La chronique de Villepreux

Par Rugbyrama
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Dans sa chronique hebdomadaire, l'ancien entraîneur du XV de France, Pierre Villepreux, revient sur les modifications des règles dans les catégories de jeunes. Il explique notamment les rasions de ces différents changements ce qu'ils vont entraîner concrétement dans le jeu.

La commission Ecole de rugby de la FFR a modifié les règles du jeu dans les catégories jeunes. La transformation, par rapport au "rugby digest" précédent, concerne entre autres, les lancements de jeu qui maintenant se feront à partir de mêlées (simulées chez les plus jeunes – réelles à partir de 14 ans). Rappelons que l’objectif des anciennes directives visait a développer le jeu adaptatif des jeunes pratiquants grâce à des lancements favorisant, y compris dans les lancements de jeu, l’émergence de la pensée tactique et en conséquence l’apprentissage de l’intelligence. Il ne s’agissait pas dans cette optique de définir un mode de lancement du jeu mais de se servir du mouvement précédent et de son arrêt pour relancer immédiatement le mouvement momentanément interrompu en laissant l’initiative aux utilisateurs du ballon de choisir dans l’instant, où et comment, ils allaient d’aller défier l’adversaire en fonction de sa faiblesse momentanée. Avec ce type de lancement, la variabilité des situations d’opposition plaçaient les utilisateurs en situation de réagir spontanément, intuitivement, et progressivement de manière consciente aux problèmes crées par le rapport de force momentané plus ou moins favorable.

Il s’agissait d’amener le collectif à la lecture la plus juste dans le cadre d’une adaptation immédiate et active même si le jeu était relancé à partir d’un arrêt du mouvement du ballon comme sur une phase statique. Le ballon étant disponible immédiatement, les défenseurs étaient placés en situation de recul, contexte forcément favorable pour les utilisateurs. On retrouvait ainsi le caractère fluctuant des situations rencontrées dans le mouvement total. Au jeu adaptatif des utilisateurs dans cette phase de lancement répondait en même temps et en réactivité la distribution la plus juste mais tout aussi adaptative des défenseurs. L’arrêt de jeu prenait tout son sens puisqu'il entrait dans la continuité du jeu précédent et projetait les antagonistes dans le successif.

Pour des raisons sécuritaires, accepter de former tous les jeunes joueurs dans la continuité à des attitudes, voire des positionnements réinvestissables dans les phases de jeu où il s’agit bien de s’affronter à l’autre (individuellement) ou aux autres(phases d’affrontement collectives) me parait juste et peut-être mis en oeuvre dans les échauffements ou dans des séances spécifiques. Ce n’est certes pas satisfaisant car effectivement passer d’une mêlée simulée à une mêlée normale réclame d’autres compétences pour les joueurs. Mais à moins de 15 ans, en pleine croissance, le risque c’est d’aller vers une spécialisation très aliénante pour des joueurs de cet âge, d’autant que dans ce rugby qui est celui des grands, le nombre de mêlées, compte tenu des normales lacunes techniques et tactiques sera beaucoup plus important. On va passer beaucoup de temps à former des spécialistes et donc moins de temps pour développer les joueurs de rugby capables de répondre aux exigences tactiques et techniques du jeu moderne, d’autant plus que l’on ne sait ce que sera le même enfant de 5 à 6 ans plus tard. La démarche de formation française du jeu et du joueur telle qu’elle est présentée aux éducateurs en formation en est forcement bousculée.

J’espère que c’est bien la dimension sécuritaire qui guide ce choix et que l’on soit enclin, pour les moins de 15, d’en passer par là. Mais pour les moins de 13 et moins de 11 ans, on a pareillement décrété de relancer le jeu avec des mêlées simulées et des touches.

Je n’y vois que peu d'intérêt et beaucoup d’effets pervers, entre autres :

Le risque de voir, dans le travail d’entraînement, les éducateurs donner la priorité à la mise en place de combinaisons de jeu sophistiquées et de programmation de temps de jeu successifs. Une copie du haut niveau qui relève de l’analytique. Il s’ensuivra un apprentissage programmé dicté par l’éducateur et appliqué par les joueurs. Les effets néfastes seront d’autant plus criards du fait de et de l’immaturité tactique et technique. On hypothéquera le développement de leur faculté d’agir par eux-mêmes et de manière consciente.

Le risque c’est de voir ce jeu trop organisé devenir prégnant. Il garantie certes un ordre et rassure mais du fait de la rigidité que ces lancements vont générer, cette organisation beaucoup trop précoce ne permettra pas l’exploitation du potentiel des joueurs, ce qui sanctionnera le collectif.

Le risque de délaisser les situations d’intelligence, celles où la lecture du jeu devient une exigence pour, dans le jeu et par le jeu, favoriser la découverte des possibilités et options diverses développant, encourageant ainsi l’esprit d’initiative en faisant émerger les références communes utiles pour maîtriser collectivement les effets d’oppositions.

Le risque de voir sur ce type de lancement, le jeu des attaquants ne pas être efficace compte tenu de l’envahissement anticipé du camp adverse par la défense (c’est vrai au plus haut niveau, ce sera encore plus accentué au niveau jeunes) rendant difficile voire impossible le franchissement de la ligne d'avantage donc ne créant pas les conditions d’avancer utiles pour favoriser la continuité du jeu. Prendre plus de profondeur ne sera pas une solution bien au contraire, les utilisateurs joueront encore plus dans leur camp, ce qui privilégiera, imposera le choix du jeu au pied.

Quand aujourd’hui on a l’avantage de pouvoir visionner dans la foulée deux matchs, un qui se joue dans le super 14 et un autre qui se déroule en Top 14, on est frappé de la différence d’intentions de jeu produits au sud relativement au Nord. L’état d’esprit est frappant, la confiance qui habite les joueurs sudistes est tout aussi exceptionnelle. Toutes ces intentions n’ont pas pour conséquence de mettre en œuvre un rugby édulcoré mais un rugby qui est bien jouée avec la rigueur physique utile dans le respect des fondamentaux de ce sport avancer soutenir et dans le choix des formes adéquates à la main ou au pied. Ce rugby ouvre l’espace à l’expression individuelle et à la cohérence de la mise en œuvre collective.

La compétition du sud devient formatrice car les joueurs sont davantage impliqués, mobilisés dans des situations où il s’agit de s’adapter à l’incertitude et à l’instabilité. Ce que notre compétition jeune justement va tempérer puisque le règlement de lancement du jeu va amener les éducateurs à se préoccuper de celui au détriment de l’essentiel, ce qui se passe après .

Nous reviendrons sur ce concept de spécialisation et d’adaptation aux exigences du jeu dans un prochain article.

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