La chronique de Rolland

Par Rugbyrama
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Notre chroniqueur Rodolphe Rolland livre sa vision très personnelle de la tournée des Bleus en Nouvelle-Zélande.

"Que diable allaient-ils faire dans cette galère ?"
Oh, le malheureux !
Quel sacrilège !
L"illustre formule de môssieur Molière est construite au seul singulier de...
Je vous arrête tout de suite : je m"en moque !
Que l"honorable Comédie Française et le cortège octogénaire des Immortels veuillent bien pardonner ma forfaiture ; mais après tout, comment faire rentrer trente gugus au pluriel dans une singulière embarcation ?
Et puis, je venge à ma façon toutes les générations de collégiens martyrs que Scapin a fait c... durant l"assommoir des cours de français !
Donc, je persiste : "Que diable allaient-ils faire dans cette galère ?"

Reconnaissez que pour le profane, se cogner un voyage à l'autre bout de la terre après l'enfer d'une saison de Top14, pour y recevoir, certains des centaines de projectiles, d'autre une rossée à la sortie d'un taxi et un trophée en fer blanc pour l'ensemble sous le climat hostile d'un hiver austral, a de quoi surprendre.

Certes, notre profane lambda associe les All Blacks à leur Haka, ultime produit dérivé "made in New-Zealand", objet culte de la consommation rugby, comme il associerait, par exemple, les Américains à Mc Donald, mais pour le reste... Se doutait-il seulement que l'hémisphère sud – et en particulier la Nouvelle-Zélande – était historiquement la référence absolue en matière de rugby, que pour se jauger, l'équipe nationale avait pour coutume de venir se frotter aux antipodes, de se mesurer aux maîtres étalons du cuir pour y gagner en légitimité et enfin, que chaque joueur français empocherait une fois les tests achevés, la coquette prime de 20 000 euros distribuée en récompense des efforts consentis ?

Nous, amateurs de l'ovale et supporters cocardiers, nous le savions.

Nous savions en outre que cette virée, plus Iron Man que circuit touristique, apothéose finale de la loufoquerie calendaire du rugby français, était stricto sensu un véritable test pour Marc Lièvremont et ses hommes. Nous savions que loin de France, l'équipe et le staff étaient venus chercher, sous l'altocumulus lenticularis, un niveau de performance constant qui faisait jusqu'alors défaut à ce XV tricolore en proie à des pannes de secteur inquiétantes, qui commençaient à sérieusement compliquer la vie à trois des sélectionneurs.

En ayant remporté la victoire à Dunedin et perdu de quatre petits points la rencontre de Wellington, on peut sans doute affirmer que les hommes de Lièvremont ont largement rempli leur mission, et ce même si les All Blacks présentèrent par deux fois une équipe inédite, service minimum tendance troisièmes couteaux, les seconds ornant les tables fastueuses de l'hémisphère nord et donc inéligibles.

Le visage de cette équipe de France a plu: rigueur défensive, mental d'airain, des talents offensifs encore mal exploités, mais qu'on devine présents à l'état brut et puis cette volonté opiniâtre de s'accrocher jusqu'à la fin des temps, alors qu'on est dans le dur d'une tournée de fin de saison.

Toutes ces qualités dont on fait l'éloge, comme le rappelait Jacques Verdier dans son édito du 15 juin, sont indiscutablement le corollaire rigoureux d'un championnat âpre, rude, exigeant où les caractères s'épanouissent.

Le Top 14, c'est des matchs à couteaux tirés, c'est parfois la purge sans éclat, l'enjeu qui prime, une lutte féroce chaque week-end.

Le Top 14, c'est l'école de la souffrance.

Un rugby moins spectaculaire que le Super 14, son cousin du sud, mais plus authentique, moins artificiel car privilégiant l'affrontement collectif plutôt que les duels. Et ce sont ces vertus de combat collectif qu'on célèbre aujourd'hui chez le XV de France.

Reste qu'en poussant trop loin vers le seuil de souffrance, c'est la santé des joueurs qu'on expose.

Alors, "Que diable allaient-ils faire dans cette galère ?"

Que peut-on bien faire dans une galère si ce n'est ramer ?

Ramer oui, mais tous ensemble sur le même rythme, histoire de conserver cette vitesse de croisière en vue du prochain test qui s'annonce le plus difficile de la série.

L'équipe d'Australie n'est guère supérieure à celle de Nouvelle-Zélande, mais ce match-ci arrive après les deux précédents, les organismes sont fatigués, les blessures se multiplient, les coachs rapiècent l'ensemble pour tenter de finir sur une bonne note, pas gâcher l'impression générale, bien achever l'écheveau...

Voyant l'état d'épuisement des joueurs français, ou plutôt de ce qu'il en reste, il serait temps de se pencher un peu plus sérieusement, enfin, sur ce fichu calendrier dont on réclame la tête sans ambages.

Marc Lièvremont a grandi ("Sud-ouest" du 08 avril 2009), l'équipe de France a grandi, il serait temps que les dirigeants du rugby français achèvent aussi leur croissance.

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