La chronique de P. Villepreux

Par Rugbyrama
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Cette semaine, notre chroniqueur Pierre Villepreux revient sur le bilan français, après le Tournoi des 6 Nations, sur le plan du jeu mis en place.

Fin de tournoi et forcément bilan. Ce tournoi n'a pas été plus mauvais qu'un autre mais qualitativement pas meilleur. Comme beaucoup d'événements sportifs, le rugby ne peut se satisfaire du seul résultat et ne peut se contenter de matchs gagnés sans panache, sans habileté, sans créativité. L'effort fait pour gagner doit s'accompagner d'un minimum de manière, sinon comme le résume très bien les joueurs, "on a fait le boulot", expression affreuse pour des sportifs qui exprime l'abandon des valeurs du jeu au profit d'une attitude de soumission aux contraintes du moment. Même si ce n'est que passager. Ce réalisme, qui place forcément le résultat avant la qualité du produit, me semble agir, sinon négativement sur les joueurs et sur l'environnement, du moins en hypothèquant la quête d'un rugby plus riche et forcément plus ambitieux. La qualité d'un produit, en l'occurrence le jeu, renvoit à certaines dimensions et l'appréciation de cette qualité, par les uns et les autres, divergent. Le résultat, lui, n'a aucune valeur subjective. Il est ou n'est pas.

La qualité du spectacle rugby se manifeste dans de nombreuses composantes qui, prises en soi, peuvent satisfaire (esprit d'une équipe, talents de ses joueurs, la beauté des gestes, facilité technique, combativité, jeu des joueurs de notoriété,...) mais toutes ces composantes sont insuffisantes pour séduire si, en fin de compte, on ne se reconnaît pas derrière un style de jeu, facteur identitaire majeur qui situe et classe une équipe et fait sa réputation. Un match n'est jamais identique à un autre, et la production est forcément différenciée, mais la victoire ou la défaite s'inscrit dans une appréciation du jeu tactique de l'équipe qui n'a de sens que dans la permanence de sa mise en oeuvre. Cette exposition d'un style dans le temps est nécessaire. C'est un défi que doivent se lancer conjointement les joueurs et le staff et s'y tenir, indispensable si on veut légitimer le style choisi auprès de l'environnement. On sait qu'il y a ceux qui vont vite adhérer et les autres. Le fan club est l'accompagnateur incontournable mais avancer coûte que coûte malgré les oppositions est déterminant pour avoir une chance de réussir et amener une majorité à se reconnaître derrière un jeu qui imposera aussi sa diversité aux adversaires Sans identité mobilisatrice à même d'engendrer chez les joueurs une autonomie croissante porteuse d'une dynamique de progrès, de novations et de confiance. Cette dynamique est indispensable pour ne pas avoir à faire un pas en avant et deux en arrière. C'est pour un staff et des joueurs entre deux statuts, celui d'être "actif" par rapport à ses convictions ou celui de "contemplatif" par rapport au jeu des autres.

Je ne pense pas qu'il y ait des différences majeures entre les capacités des joueurs des différentes nations. Capacités traduisent des ressources, celles-ci pour faire court, sont d'autres tactiques et techniques, (ce sont celles qui mobilisent le plus la compréhension et la connaissance du jeu), d'ordre physique, enfin d'ordre mental (intensité et degré des motivations). Les unes ne vont pas sans les autres, elles sont interactives et dans un travail de formation ou de perfectionnement, elles s'enrichissent mutuellement.

Selon que l'entraîneur structure plus ou moins le jeu, on mobilisera les joueurs sur un jeu plus programmé et forcément moins adaptatif et vice versa. Le sens que l'on donnera à la situation et la fluidité des mouvements collectifs et de leurs exécutions s'en trouveront modifiés.

Quel est le degré de structuration utile pour ne pas ne pas abaisser le seuil d'adaptabilité d'un collectif ? La question reste posée ? Mais choisir de passer par le travail de structuration avant de développer les potentialités adaptives me parait hypothéquer grandement la progression d'une équipe y compris a un haut niveau de pratique, mais la tendance, c'est de croire qu'à ce niveau, la dimension 'compréhension et connaissance du jeu' doit être acquise, ce qui est une erreur.

Dans ce cadre, le jeu français est à un tournant. Le jeu que dit vouloir développer le staff français implique les joueurs dans un travail auquel ils ne sont pas forcément tous habitués en club puisqu'il s'agit bien de recréer les conditions du jeu total, celui que l'on retrouve dans la compétition. Conditions de jeu total qui créent les variations adéquates en fonction de l'évolution de la situation. Une action collective bien menée se distingue par la fluidité de son déroulement à la fois dans le temps et dans les espaces de jeu. C'est la synchronisation optimale des diverses actions (somme de toutes les actions individuelles qui la composent) qui va rendre l'action efficace et permettre des enchaînements fluides (la continuité du jeu qui avance avec tout les ingrédients qui vont avec en terme de vitesse et technicité). La réponse est bien tactique puisqu'il y bien adaptation tant individuelle que collective à la réaction de la défense. C'est le replacement défensif qui guide les choix de jeu en allant jouer là où la défense présente des faiblesses.

Le jeu alternatif des français dans le tournoi trouve une explication dans ce manque de constance dans la justesse d'exploitation des situations évolutives rencontrées. Le fameux "référentiel commun", indispensable pour aller vers du "mieux jouer efficace", reste à perfectionner. Cela ne peut se faire que dans un travail qui implique tout le collectif dans un rapport de force qui prend en compte toute la complexité du jeu.

Bien sûr, on peut choisir de jouer au rugby autrement, mais le type de formation sera différent et ne créera pas les mêmes joueurs. C'est un choix qui est tout à fait respectable et a fait ses preuves. J'espère que les adeptes sauront le défendre surtout quand ce jeu ne sera pas gagnant.

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