Prépa physique : un Frenchy chez les Kiwis (épisode 2)

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Simon Barrué-Belou (31 ans) est préparateur physique et kiné. Il a travaillé durant 3 saisons au Stade toulousain, d’abord dans le staff de Guy Novès puis celui d’Ugo Mola. Début 2018, il est parti visiter plusieurs structures d’entraînement lors d’un voyage d’un mois en Nouvelle-Zélande. Deuxième épisode d'une saga en trois temps (de mardi à jeudi) : le contenu de la préparation physique.

Présentation du projet :

Simon Barrué-Belou : Après mon expérience au Stade toulousain à laquelle nous avons mis fin l’été dernier, en accord avec le club, j’ai de suite voulu profiter du temps que j’avais pour aller voir ce qui se fait ailleurs. Par curiosité, je souhaitais prendre du recul sur mon activité car, quand nous sommes en poste, nous avons souvent la tête dans le guidon. A Toulouse, mon rôle était de coordonner le lien entre la préparation physique et le secteur médical, et je me suis heurté à des difficultés attenantes à notre capacité d’organisation. La Nouvelle-Zélande a toujours été et reste la référence dans notre sport, que ce soit en termes de résultats, de qualité d’entraînement et de développement des joueurs.

J’ai donc voulu savoir en quoi la préparation et l’organisation sur place étaient réellement différentes des nôtres. Après avoir passé six mois à terminer mon doctorat en sciences du sport commencé quatre ans plus tôt, je suis parti mi-janvier à la rencontre de plusieurs structures. J’ai d’abord eu la chance de visiter la province des Blues, puis de découvrir la structure d’Auckland Rugby et son académie internationale mais aussi de voir fonctionner les Warriors (Rugby League). Et, enfin, de faire un bref séjour aux Crusaders à Christchurch. Il est évident que mon passage au Stade toulousain m’a ouvert les portes de ces clubs mais ma démarche a aussi été appuyée par des joueurs néo-zélandais avec qui j’ai travaillé durant cette période. J’en profite pour les remercier pour leur aide, ainsi que leurs familles.

Même les meilleurs joueurs Néo-Zélandais, ceux qui évoluent au plus haut niveau international, répètent des skills à longueur de journées

La préparation physique :

Rugbyrama : Dans le contenu, la préparation physique en Nouvelle-Zélande est-elle différente, voire plus dure, que celle qui est réalisée en France ?

S.B.B. : Le contenu de la préparation physique est ce qui m’a le moins surpris de tout ce voyage car c’est ce qui ressemble le plus à ce que nous faisons. Nous utilisons les mêmes outils, les mêmes méthodes et les charges de travail sont similaires. En revanche, il y a des différences et, encore une fois, un paradoxe : la prépa a sûrement une place plus importante, notamment par son influence sur la planification de l’ensemble des entraînements. Ceci car elle est au centre de l’organisation. Mais, dans le même temps, c’est bien le rugby et la technique individuelle qui priment, qui sont au cœur des séances, pas les aspects physiques.

Même les meilleurs joueurs Néo-Zélandais, ceux qui évoluent au plus haut niveau international, répètent des skills à longueur de journées, des choses toutes simples, sans intensité, des passes, des petites cellules de jeu. Ils le font avant, pendant, après les entraînements mais aussi durant les séances de physique, de muscu ou de réhabilitation. Forcément, l’exécution qui est réalisée par la suite à haute intensité n’est pas du tout la même. C’est sur ces aspects, je crois, que leurs entraînements sont différents des nôtres.

Sur le plan technique, les joueurs Néo-Zélandais sont souvent très précis

Car, lorsque l’on regarde le Super Rugby, on a l’impression que ça va plus vite qu’en Top 14. Cela peut-il s’expliquer par la dimension physique ?

S.B.B. : C’est vrai, ça va plus vite que le Top 14. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer. D’abord le calendrier et la durée du championnat puisque le Super Rugby dure quatre ou cinq mois quand le Top 14 dure huit ou neuf mois. Après cette compétition, les joueurs Néo-Zélandais continuent d’en disputer d’autres, qu’ils soient internationaux ou non. Alors si on additionne tous les matchs qu’un Néo-Zélandais peut potentiellement jouer dans une saison, on n’est pas loin de la France. Mais, en réalité, aucun ne joue autant que certains de nos joueurs. Ceci s’explique par des effectifs plus importants, donc davantage de possibilités pour les entraîneurs, lesquels planifient des turnovers, sûrement plus que nous le faisons.

