"Dans le rugby, comme dans le sport en général, on fait semblant de lutter contre le dopage"

  • Illustration rugby
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  • Brice Dulin dans les airs
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  • Serge Simon, le manager des équipes de France
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Publié le Mis à jour
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Corticoïdes, higénamine, Captagon ®, Cocaïne… La lutte antidopage a bien sa place dans le monde du rugby. Si le débat peine souvent à s’installer avec sérénité, les différentes affaires révélées cette saison soulignent les limites et l’hypocrisie du système.

Reconnu comme l’un des spécialistes mondiaux du dopage depuis quarante ans, le docteur Jean-Pierre de Mondenard milite pour que la lutte antidopage soit retirée à toutes les Fédérations.

Docteur, aujourd’hui, il est très difficile d’aborder la problématique du dopage dans le rugby sans que les acteurs ne se réfugient derrière les fameuses valeurs de l’ovalie. Partagez-vous ce constat ?

Jean-Pierre DE MONDENARD : Mais si vous allez dans le tennis ou le football, on vous sortira le même discours. Je ne vois pas pourquoi cela serait différent dans le rugby dans la mesure où ce sont les gens du milieu qui vous répondent. Ils n’acquiesceront jamais qu’il peut y avoir du dopage dans le rugby. Tant que l’on posera des questions aux gens du milieu, on aura les mêmes réponses. Le rugby est le parfait exemple de la nature humaine qui nie tout ce qui plombe les supposées valeurs de son sport. Ainsi, les dirigeants, les instances fédérales, communiquent avec l’extérieur par l’omerta et la langue de bois. Au final, on comprend que ce n’est jamais de l’intérieur qu’un dirigeant efficace interviendra.

Illustration rugby
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Dernièrement, l’affaire de l’higénamine (substance utilisée pour le traitement de l'asthme, pour brûler les graisses et qui peut se retrouver dans les compléments alimentaires, ndlr) a entraîné un débat confus. Quel est votre regard sur ce dossier ?

J-P.D.M : On interroge Bernard Laporte qui vous dit que ce n’est pas du dopage. Guy Novès, lui, assure que Brice Dulin et Yannick Nyanga n’ont pas triché. Attendez, ces gens là sont médecins ? Ils connaissent quelque chose à ce qu’ils racontent ? Quand vous lisez les bouquins de Laporte, à l’époque où il était entraîneur de l’équipe de France (1999-2007), il prenait Lance Armstrong en exemple pour renforcer la motivation de ses joueurs alors que dès cette époque, une grande partie du milieu cycliste et certains organes de presse savaient que l’Américain et son équipe carburaient aux drogues de la performance (le sélectionneur avait montré un reportage de France Télévisions sur le coureur américain pour souligner son opiniâtreté à l’entraînement, ndlr).

"Il faut être un acharné de la légalité pour savoir que l’higénamine est interdite…"

Au moment où Brice Dulin et Yannick Nyanga ont eu recours à ces compléments alimentaires (octobre-novembre 2016), l’higénamine était-elle référencée comme substance prohibée (1) ?

J-P.D.M : C’était connu dans la mesure où un footballeur de l’équipe de France, Mamadou Sakho, n’a pas pu participer à l’Euro 2016 parce qu’il a été pris en avril 2016 à l’higénamine (molécule appartenant à la catégorie des bêta-2 agonistes qui améliorent les capacités respiratoires, ndlr). Dans le cadre de la Coupe d’Europe (UEFA), il a été contrôlé par un laboratoire de Cologne hyper référencé dans la lutte antidopage. Si ce laboratoire a indiqué que le résultat est positif, c’est bien que ce produit figure sur la liste. Au moment où Dulin et Nyanga la consomme, l’higénamine est sur la liste de produits interdits pour deux raisons : c’est un bêta-2 stimulant même si l’higénamine n’est pas nommément inscrit. Mais tous les bêta-2 stimulants sont interdits sauf le salbutamol, le formotérol et le salmétérol qui sont indiqués avec un seuil. Je conçois que Dulin et Nyanga ne connaissent pas tout ça. C’est vrai qu’ils ne sont pas aidés. Il faut être un acharné de la légalité pour savoir que l’higénamine est interdite même si leur responsabilité n’est pas totalement éliminée.

Brice Dulin dans les airs
Brice Dulin dans les airs

Cela veut dire que la position de l’Agence Française de Lutte contre le Dopage (AFLD) n’est pas claire ?

