personne ne regarde cette fois-ci ailleurs et les critiques appuyées guettent à l'horizon avant le déplacement décisif en Écosse.
L'Irlande s'est promenée à Marseille face à des Bleus complètement dépassés.
— RUGBYRAMA (@RugbyramaFR) February 2, 2024
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La critique justement, Philippe Saint-André l’a connue. Ancien capitaine du XV de France, c’est surtout dans la peau de sélectionneur (2012-2015) qu’il n’a pas été épargné. "Cela fait partie du job, répond-il. La meilleure façon pour eux d’y mettre fin, c’est de gagner en Écosse, même en étant mauvais. La victoire épargne énormément de choses." Il n’est pas question ici de tout remettre en question - il serait malvenu de le faire après la sombre période qu’a connue le rugby français par le passé - mais le constat est pourtant là : 59 % des Français imaginaient une victoire française dans le Tournoi dans un sondage paru peu avant le début de la compétition. Cette perspective en grande partie envolée (les Bleus sont derniers du Tournoi et l'Irlande a une voie royale vers le sacre), les supporters et les observateurs seront sans doute moins conciliants à l'avenir. "Les joueurs s’en foutent de la critique", assène Maxime Mermoz, finaliste du Mondial 2011.
Vraiment ? "Moi ça ne me touchait pas, abonde Pascal Papé. À vrai dire, je ne regardais rien : la critique positive comme négative". Mais à l'ancien capitaine des Bleus aux 65 caps de nuancer : "J’avais des coéquipiers qui étaient à fond là-dessus. Ils regardaient les étoiles dans le Midol et ils prenaient très à cœur les remarques. Après, quand les critiques sont virulentes, elles viennent à toi car il y a toujours un copain ou la famille pour envoyer un message ou passer un coup de fil."
S’en protéger mais aussi l’utiliser
"Pour certains joueurs qui n’ont pratiquement jamais été critiqués depuis qu’ils portent le maillot de l’équipe de France, ça doit être complexe, pense PSA. Beaucoup regardent les réseaux sociaux, qui peuvent aussi bien multiplier la confiance, mais aussi engendrer du doute et des craintes quand ça ne fonctionne pas. Il faut savoir prendre le bon, écouter le mauvais pour se remettre en question, et être capable de se déconnecter pour revenir à l’essentiel, c’est-à-dire sur la performance individuelle au service du collectif."
Les critiques peuvent nuire à la santé mentale mais surtout à la performance
Pascal Papé a tout vécu en équipe de France. Le grand chelem 2010, la finale magnifique du Mondial 2011 perdue d’un petit point contre les Néo-Zélandais, mais aussi les années sombres jusqu'à l’humiliation suprême face aux mêmes Blacks quatre ans plus tard en quart de finale. "Nous avions les téléphones mais les réseaux étaient moins prédominants. Ce n’était pas complètement la même époque. Aujourd’hui, c’est multiplié par dix parce que ‘Jean-Michel Personne’ peut envoyer un message pour te dire que tu es une brêle. Il faut mettre des barrières et se dire que ça fait partie du job. Mais en aucun cas ça ne doit toucher personnellement car sinon ça peut nuire à la santé mentale mais surtout altérer la performance."
La critique peut aussi être constructive et permettre une remise en question. "Comme je l'enseigne à mon fils, l'écouter c'est une chose. La traiter pour se faire un avis le plus juste, c'en est une autre, raconte Mermoz. Vous savez, les premiers déçus ce sont eux." Doit-elle être utilisée dans la préparation d'un match ? "Je ne pense pas, confie Saint-André. Sinon cela veut dire qu'il n'y a pas beaucoup d'autres arguments et Fabien a de l'expérience, il saura trouver les mots justes."
