La chronique de P.Villepreux

Par Rugbyrama
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Suite aux mauvais résultats des clubs français dans le week-end européen, notre expert Pierre Villepreux analyse les raisons.

"La montagne est bien haute mais plus d"un se plaint de sa hauteur sans tenter d'y monter."

Si l'on y regarde d'un peu plus près, cette pensée chinoise peut apporter un éclairage sur les raisons des mauvaises performances du rugby français dans cette coupe d'Europe 2007. Le bon rugby n'est plus le nôtre du moins pas assez souvent. La production des clubs gallois et écossais est significative, depuis un certain temps, d'un état d'esprit différent par rapport au jeu.

Le championnat français et la crainte de mauvais résultats nous conduisent à pratiquer un jeu qui se nourrit de schémas trop immuables au détriment de l'exploitation adéquate des situations favorables que le jeu actuel ne manque pas de développer. De ce fait, les perturbations que proposent l'adversaire et l'incertitude (composante essentielle du jeu) provoquée sont perçues comme un risque et rarement comme une opportunité. Même quand ils sont capables d'apprécier le degré et à l'importance des perturbations défensives, les joueurs se retranchent derrière un plus prudent.

On joue sur un registre de précaution. Conservation abusive du ballon et formes d'affrontements stéréotypées qui vont avec - occupation du terrain - sont devenues les options sur lesquelles on s'appuie en priorité pour tenter de gagner. Quelquefois ça marche, mais la pauvreté du jeu en devient affligeante.

En ce sens, le contre-pied que nous ont réalisé gallois et écossais le dernier week-end me parait, même si décevant pour nos couleurs, particulièrement intéressant à condition de savoir rebondir en ne se cachant pas les vraies raisons de nos lacunes actuelles dans la conquête de l'Europe.

Pour évoluer, il faut accepter de faire le deuil d'un rugby saucissonné, sans envergure. En revanche, il convient d'aller à la recherche, sans appréhension ni arrière-pensée, dans la continuité, et pas seulement le temps d'un match, d'un jeu total forcément sans complexe qui va mobiliser la pensée tactique et enrichir activement les connaissances et les savoir-faire tant individuels que collectifs. Un jeu intelligemment intuitif donc moins rationnel.

Gallois et Ecossais chaque fois qu'ils ont eu le ballon n'ont eu de cesse, quelle que soit la forme de possession du ballon, de provoquer le jeu. Et ce n'est pas par hasard si ces équipes ont, tout d'un coup, moins joué au pied défensivement ; ont, grâce à leur souci de jouer debout, comptabilisé bien moins de rucks que la moyenne habituelle et quand cette option était choisie, parce que inévitable, la vitesse de libération permettait de conserver l'avantage acquis sur la défense.

Y a-t-il plus de risques immédiats à pratiquer ce jeu relativement à d'hypothétiques avantages?

Dans ce rugby, la vitesse est une composante prioritaire. L'efficacité est présente quand les prises de décisions se font dans le bon tempo. La transformation rapide des situations oblige le porteur de balle et ses partenaires à réactualiser les choix par rapport aux effets d'oppositions mouvants et aléatoires. Dans ce contexte, le porteur de balle et ses partenaires doivent favoriser la lecture du jeu puisqu'il s'agit bien d'agir et de réagir en fonction de ce que l'on trouve devant soi.

Seule la multiplication des expériences en terme de réussite et erreurs va enrichir la connaissance. Le joueur progressivement ne va plus être démuni face à l'incertain. L'acquisition de repères et indices significatifs va lui permettre de guider ses décisions et d'être utile à l'action en cours.

Ce jeu spectaculaire pratiqué ce week-end par nos adversaires gallois et écossais n'est pas parfait, mais les intentions manifestées pour privilégier ce jeu en mouvement sont significatives d'un perfectionnement tactique considérable en tout cas suffisant pour faire mieux que rivaliser avec panache. Ce rugby est-il le jeu gagnant de demain ? Je l'espère même si on peut, a contrario, arguer que le rugby supra structuré des clubs anglais - à un degré moindre Bath - semble prouver le contraire. Ces clubs ont, dans l'instant, les meilleurs résultats, mais ce rugby s'avère être tellement décevant quant à la qualité. Le game plan anglais qui contraint le joueur à agir par rapport aux obligations que lui impose le système offensif choisi par l'entraîneur n'est pas ma tasse de thé. Son efficacité réside dans la force mentale et physique des anglais à user physiquement l'adversaire en multipliant individuellement les phases de "rentre dedans". Cette priorité permet la conservation du ballon mais obscurcit la capacité des joueurs à prendre en compte consciemment le rapport de force du moment de jeu. C'est suffisant quand ils nous rencontrent pour nous perturber efficacement et le plus souvent nous battre surtout si on y oppose un jeu trop rationnel et prudent.

Il devient urgent dans le Top 14 , mais aussi à tous les niveaux de la pratique d'aller vers un rugby où l'on va accepter de prendre davantage le jeu à son compte. Il faut ouvrir ainsi une brèche dans le mur de certaines certitudes donnant la priorité à un jeu rationnel trop prudent qu'il ne convient pas d'éliminer mais de recadrer. Les enjeux tactiques à faire accepter aux joueurs doivent se transformer, ce qui veut dire qu'il faut solliciter chez les joueurs d'autres ressources si l'on veut développer leur esprit d'initiative et d'anticipation, celles qui leur permettront à terme de maîtriser mieux et en confiance les situations de plein mouvement, complexes et aléatoires. S'engager dans une évolution profonde du jeu actuel donc des modes de décisions et d'action des joueurs prend du temps. Il faut du courage pour l'entreprendre.

Toulouse a un peu d'avance en la matière, mais on a vu que rien n'est acquis et qu'il convient quel que soit l'adversaire de chercher à imposer son jeu en produisant plus, surtout quand celui-ci, comme ce fut le cas de Glasgow vous lance un défi, en jouant tous les ballons. Croire que la défaite de Toulouse est avant tout une défaite, provoquée par un trop de confiance face à un adversaire déprécié, serait une erreur. Peut-être mais la défaite toulousaine est aussi liée dans ce match à la capacité de ce collectif (surtout en première mi temps) à répondre encore trop irrégulièrement aux exigences tactiques que le jeu de mouvement choisi demande. Le match précèdent contre Dax n'avait pas lui non plus répondu aux attendus tactiques que l'on est en droit d'espérer de cette équipe.

Les Toulousains ont de l'avance et s'ils veulent la préserver, il leur faut aller encore plus loin dans leurs intentions, seule façon de ne pas menacer, à la fois, la survie d'un système de jeu qu'ils revendiquent et l'enrichissement de leurs capacités tactiques et techniques.

L'enjeu d'un rugby total dans le championnat de France et européen, c'est aussi préparer une éventuelle réussite du XV français lors de la prochaine Coupe du monde en 2011. Ce changement d'état d'esprit par rapport au jeu est incontournable si on veut que les futurs sélectionnés puissent répondre mentalement et physiquement aux exigences tactiques que ce rugby et ses règles demandent et que certains de leurs adversaires sont en train d'acquérir.

Si on le veut, on verra que la montagne n'est pas aussi si haute qu'on l'imaginait.

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