Au-delà, le fait qu’ils aient deux ou trois entraîneurs différents en fonction de la compétition qu’ils disputent (Super Rugby, ITM cup, matchs internationaux), qu’ils soient mis en concurrence avec d’autres joueurs, qu’ils évoluent dans plusieurs systèmes de jeu et qu’ils préparent des compétitions à des périodes différentes, les amène à être moins sollicités, moins usés que certains de nos joueurs. Ensuite, il y a l’importance de l’intersaison et son impact dans la préparation. Lors des intersaisons en Top 14 (trois semaines à deux mois grand maximum selon les années), la plupart des clubs (surtout ceux qui terminent tard) n’ont pas la possibilité de développer quoi que ce soit sur la partie physique ou même sur le rugby. On met à peine les choses en place.

Lorsque les Néo-Zélandais travaillent pendant trois mois sans compétition, ils réalisent quasiment tout le boulot de leur saison et n’ont plus qu’à gérer l’état de forme une fois la compétition commencée.

Le rôle des prépas, aujourd’hui, n’est pas simplement d’amener à faire de la muscu ou de la course

Quoi d'autre encore ?

S.B.B. : Il faut aussi considérer l’intensité des entraînements. Les Néo-Zélandais arrivent sûrement mieux que nous à mettre en contraste des séances sans intensité dans lesquelles on répète des gestes, des animations, etc., avec d’autres à très haute intensité, que ce soit pour le rugby en collectif ou pour toutes les séances de prépa. Ils ne sont jamais sur un "entre deux", donc ils parviennent à atteindre des hautes intensités de travail sans prendre de risques car les quantités sont très bien maîtrisées.

Enfin, comme je l’ai dit, sur le plan technique, les joueurs Néo-Zélandais sont souvent très précis, ce qui accélère nécessairement le jeu. On pourrait proposer de nombreux autres paramètres explicatifs. Donc oui, le Super Rugby atteint des intensités plus importantes que chez nous mais sûrement pas grâce à une préparation physique différente. C’est le contexte qui diffère. On a souvent vite fait d’incriminer la préparation physique mais, sans chercher à prêcher pour ma paroisse, je ne suis pas sûr qu’elle soit si loin du compte. Notre contexte fait que la qualité de la préparation physique sera de plus en plus évaluée sur sa capacité à prévenir les blessures, notamment musculo-tendineuses, plutôt que sur son impact sur la performance qui a tendance à s’uniformiser entre les clubs.

Je crois que la force des Néo-Zélandais est de savoir intégrer toutes les compétences dans leurs staffs

Du coup, quelles leçons en tirez-vous en ce qui concerne notre préparation physique en France ?

S.B.B. : Peut-être qu’en France, la préparation physique n’est pas à sa place. Je crois que le rugby est un sport d’évitement qui est avant tout technique, donc que la préparation physique n’est pas là pour compenser les limites de la technique individuelle. Pour qu’un joueur soit performant, peut-être qu’il faut relativiser la part de ses qualités physiques et donc mettre le rugby et la technique en avant. Mais ça ne veut pas dire qu’il faut reléguer la préparation à un second rôle, au contraire ! Le rôle des prépas, aujourd’hui, n’est pas simplement d’amener à faire de la muscu ou de la course. Ils sont la caution de l’impact physiologique de tous les entraînements.

Ils ont les compétences pour préparer des hommes à jouer au rugby dans un système de jeu défini par les entraîneurs, pour quantifier et optimiser la charge de travail dans le but d’être performant et de prévenir les blessures. Ces aspects sont complémentaires des compétences des entraîneurs sur la technique et la stratégie de jeu. On doit pouvoir arriver à dépasser l’opposition entre travail physique et travail rugby. C’est la même chose et c’est indissociable. Je crois que la force des Néo-Zélandais est de savoir intégrer toutes les compétences dans leurs staffs. Là-bas, il n’y a pas plusieurs secteurs (rugby, prépa, médical et autres), il n’y en a qu’un seul et c’est, en partie, ce qui fait la différence.

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