La chronique de Pierre Villepreux

Par Rugbyrama
Publié le
Partager :

Notre expert, l'ancien entraîneur du XV de France Pierre Villepreux, revient en chiffres sur la défaite de la France contre l'Angleterre la semaine dernière.

L'analyse d'un match n'est toujours facile.

L'évaluation d'après match est souvent subjective et liée aux compétences et connaissances de l'évaluateur. Ce ressenti d'après match peut être recadré par une deuxième analyse a priori plus objective provenant des statistiques. Les "stats" apportent un complément d'informations plus rationnel mais cela n'exclut pas pour autant toute subjectivité. En s'appuyant sur un nombre limitée de statistiques, il devient difficile d'approfondir la réflexion.

Cependant si l'on se prête au jeu on remarque que les statistiques choisies pour ce dernier France-Angleterre demanderaient à être complétées, mais elles n'en sont pas moins intéressantes. Quelquefois si elles confirment ce que globalement tout le monde a vu, elles ne manquent pas cependant d'apporter un éclairage parfois singulier sur le jeu produit.

1- Temps de possession du ballon :

France : 20'21 ( 8'54+11'27) - Angleterre : 15'42 ( 7'34+ 8'08)

Ce temps de possession, n'est pas pour autant significatif de la qualité ni de l'efficacité du jeu produit.

La France a plus "joué" que les Anglais mais rappelons nous, lors de la Coupe du monde, le pourcentage de possession du ballon en faveur des All Blacks était de l'ordre de 75%, ce qui ne les a pas empêchés de perdre. Il ne suffit pas d'avoir le ballon, mais de voir comment on l'utilise. C'est bien donc le comment on produit du jeu qui est en cause et pas le combien.

2- Temps imparti dans les séquences de jeu réalisées par les 2 équipes :

France : 19 séquences inférieures à 10 secondes - Angleterre : 27 séquences inférieures à 10 secondes
France : 23 séquences entre 10 secondes et 40 secondes - Angleterre : 21
France : 8 séquences entre 40 secondes et 1 minute - Angleterre : 4
France : 3 séquences de plus d'1minute - Angleterre : 2
France : 53 séquences- Angleterre : 54

Avec pratiquement le même nombre de séquences, cette analyse tend à confirmer que les Français "conservent plus" mais cela ne veut pas dire pour autant que ces séquences ont été efficaces puisqu' il aurait fallu lier le temps de conservation avec le degré d'avancer réalisée dans chaque séquence. C'est ce "principe fondamental d'avancer" qui est significatif de la déstabilisation de la défense et il ne m'a pas semblé que la France ni d'ailleurs les Anglais aient traversé souvent le premier rideau défensif..

En première analyse de suite après le match et sans avoir eu la connaissance de ces deux statistiques, je n'aurais pas parié que la France avait eu autant de possibilités pour développer leur jeu.

3- Balles à disposition :

France : 50 balles - Angleterrre : 48

Cette stat n'est pas surprenante. On la retrouve comme constante dans tous les matchs à ce niveau mais il faudrait se pencher sur la qualité des balles disponibles. Cependant cela confirme que les possibilités de jeu étaient identiques.

Même si on ne fait pas état de la provenance de ces balles (mêlées, touches etc), on peut donc accepter que les possibilités offertes aux uns et aux autres étaient semblables et que la domination attendue des Anglais dans les secteurs que l'on qualifie généralement de prioritaires, comme la mêlée- ruck et maul n'a pas été effective.

Il faut noter le peu de turn over (deux pour chacune des équipes). Ce qui tend à montrer que la conservation a été bonne. Cette incapacité à récupérer la balle a été certainement plus préjudiciable aux Français qu'aux Anglais car c'est sur ces ballons de récupération que le jeu des Bleus s'exprime le mieux.(ce fut le cas lors des deux matchs précédents).

4- Nombre de passes :

Statistique intéressante compte tenu du projet de jeu français et de l'impression générale perçue en fin de match quand au "trop de jeu à la main" des Bleus

France : 140 balles - Angleterre : 81

On n'est donc pas surpris de voir que la France a réalisé beaucoup plus de passes que son adversairs. Mais il faut relativiser ce constat. En effet quand on y regarde plus attentivement on s'aperçoit que les enchaînements réalisés et leur durée n'étaient pas significatifs de "mouvements collectifs efficaces" à même de générer des passes.