J-P.D.M : Dans le rugby, on fait semblant de lutter contre le dopage. S’il y avait vraiment une Commission compétente, cette affaire ne serait pas arrivée. On sait depuis le mois d’avril 2016 que l’higénamine a entraîné le contrôle positif d’un footballeur ! Mais le médecin de la FFR a informé qui ? Le médecin du club (Racing 92) a informé qui sur le fait que l’higénamine pose problème ? Le médecin de la LNR informe qui que ce produit est positif ? Personne ! Mais à quoi servent ces gens-là ? Donc je dis qu’ils ne luttent pas sérieusement contre le dopage. En résumé, ils ne donnent pas l’impression d’être concernés par le fléau.

Toute la ribambelle des Commissions est défaillante. Mais le pompon, c’est l’AFLD !

Quelle aurait été la position à adopter ?

J-P.D.M : La première chose qu’il aurait fallu faire, en avril 2016, c’est informer tous les joueurs évoluant en France que l’higénamine entraînait un contrôle positif. C’est leur boulot et leur seule action, c’est d’expliquer au moment de l’affaire Dulin - Nyanga : il ne faut pas prendre un produit qui n’est pas référencé dans la norme AFNOR (Association française de normalisation). C’est vraiment léger comme réponse. C’est leur job d’informer en amont et non a posteriori ! Toute la ribambelle des Commissions est défaillante. Mais le pompon, c’est l’AFLD !

Illustration rugby
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Pour quelles raisons ?

J-P.D.M : J’ai lu que Brice Dulin était allé sur le site de l’AFLD et qu’en tapant higénamine, on lui avait répondu que le produit n’était pas interdit. Au moment de la révélation des faits par Midi Olympique, courant janvier, j’ai effectué la même démarche et j’ai trouvé la même réponse. La responsabilité de l’AFLD, qui est chargée de la lutte antidopage en France et de la prévention, est totale. Ce n’est pas possible ! Ça fait plus de 40 ans que je suis les problèmes de dopage et nous sommes entourés d’amateurs. Pour sa défense, Brice Dulin a indiqué qu’un joueur de renom lui avait conseillé ce complément alimentaire. Il s’est senti sécurisé. Mais j’aurais aimé qu’il demande au médecin de l’équipe de France si ce produit était interdit et là, il mettait toute la lutte antidopage ovalienne dans le rouge car il est probable qu’il aurait eu la même réponse que sur le site de l’AFLD.

La cocaïne est utilisée dans les salles de musculation

Dernièrement, Ali Williams et James O’Connor ont été mis en garde à vue pour détention de cocaïne. Dans ce cas de figure, ça semble être à but festif mais quelle est selon vous la place de la cocaïne dans le sport et le rugby ?

J-P.D.M : Je m’étais déjà exprimé sur le sujet en 2002 lorsque le pilier du Stade français Pieter De Villiers avait été contrôlé positif à la cocaïne et à l’ecstasy lors d’un contrôle inopiné ordonné par le ministère des Sports. La cocaïne est utilisée dans les salles de musculation pour éteindre la douleur et pousser l’entraînement jusqu’à l’extrême limite. C’est un stimulant ultra-performant. Elle lève les inhibitions mentales et physiques. Elle améliore les performances par une augmentation de la réactivité et une meilleure tolérance aux chocs. Aujourd’hui, on ne se booste plus le jour de la compétition, mais pendant les entraînements, pour optimiser ses capacités physiques. Et on sait très bien qu’il existe des techniques qui permettent en quelques heures d’effacer dans les urines des substances interdites. La cocaïne, tout comme les corticoïdes, n'est pas interdite par les autorités sportives et n'est pas recherchée hors des périodes de compétition. Ce sont les règles de l’AMA. C’est une aberration !

Des évolutions institutionnelles sont-elles envisageables pour rendre la lutte antidopage plus performante ?

J-P.D.M : Dans le système sportif, les gens sont quasiment élus à vie. Il faut un tremblement de terre pour que les choses bougent malgré les erreurs. Regardez avec l’affaire Dulin - Nyanga. Qui va être viré à l’AFLD alors que le produit était référencé comme non-interdit sur leur site ? Personne ! La seule révolution qui peut marcher, c’est de retirer la lutte antidopage à toutes les Fédérations. C’est une position que le Comité International Olympique commence à avoir. Il faut un organe totalement indépendant. Le CIO veut créer une agence indépendante du monde du sport. Mais immédiatement, l’Agence Mondiale Antidopage (AMA) est montée au créneau en disant que cette agence devrait obligatoirement être sous sa coupe. Vous avez tout compris. Comme le disait le Docteur Robert Voy en 1999, qui était médecin chef du Comité Olympique américain (1984-1989), confier la lutte antidopage au mouvement sportif ou à l’USOC (comité olympique américain) est terriblement inefficace. C’est comme si on demandait au renard de garder le poulailler. Tous les médecins qui sont en dehors du pouvoir sportif arrivent à la même conclusion : la lutte antidopage laissée au mouvement sportif, c’est la porte ouverte à la temporisation, aux sanctions minimalistes, à la magouille. Pour faire bien, le monde du sport veut montrer qu’il lutte contre le dopage mais en réalité le but, c’est de n’attraper pas grand monde.

