Les pas de la passion

Par Rugbyrama
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Retrouvez chaque mercredi "Les pas perdus d'un coach", la chronique d'Henry Broncan, l'entraîneur du FC Auch-Gers.

Jeudi 1er Mars :

Le grand quotidien local me fait beaucoup d'honneur : sur un bandeau de présentation, je figure en haut à gauche, attaquant une nouvelle fois la tiédeur de la Mairie d'Auch ; pour une fois, je souris un peu ; en général, le journal adore me présenter en train de "gueuler" sur le bord de la touche : dans certains foyers Gersois on doit dire aux petits enfants pas sages : "Attention, on va appeler le père Broncan !

En haut, à ma droite, Ségolène souriante et magnifique, est annoncée en visite à Auch pour la matinée de samedi : nous serons à Toulon... dommage.

Les hasards du jeudi après-midi me conduisent à la rencontre d'un passionné ; un ami me prévient : "tu vas voir ton clone mais surtout pas côté rugby !" Modeste maisonnette, voiture désuète, mon âge, des cheveux gris, environnement bordélique ; il a du mal à souhaiter la bienvenue : "allons à la bibliothèque" ; du mal à trouver trois chaises et curieuse satisfaction de notre part de ne pas se voir offrir un verre d'eau ou pire un café. Ce type c'est l'Ecolo, oh pas l'écolo Nicolas Hulot, Dominique ou Noël ! C'est le militant de base, insatiable dès qu'il est sur son terrain... un journaliste a écrit un jour à mon propos : "Henry, vous mettez une pièce de 5 Francs et il va vous parler de Rugby pendant toute la nuit".

Là, vous n'avez même pas besoin de mettre la pièce. C'est parti sur le nucléaire, la gestion des rivières et des nappes, les nitrates, les pesticides, les risques de pénurie pour l'alimentation en eau potable, la dilution, l'agriculture biologique et son dada actuel : l'extension du complexe gazier Lussagnet / Izaute... Total est dans son nez ; pas le moment de lui dire que je voudrais bien l'avoir sur le maillot du FCAG !

Ce type-là, je l'écoute se faire rabrouer par les services préfectoraux, municipaux, les multinationales... ; des fins de non recevoir qui le galvanisent, une lutte continuelle, avec très peu de reconnaissance, pas un frais de déplacement bien sûr : il défend notre planète ; à la sortie, j'ai honte de mes problèmes de subventions pour le FCAG !

Retour à Auch, par Aignan, Lupiac - pays de D'Artagnan - Bassoues, Barran ; le Gers magnifique : des multitudes de grues cendrées sillonnent le ciel... passage près de Mascaras, la ferme de Loulou ; dans mon bureau, parmi les cartes postales, tout le monde reconnaît le portrait du Ché - il a joué au Rugby en Argentine dans l'équipe de Platense - à ses côtés, le portrait de Loulou, fils de Philippe, un ancien demi de mêlée... Loulou est mort de la leucémie à l'âge où les enfants quittent l'école primaire pour le collège ; un de ses derniers sourires, il l'a esquissé quand G.P., mon capitaine d'alors, son voisin de Bassoues, a gagné ce match de Tyrosse dont je n'oserai plus jamais dire qu'il était "un match de la mort"... P... de vie ! le père m'adresse toujours un texto avant et après chacun de nos matchs : c'est un de ces rares hommes que je n'ose jamais regarder dans les yeux.

Vendredi 2 Mars :

Départ vers Toulon à 8 heures du matin... les joueurs dans ma bulle... un président, ancien ami de comptoir, reconverti chez les bobos et... toujours ami m'appelle : "nous avons un match capital, nous recevons N. ; nous sommes arbitrés par D.R., il est de chez toi : comment est-il ?"

DR est auscitain, fils d'arbitre, joueur moyen, il a vite repris le sifflet de son père, avant même d'avoir une vingtaine d'années ! Je l'apprécie beaucoup et je l'appelle souvent pour échanger nos points de vue sur les appréciations de la règle : il compte maintenant parmi les meilleurs du Top 14. Je réponds à mon interlocuteur : "il est impartial : c'est mon ami et pourtant, s'il devait m'arbitrer pour un match, même crucial, je suis sûr qu'il ne me ferait aucun cadeau... c'est d'ailleurs pour ça qu'il est mon ami !" Et j'ajoute : "il connaît très bien les règles ; il est présent sur le jeu mais comme tout le monde, il peut se tromper"... le dimanche, G. est battu sur sa pelouse : 18 à 20 !

Accrochage avec un agent ; j'ai eu de bonnes relations, curieusement, peut-être, avec beaucoup d'agents de joueurs. Ils ne sont pas tous obsédés par l'argent ; plusieurs défendent leurs joueurs ; j'ai une grande confiance dans celui avec lequel je m'entretiens. Son poulain c'est C.C., un superbe numéro 8 découvert en Bourgogne, auteur d'une bien belle saison ; l'agent m'annonce sans trembler : "B. le veut mais le club doit nous donner sa réponse mercredi

- et si B ne veut pas ?

- il restera à Auch..."

Colère terrible, le mauvais Henry, fou furieux !

"Alors tu nous prends pour une poubelle, un dépotoir... je ne veux plus jamais te revoir !"

Samedi 3 Mars :

Quand il y a grands matchs, les textes d'encouragements se multiplient ; j'aime beaucoup ; je vous ai gardé celui-là : "voici une citation de Geronimo, dernier chef indien de la tribu Apache, à résister aux blancs : "quand le dernier arbre aura été abattu, quand la dernière rivière aura été empoisonnée, quand le dernier poisson aura été péché, alors on saura que l'argent ne se mange pas." Vous, les Gersois êtes face à Toulon et son argent, les Geronimo du Rugby, alors courage."

Mayol, 14 000 spectateurs, guichets fermés, "Pilou... Pilou", "Toulon... Toulon". Tukino, Breedt, Henderson, Rossow dans la gueule pendant une mi-temps ! Mes joueurs sont admirables ; avec un peu de lucidité, nous aurions pu renverser le score en fin de partie. Dans les vestiaires, quelques accrochages verbaux parmi les miens ; c'est dur de perdre quand on n'est pas habitué ! Tous reconnaissent la qualité du public varois et s'extasient de la manière dont il a soutenu l'équipe de Crenca quand elle était en difficulté.

Sortie des vestiaires : la foule attend le passage des joueurs ; nos supporters sont là, heureux de notre résistance ; des Toulonnais nous applaudissent ; 3 ou 4, amicalement me branchent : "Henry, tu ne gagneras jamais à Mayol !"

Mourad Boudjellal est venu dans les vestiaires nous féliciter de notre prestation. Ce soir ses yeux brillent d'amour pour son équipe.

Dans le couloir, R.B. - vous savez, l'élève surdoué dont je vous ai parlé - pleure ; il ne voudra pas partager notre repas.

Dimanche 4 Mars :

5 heures du matin, arrivée à Auch ; je quitte RB : ses yeux sont encore rouges, la gorge serrée, "le masque" !

9 heures : je lis la Presse et donc le grand quotidien local. Ségolène a réussi son passage à Auch ; beaucoup de supporters ; des enfants posent autour d'Elle, autographes en main ; les leçons de Marcoussis !

On relate que dans la salle des Illustres, le Maire a poussé la chansonnette : "Ségolène, Toi si jolie, Ségolène, le printemps fleurit !"

L'Ecolo, le Papa de Loulou, l'Arbitre, le public de Toulon, Mourad, Ronan, Ségolène ! les Pas de la Passion...

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