Chronique de P.Villepreux

Par Rugbyrama
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Pierre Villepreux revient sur le style de jeu qu'il défend depuis toujours, pour la simple et bonne raison que ce style-là n'a pas vieilli.

Dans cette chronique, il ne s'agit pas de proclamer que le meilleur jeu, le plus beau doit être celui que nous mettons en avant. Si j'exprime des pulsions différentialistes par rapport à d'autres styles de jeu, ce n'est pas pour infiltrer les cerveaux et imposer une conception unique du jeu et de la formation qui doit logiquement en découler. Ce serait s'enfermer dans une bulle qui exclurait tout autre mode de pensées. Je ne souhaite donc pas être rangé dans une catégorie de théoriciens qui ne seraient pas ouverts à d'autres styles et conceptions. Mais si je souhaite continuer valoriser le choix d'un style, c'est aussi que le courant didactique dans lequel je m'inscris, malgré le temps, n'a pas vieilli.

Il me semble même plus que jamais d'actualité, si on accepte que le rugby d'aujourd'hui présente certaines limites qu'il convient de dépasser pour lui donner encore plus de visibilité, plus d'audience avec toutes les conséquences que cela implique. Pour que cette évolution se réalise dans les meilleures conditions et fédère autour d'un style et d'un choix de formation d'abord les techniciens et les joueurs, il faut que le rugby qui gagne soit produit par les équipes qui jouent effectivement en mouvement. En ce sens, la Coupe du monde a peu apporté. Elle a même surtout montré l'inverse même si on peut argumenter sur la production de certaines équipes, particulièrement les Fidji. Le défi au jeu qu'ils ont lancé aux meilleurs, y compris et surtout contre les futurs champions, même s'il a provoqué de la sympathie va être rapidement oublié puisqu'ils n'ont pas gagné. Dans notre société, c'est le résultat qui valide, perdre avec panache ne suffit pas pour être reconnu, pour influencer les techniciens et remettre en cause une production gagnante plus porteuse de menaces que d'espoir.

Je ne suis d'ailleurs pas sûr que l'arrivée de nouvelles règles - même si elles sont nécessaires - puissent créer une dynamique capable de transformer le jeu s'il n'y a pas la volonté de la part des techniciens pour les utiliser de manière positive.

Jouer en mouvement implique une claire définition de cette option et une non moins claire connaissance du processus de formation des joueurs pour les y faire accéder. Pour "savoir jouer en mouvement", il faut déjà, c'est une évidence, les placer dans des situations de plein mouvement. Ce qui veut dire qu'il convient de porter l'accent dans le temps à une connaissance toujours plus fine et judicieuse des principes de développement tactiques de l'action momentanée de jeu et de son évolution, tant en attaque qu'en défense. Cette connaissance tactique conditionne le niveau d'habilité gestuelle utile. C'est bien cette réalisation technique qu'il conviendra d'imbriquer dans la formation tactique pour qu'elle soit la conséquence de la bonne prise de décision, du bon choix, du jeu juste et non pas perçu comme c'est le cas trop souvent comme la raison des lacunes constatées.

Dans cette optique, on les forme à devenir des joueurs polyvalents capables, dans l'instant de jeu, de prendre l'initiative qui s'impose quel que soit le numéro que l'on porte dans le dos et quelles que soient l'action et la séquence de jeu, mais aussi la forme de jeu dans lequel il se trouve momentanément impliqué (contexte "situationnel" de suppléance - forcement transitoire) qui lui permet d'exploiter sa polyvalence. C'est ce vécu dans ce "plein jeu" en créant dans un premier temps les conditions d'avancée suffisante indispensables qui va faire prendre conscience des comportements utiles à avoir dans toutes les phases d'arrêt du mouvement du ballon (ruck et maul) mais aussi forcement dans les phases statiques.

Ce long chemin de formation, qui accepte le mouvement comme premier, donne aux joueurs en attaque :

-La capacité de produire des mouvements de jeu complexes et efficaces d'abord grâce à prise de conscience des effets produits sur la défense.

-La capacité tout en même temps à exploiter de manière justifiée les récupérations de balles (quand jouer vite sur "turn over", quand contre-attaquer sur coup de pied adverses)

Effectivement il s'agit bien pour avoir demain ce type de joueurs, de ne pas se tromper de formation, surtout dans celle que l'on qualifie "d'initiale". Cette dernière est déterminante pour l'avenir du pratiquant.

Rien de cela n'est possible si au moindre accroc on revient à un jeu restrictif, à un plan tactique toujours le même avec l'enchainement précis d'actions répétées de manière immuable tout au fil du match. Si ce jeu gagne, on ne place plus les joueurs en situation d'évoluer. Sorti du "système fermé", leurs capacités à modifier le jeu deviennent sinon nulles du moins de plus en plus faibles.

Le match Toulouse-Leinster est en ce sens plutôt rassurant. Espérons que cette production suscitera des vocations.

Il s'agit bien d'une démarche de formation pour l'entraîneur à laquelle il faut faire adhérer les pratiquants. Elle s'appuie sur un travail particulier pour leur donner des points d'ancrages fiables et fermes, des repères qui ne dictent pas la marche à suivre, mais bien des balises permettant quoi qu'il arrive de rester sur la voie, ce qui n'empêche pas pour autant le renouvellement des interrogations

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