L’ultime image

Par Rugbyrama
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Dans sa chronique, Rodolphe Rolland revient sur la blessure de Daniel Carter et la force de l'image qui reste en mémoire, celle d'un homme à terre. L'occasion pour notre expert de nous remémorer certaines autres images indéfectibles de notre inconscient.

Dan Carter allongé sur la pelouse du Stade de France : le cliché a déjà fait le tour du monde.

Le nez dans le gazon, c'est sans doute-là l'instantané qui perdurera de l'immense joueur néo-zélandais, venu le temps d'un intérim dispenser à notre Top14 quelques cours magistraux. Fatalité ? Négligence ? A qui la faute ? Qu'importe, la polémique autour du cas Carter ne fait que commencer. En attendant, Dan Carter gisant, le pari insensé de l'usapiste Paul Goze devient un flop magistral, et l'absence définitive du phénomène "catalan" bien plus retentissante que l'annonce de son arrivée dans les Pyrénées Orientales. Fruit de notre persistance rétinienne, Carter en détresse, "l'horizontal déchu", c'est l'image mentale qui s'impose, la dernière, la plus symbolique aussi, le géant terrassé par la défaillance de son tendon d'Achille nous laisse dans l'inachevé, la frustration au bord des lèvres. Et pourtant, le génial extérieur du pied gauche offrant l'essai à Maxime Mermoz aurait pu devenir, le temps d'un week-end, l'image forte de la rencontre Stade français-Perpignan. Rien n'y fait, c'est celle de l'infortune qui demeurera, la mémoire obéissant au diktat visuel et à la hiérarchisation des représentations.

L'homme a la mémoire sélective, et s'il n'oublie rien dans la totalité, s'il n'est pas ce témoin oublieux de l'Histoire comme se plaisait à le penser l'écrivain autrichien Thomas Bernhard, il faut bien avouer que sa représentation subjective est dictée par l'anecdotique, par l'arbitraire qui vient écraser de part la force de sa prégnance - imposée ou non -, les images complétives jugées trop encombrantes. Ainsi, si d'aventure on évoque la dernière Coupe du Monde de football de Zinédine Zidane, l'image la plus "frappante", celle qui lui colle aux crampons, celle qui subsiste coûte que coûte en dépit des autres, est le formidable coup de tête déposé au beau milieu du poitrinaire Materazzi ! Dans le même ordre d'idée, le départ de Pierre Martinet du CSBJ n'a pas ému le moins du monde les supporters berjalliens, préoccupés plus par le présent sans fard du club que par les temps glorieux passés sous la présidence du démissionnaire qui abandonne à contrecoeur sa charge pour "sauver" son entreprise. Peut-on réduire Max Guazzini, le président du Stade français, à ce personnage atrabilaire qui claqua la porte des vestiaires après le match nul concédé face à Perpignan ? Et après ce match, dois-je garder comme unique souvenir de l'arrière de l'Usap Philip Burger, excellent au demeurant, ce deux contre un d'école vendangé à la 35e minute par l'inopportunité d'un choix solitaire qui priva les Catalans d'un essai tout fait lors de la première mi-temps ?

Friant de cette représentation unique, on va synthétisant à l'évidence. "L'oeuvre ultime de Cézanne à Dubuffet", extraordinaire exposition sise à la Fondation Maeght de Saint-Paul de Vence en 1989, n'avait d'autre but que de présenter au public la dernière production d'artistes célèbres et d'imposer celle-ci comme conclusion artistique à leurs vie d'homme. Y-a-t-il tout Van Gogh dans ce qu'on considère être sa dernière toile ("le champ de blé aux corbeaux") ? Peut-on résumer Mozart, son génie et sa misère, par son ultime opus, le fameux "Requiem"? Peut-on garder comme conclusion perpignanaise, cette dernière image de Carter étendu ? Si son expérience catalane parait suspendue, gageons que le bonhomme se relèvera pour nous offrir d'autres images supplantant celle-ci, car qu'on se le dise, le Requiem de "l'ange noir", ce n'est pas encore pour demain.

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