Savoir s'entourer pour ne pas qu'elle devienne encombrante et néfaste peut aussi être une solution. "Se rapprocher de personnes qui permettent d’être dans la réflexion et l’analyse des critiques négatives, j’appelle ça l’entraînement invisible, explique Papé. C’est se préparer psychologiquement à vivre des émotions géniales ou pourries comme le week-end dernier. Prenons l'exemple de Matthieu Jalibert : il y a une semaine il était magnifique, aujourd’hui c’est soi-disant le pire joueur de l’équipe de France. Il faut savoir s’équiper parce que ce n’est pas naturel d’être aussi rapidement adulé comme détesté."
Le cas du sélectionneur
Comme tout grand personnage du rugby français, Fabien Galthié a une personnalité clivante. Aussi bien respecté que raillé, souvent jalousé, il cristallise une partie des critiques depuis l’élimination en Coupe du monde. "Dans la peau du sélectionneur, tu es en première ligne, et Fabien le sait, sourit son ancien homologue. C’est un poste où la critique arrive rapidement." Qu'est-il reproché à l'ancien demi de mêlée ? Un discours trop complexe, des explications pas assez directes ou franches ? Les mots sont parfois durs, comme ceux de son ancien président Mourad Boudjellal. Saint-André récapitule : "On s’attendait à un gros débriefing après le quart perdu, encore plus après cette défaite contre l’Irlande où il n’a pas dit grand-chose. Mais il est comme il est, c’est peut-être aussi sa façon à lui de réagir, une stratégie pour parler uniquement à l’intérieur de son groupe. Pendant une mauvaise dynamique, il est souvent plus simple de prendre les coups pour épargner son staff et surtout ses joueurs."
D’autant qu’à en croire Pascal Papé, l'homme n’a jamais été fervent des règlements de compte devant la France entière, y compris des coups de gueule dans le vestiaire. "Au Stade français, il n’avait pas besoin d’élever la voix parce que Domi (Christophe Dominici) s’en chargeait déjà assez, se souvient-il. Avoir des relais comme ça en intra-équipe, c’est extraordinaire. Moi, Fabien, je n'ai jamais eu de problème de management avec lui. Au contraire, je l'ai eu une saison (2007-2008) et il m'avait fait jouer toute l'année. J'avais beaucoup progressé et je m'étais régalé. Mais c'est vrai que les anciens du club qui étaient avec lui depuis quelques années n'en pouvaient plus" (rires).
Il faut savoir enfiler le gilet pare-balles
Nouveau mandat, nouvelle organisation, nouvelles attentes, beaucoup de choses ont changé autour de l'homme de Montgesty. Des hommes comme Labit, Ghezal, Giroud ou Laporte brillaient aussi bien de par leurs qualités qu'ils étaient devenus précieux dans leur rôle de paratonnerre. "J'ai une pensée pour les entrants dans le staff qui arrivent dans l'aventure (Sempéré, Arlettaz) et qui sont déjà sur le gril avec cette défaite", souffle PSA. Papé analyse : "Galthié risque d’être en première ligne et il n’a plus son ‘super manager’ Raphaël Ibanez avec lui qui l’accompagnait à toutes les conférences de presse et lui donnait l’opportunité de se concentrer uniquement sur le terrain. D’autant plus qu’aujourd’hui, nous sommes devenus des bourgeois du rugby, c’est-à-dire qu’on ne veut plus du tout que l’équipe de France perde." Attention donc à ne pas se brûler les ailes. "En 2011, Marc Liévremeont était en "guerre" ouverte avec notre presse. Nous, les joueurs, en avions souffert, regrette le deuxième ligne.
L'ancien sélectionneur et son capitaine ne sont cependant pas inquiets pour les Bleus. "Vivre des moments plus délicats est un passage quasi obligatoire pour chaque génération. Ça va être excitant de voir comment cette équipe répond et si elle a du caractère." Paul Boudehent apportait cette semaine une esquisse de réponse : "Bien sûr que le moral et l'ego sont touchés, mais on est tous des challengers, c'est notre métier donc on aime ça." Et au Goret de conclure sur Galtoche : "Être sélectionneur, c'est se retrouver en tête de gondole. Et parfois, il faut savoir enfiler le gilet pare-balles."
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