"Le rugbyman joue trop" assène le neurologue Jean-François Chermann

  • Test match - Jonathan Sexton (Irlande)
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Dernièrement, le All Black Carl Hayman, l’Anglais Steve Thompson ou le Gallois Ryan Jones ont tous avoué souffrir de troubles neurologiques. En France et dans le monde, le neurologue Jean-François Chermann est une référence, sur le débat des commotions cérébrales. À ce sujet, le monde du rugby hexagonal a-t-il oui ou non évolué ? Et si oui, comment ? Il répond, ici...

Où et quand situez-vous la prise de conscience vis à vis des commotions cérébrales, dans le rugby ?

Même si des choses avaient été faîtes auparavant, le cas Dominici (Christophe Dominici, alors ailier du XV de France, avait été mis KO par un joueur italien au cours du Tournoi des 6 Nations 2005, N.D.L.R.) a interpellé l’opinion et fait avancer les choses.

De quelle façon ?

Quelques jours après sa grosse commotion, Dominici était censé affronter Northampton en coupe d’Europe, à Paris. Or, à l’époque, le règlement stipulait que tout joueur commotionné ne pouvait reprendre la compétition avant trois semaines sauf si un neurologue donnait son blanc seing. Alexis Savigny, médecin du Stade français m’a alors demandé de l’examiner et de voir s’il était possible qu’il joue.

Et donc ?

Le KO de Dominici avait vraiment été spectaculaire, avec une perte de connaissance d’au moins une minute sur le terrain. L’opinion s’était émue que le joueur puisse revenir à la compétition quelques jours plus tard seulement. Et en France le monde scientifique était très en retard sur le problème des commotions dans le sport.

Et vous ?

A vrai dire, je n’y connaissais rien car il n’y avait aucune formation sur le sujet. Il a fallu que j’étudie ce qui était fait pour le football américain, que je lise les publications universitaires... Finalement, Dominici a repris quatre semaines plus tard.

Et ensuite ?

Il a fallu attendre huit ans, après le KO de Christophe Dominici, pour qu’un premier protocole soit mis en place par la Ligue Nationale de Rugby. […] J’ai écrit le livre "KO, le dossier qui dérange" pour sensibiliser le monde du rugby même si certains l’ont perçu comme une attaque contre ce sport.

Ce n’était pas le cas ?

Non ! C’était juste le cri du coeur d’un amoureux du rugby ayant pris conscience d’un problème majeur et global. […] Il y a dix ans, on ne déclarait pas les commotions. En 2011, je me souviens d’une réunion de fin de saison où à l’heure de dénombrer les commotions on en comptait huit au Stade français, huit au Racing (les seuls clubs qui étaient alors suivis par un neurologue, N.DL.R.), et on en dénombrait à la louche quatre dans tout le reste du Top 14.

Y a-t-il du mieux, aujourd’hui ?

Évidemment, cela n’a plus rien à voir. Le rugby français a fait sauter l’omerta. Un référent neurologue voit les joueurs suspects à 48 heures du coup d’envoi pour savoir s’ils sont aptes ou pas. Ce schéma a d’ailleurs été généralisé dans le monde par World Rugby.

Y a-t-il plus de commotions qu’auparavant ?

A partir du moment où on a mis en place le protocole en 2013, il y avait un peu plus de commotions chaque année. Depuis deux ans, c’est stable. On compte une quarantaine de commotions en Top 14 par saison.

Il y a encore des choses qui choquent, sur ce dossier : l’ancien talonneur anglais Steve Thompson est atteint de démence, l’ex-All Black Carl Hayman attaque World Rugby parce qu’il estime que sa vie a été mise en danger… Le rugby est-il un sport dangereux ?

Le rugby n’est pas plus dangereux que l’équitation ou la boxe. Le rugby est même loin derrière ces sports-là, en termes de traumatismes crâniens. Le propos n’est donc pas de stigmatiser la balle ovale.

Quels sont les symptômes les plus courants d’un joueur commotionné ?

Il y a les risques à court terme et les risques à long terme. A court terme, après une commotion, le risque de blessure, de fracture est réel. A long terme, des maux de tête, des troubles cognitifs peuvent surgir…

Et qu’entend-on par "démence", au juste ?

C’est le stade le plus problématique. La démence, c’est une altération des fonctions cognitives, avec la perte d’autonomie, des troubles de la mémoire, de l’humeur, du jugement… Les symptômes peuvent s’arrêter avec la fin de la pratique traumatogène ou alors continuer insidieusement après la fin de carrière, voire empirer. Il n’y a pas de règle.

Le rugby a fait beaucoup ces dernières années pour la sécurité des joueurs, sur les plaquages, les mêlées… Mais que pourrait-on encore améliorer ?

Le rugby est un sport qui sait réagir, s’adapter. C’est même le sport qui a le plus évolué, ces vingt dernières années ; et sans perdre sa dimension de combat ou pénaliser son spectacle, bien au contraire. L’aménagement des règles en mêlée a par exemple a raréfié les accidents de tétraplégie. On pense à protéger le plaqué mais il faut savoir que c’est la plaqueur qui est le plus touché par la commotion (des plaqueurs mal positionnés au moment de l’impact, N.D.L.R.)…

Quoi d’autre ?

Le rugbyman joue trop. Et les commotions apparaissent plus facilement chez des joueurs fatigués. Trente matchs par saison, c’est énorme. En MMA, on fait quatre ou cinq combats par an, rendez-vous compte… Il ne faut surtout pas multiplier les compétitions. J’ai également l’impression qu’il y a encore des choses à améliorer chez les jeunes : pour moi, et quitte à sembler un peu jusqu’au boutiste, on ne devrait autoriser les déblayages, ces phases de jeu qui ressemblent de plus en plus à du football américain et sont à l’origine de nombreuses commotions, qu’à partir de l’âge de 15 ans. Parce qu’avant, le cerveau n’est pas mûr et supporte mal ces chocs à répétition.

C’est intéressant...

On pourrait aussi, et ça me semble un axe de travail majeur pour les prochains mois, envisager les commotions dans le rugby féminin d’élite comme on le fait chez les hommes. Pour l’instant, les filles du haut niveau sont prises en charge comme des joueurs amateurs et ce n’est pas normal.

Vous vous occupez aussi du MMA (Mixed Martial Art) et référent de l’UFC en France, l’un des sports les plus violents au monde. Y a-t-il ici plus de commotions qu’ailleurs ?

Non. En boxe, un commotionné peut reprendre le combat après avoir été compté et c’est qui me pose un vrai problème de conscience. En MMA, le combat s‘arrête dès qu’il y a une suspicion de commotion c’est déterminant pour le neurologue que je suis. Les arbitres arrivent aussitôt, ne laissent pas le combattant reprendre des coups sur la tête. Cela prouve qu’un sport a priori violent peut être encadré.

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