Serge Simon, le manager des équipes de France
Serge Simon, le manager des équipes de France

Quelle est la véritable responsabilité des sportifs ?

J-P.D.M : Les sportifs n’ont pas conscience qu’ils trichent parce qu’ils sont dans un milieu où le discours est le même. C’est culturel. Bernard Laporte a bien avoué qu’il avait pris du Captagon ® (stimulant à base d’amphétamines qui agit sur certains neurotransmetteurs) quand il était à Bègles. Serge Simon a reconnu que le premier match qu’il a fait en 1985, un match entre Nice et Toulon, on lui avait filé du Captagon ®. Et il a ajouté comme la plupart des joueurs de Première Division. Quand j’étais en contact avec des Internationaux des années 1970, ils me racontaient qu’ils prenaient des dopants (Captagon ®) et que c’était le médecin de l’équipe de France qui leur donnait.

Vous ne pouvez pas être Président d’une Fédération, entraîneur de l’équipe de France, essayer d’épingler les tricheurs et en même temps remporter des titres. C’est impossible. Ça ne peut pas marcher. C’est un conflit d’intérêt majeur

Vous semblez très alarmiste sur la lutte antidopage en France…

J-P.D.M : Le problème est aveuglant et personne ne le voit. Vous ne pouvez pas être Président d’une Fédération, entraîneur de l’équipe de France, essayer d’épingler les tricheurs et en même temps remporter des titres. C’est impossible. Ça ne peut pas marcher. C’est un conflit d’intérêt majeur. C’est comme le ministère des Sports. Il ne peut pas être le ministère de la lutte antidopage et être en même temps le ministère de la performance. Les premiers contrôles dans le cyclisme datent du début des années 1960. Les contrôles officiels sont apparus en France en 1965. Il a fallu attendre janvier 1978 pour voir les premiers contrôles dans le rugby. Et pendant qu’on en faisait des centaines dans le cyclisme, le rugby a eu droit à un seul contrôlé. Quatre joueurs ont été testés et en plus ils avaient été avertis à l’avance. Pour vous dire à quel point la lutte antidopage à l’époque, c’était de la rigolade. Aujourd’hui, si on analyse les différentes affaires qui se sont succédé pendant la saison 2016-2017, on a des doutes sur le professionnalisme des différents acteurs (instances, dirigeants, staffs, joueurs).

Illustration rugby
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Votre discours est assez fataliste. Cela sous-entend qu’on ne peut pas être performant sans se doper ?

J-P.D.M : Dans l’état actuel, il n’est pas fataliste. C’est la réalité. Le dopage est efficace. Ça se saurait si ce n’était pas le cas. A partir de ce moment-là, si vous laissez passer les tricheurs, il n’y a plus de compétitions. Les possibilités de tricher sont multiples. Il y a des substances indécelables. Il y a une liste de l’AMA de produits interdits et il y a un programme de surveillance. Les substances qui sont dans ce programme ne sont pas interdites mais on les surveille pour voir s’il y a un mésusage. En fait, ce sont des substances dopantes non interdites. C’est que j’appelle la liste jaune. On a eu un exemple concret en mars 2016 avec la joueuse de tennis Maria Sharapova qui s’est fait épingler au Meldonium (destiné à soigner les angines de poitrine et les cardiopathies, le Meldonium augmente les performances des sujets malades et serait efficace surtout dans les épreuves de vitesse, car il accroît la vascularisation du muscle cardiaque, ndlr). Le Meldonium est connu depuis 2000. En 2015, devant le retour fréquent d’informations comme quoi le Meldonium était utilisé pour se sublimer, on l’a mis dans le programme de surveillance et au 1er janvier 2016, il figurait dans la liste des substances prohibées. Mais ça faisait quinze ans qu’il était dans la pharmacie des sportifs. Cela montre bien que la lutte antidopage n’est pas entre les bonnes mains. Il faut vraiment être pointu pour se rendre compte que tout ce qui est fait a constamment un train, voire plusieurs, de retard. Ça fait cinquante ans que ça dure.

(1)Entendu par la commission de lutte contre le dopage de la FFR le 26 janvier dernier, le troisième-ligne du Racing 92 Yannick Nyanga a finalement été innocenté par la FFR. Un verdict qui pourrait également s’appliquer à l’arrière Brice Dulin qui affichait un taux de 19 nanogrammes par millilitre de sang.

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