24 enchaînements sans passe pour la France contre 52 pour l'Angleterre
51 enchaînements à 1 passe contre 31
25 enchaînements à 2 passes contre 9
9 enchaînements à 3 passes contre 8
3 enchaînements à 4 passes contre 2
Pas d'enchaînement à 5 passes et plu

Plus de passes pour la France mais une grande majorité des enchaînements est réalisée avec une et deux passes. Ce jeu correspond à celui qui se fait le plus souvent devant la défense à des fins de déstabilisation de celle-ci. Quand il est efficace, il permet d'assurer la continuité en avançant facilitant ainsi le jeu de passes successif. Cette stat confirme la difficulté entrevue chez les Bleus de pénétrer dans la défense et donc de créer les bonnes conditions pour enchaîner le jeu en restant debout.

Il aurait été intéressant de regarder pour les deux équipes le nombre de passes qui se sont faites devant, dans, et derrière la défense. Je pense que cela aurait confirmé que Français et Anglais n'ont franchi le rideau défensif en utilisant le jeu à la main qu'en de très rares occasions (exception de la France sur son essai).

En tout cas cette stat montre que l'on ne peut pas reprocher aux Français de s'être trop passé la balle. C'était pourtant l'analyse de tous en fin de match. Le jeu, surtout en début de match s'est déplacé d'une touche à l'autre par de longues passes, mais ce jeu n'a pratiquement jamais rebondi et les enchaînements ¾- avants ont été très rares puisque le jeu de passes se finissait sur la forme de jeu choisie selon qu'elle était généré par les avants ou les lignes arrières.

4- Nombre de rucks :

Secteur du jeu capital puisque les rucks sont aujourd'hui la phase "mère" du jeu. On note que les 84 crées sur initiatives françaises ont entraîné une continuité du jeu mais seulement 21 sont générateurs de balles rapides, ce qui est préjudiciable pour assurer une continuité efficace. Mais en plus, les 21 ayant généré ces balles rapides n'ont pas, du fait d'une avancée insuffisante, créé les conditions optimales pour évoluer face à une défense désorganisée.

5- Jeu au pied :

Il n'a pas été utilisé de manière prioritaire ni par les Français ni par les Anglais, que ce soit pour assurer le gain de terrain (6 contre 8) ou pour laisser la balle dans l'aire de jeu (8 et 8).

Cette non utilisation du jeu au pied par les Français a semblé être une lacune. Malgré le temps de possession du ballon, ils n'ont pas su renverser le rapport de force attaque-défense. Celui-ci leur étant défavorable (peu d'actions ayant perforées la défense blanche), le jeu au pied devait en alternance et logiquement venir au secours du jeu à la main défaillant.

Conclusion :

Compte tenu des statistiques la France ne devait pas perdre ce match.

Cette équipe est en construction, mais, c'est bien le jeu qu'il s'agit de construire. Choisir de jouer au départ la forme de jeu qui avait gagné contre les Ecossais et les Irlandais ne me semble pas incohérent même et surtout devant les Anglais. Mais le "tout latéral" choisi, pour avoir une chance d'être efficace aurait dû aussi se combiner avec plus de jeu pénétrant autour de la cellule 10-12-13, jeu sur lequel doit se greffer le soutien axial des avants.

Dans le même ordre d'idée, l'excellente défense proposée par les Anglais n'a pas laissé de place au jeu de départ des Fançais. Cela aurait dû engendrer logiquement du jeu au pied.

Savoir s'adapter, c'est aussi changer ce qui a été prévu. Cette alternance main-pied aurait-elle été suffisante pour gagner le match ? A voir ! Beaucoup d'automatismes sont encore à mettre en place et c'est logique.

Jouer de manière pertinente donc intelligente en fonction du rapport de force proposé par l'adversaire devient un des enjeux de formation de cette équipe. Elle se doit surtout de continuer sur les bases d'un jeu ambitieux qui n'a de chance de réussir que si l'engagement dans le combat est présent, indispensable pour accéder au projet de jeu choisi par le staff.

Il faut avoir confiance et surtout il ne faudrait pas oublier que la stratégie "jeu au pied+défense" a montré ses limites en d'autres occasions particulièrement devant ces mêmes Anglais.

Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?