La marche de l'Empereur

Par Rugbyrama
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Pour sa première chronique de l'année, Rodolphe Rolland salue la marche en avant des Toulousains... et leur manager général Guy Novès.

"Notre Empereur ne se sert pas de nos bras pour faire la guerre, mais de nos jambes", soulignait en 1805 l"illustre capitaine Coignet dans ses Cahiers [1]. Napoléon avait d"abord misé sur l"extrême mobilité de ses troupes pour mettre à genoux l"Europe toute entière et asseoir son empire : l"Histoire lui donna presque raison.

Quelques deux cents ans plus tard, Guy Novès, nourrissant des ambitions voisines, rêve de propulser son équipe sur la plus haute marche : "Remporter la H Cup, c'est être sur le toit de l'Europe" . Or ce faisant, le manager toulousain s'appuie, à la manière d'un Bonaparte, sur la mobilité de ses joueurs, des joueurs mobiles mais pas manchots pour autant. Analogie napoléonienne douteuse ? Après tout, pourquoi Novès ne se servirait-il pas des leçons martiales du petit stratège corse ? Robbie Deans, le coach du XV d'Australie s'inspire bien de "L'art de la guerre" de Sun Tzu pour élaborer ses stratégies, d'autres parait-il ne jurent que par Von Clausewitz et son opus majeur "De la guerre". Alors, à chacun sa marotte !

Toujours est-il qu'après quatorze victoires consécutives toutes compétitions confondues, le rythme imposé par Toulouse n'a rien d'un train de sénateur, et contraint les poursuivants à un effort colossal pour caresser l'espoir de rester dans la roue, au risque de surchauffe et de casse. Pour les impudents osant défier "la Grande Armée" toulousaine, la note est plus salée, l'épreuve vire au cauchemar, c'est l'humiliation au bout d'un supplice de quatre-vingts minutes. Peu s'en relèvent complètement indemnes à la vérité, l'ASM balayé en finale l'an dernier tarde toujours à retrouver sa place parmi le gratin, le Stade français assommé à Paris peine à recouvrer la sérénité du début de saison, l'élan bayonnais s'est brisé à Ernest-Wallon, quant aux "bleus" du MHRC, ils sont repartis samedi la tête basse, leurs prétentions prématurées dissoutes dans le grand bain du Top 14. Et pour confondre les arrogants quelle meilleure façon que de les anéantir là où ils semblent exceller ? La mêlée de Bayonne soufflée, Paris battu à son propre jeu (défense agressive et occupation du terrain au pied), et le petit rugby illustré de A à Z pour les Montpelliérains.

Non seulement le Stade toulousain est ce qui se fait de mieux en France et peut-être en Europe en ce moment, mais il faut reconnaître que Guy Novès n'a pas son pareil pour diriger son monde. On sent sa poigne sur le groupe. Il me semble aussi entendre ses mots dans la bouche des joueurs après les matchs, tous parlent la même "langue", de la même voix, aucune dissonance... Guy, grand amateur de chicanes, bretteur du verbe, nourrissant les polémiques et les controverses pour s'en nourrir à son tour et en tirer les propos idoines pour motiver ses hommes avant les matchs. Leur lit-il aussi des extraits de la bataille d'Austerlitz avant qu'ils ne pénètrent sur le terrain, comme le faisait mon ami Pascal Vincent, ancien troisième ligne et capitaine de Hyères à la fin des années quatre-vingt ? Cela m'étonnerait.

Novès aimé ou mal-aimé ! L'intéressé, qui déclare manager l'équipe comme on dirige une entreprise, s'en moque ; l'essentiel étant pour lui d'être performant le plus régulièrement possible. Entre rires et "pleurnicheries", entre coup de gueules et règlements de compte par voie de presse, Guy Novès et ses troupes poursuivent leur route en solitaire à la conquête de l'Europe et c'est bien là, franchement, tout le mal qu'on leur souhaite.

[1] Cahiers du Capitaine Coignet, présentés par Jean Mistler, de l'Académie française, avant-propos de Christophe Bourachot, Arléa, 2002.

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