Les Islanders par Villepreux

Par Rugbyrama
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Notre expert Pierre Villepreux décortique le jeu des joueurs du Pacifique avant le test entre le XV de France et les Islanders samedi, à Sochaux. Pour lui, la performance des Iliens est basée sur la liberté dans le jeu, sans contrainte, et sur l'instinct.

Je ne sais pas si la sélection des îles du Pacifique a les moyens de battre la France. Le jeu qu"elle produit en tout cas ne laissera pas indifférent car il contient tout à la fois les ingrédients d"un rugby qui, quelquefois peut être étonnamment, efficace ou à contrario paraître naïf. Le jeu spontané de Fidji et Tonga durant la Coupe de Monde ont bien failli battre les champions du monde en titre. Il s"agit bien pour ces Iliens de 'jouer pour jouer' et cette façon parfois déconcertante d"appréhender le rugby interpelle car elle ne répond à aucune formation réellement définie.

La réflexion qui va suivre est la conséquence des contacts privilégiés que j'ai pu avoir et que je continue à entretenir avec Frank Boivert qui vit aux Fidji et est, depuis toujours, impliqué dans le rugby des Iles du Pacifique.

Ces joueurs ont été élevés au jeu libre, "à toucher ou avec contact" ce qui les a placé très jeunes en situation de responsabilité. Très logiquement, ils sont amenés au fil du temps à prendre possession du jeu. Les entraîneurs et assistants ne sont là que pour assurer la logistique des entraînements et des matchs. Les entraînements se résument donc à quelques jeux d'échauffement qui traînent en longueur car les joueurs s'y amusent, quelques exercices simples de maniement de balle ou de technique individuelle et le travail des conquêtes, notamment les touches. On constate que c'est quand ils n'ont pas eu de coachs "fort et directif" que ces nations ont obtenus leurs meilleurs résultats.

En jeu, les joueurs sont décideurs. Ils jouent en mobilisant leur intelligence situationnelle en utilisant les savoir-faire tactiques et techniques dont ils connaissent l'efficacité sans qu'ils soient passés pour autant par un travail spécifique. Il n'y a ni "d'inné, ni don" dans ces savoir-faire mais bien une somme d'acquisitions utilisables qui se sont développées durant toute leur carrière de joueur y compris bien sûr dans le monde professionnel, le plus haut niveau européen dans lequel ils sont aujourd'hui impliqués et qui les font reconnaître dans certaines situations comme des joueurs d'exception.

Les facteurs clés de leur performance résident dans la liberté en jeu et dans la gestion, acceptée par le groupe, des entraînements et de ses formes ludiques qui ne sont, de ce fait, jamais perçus comme des contraintes.

On voit bien qu'une telle approche du jeu n'est pas juste tactique et technique, elle s'accompagne d'une philosophie qui dépasse le jeu même et mobilise la vie de groupe en général et à la vie du joueur depuis sa formation dans le respect de leur traditions et de leur culture, ce qui confère à leur jeu une identité propre. Cette culture sert de repères et elle peut créer dans les événements compétitifs une cohésion irrésistible.

Frank m'a rapporté qu'un conseiller technique anglo-saxon avait communiqué sur la stratégie du Tonga pendant la Coupe du monde sur le comment cette équipe récupérait autant de ballons au plaquage contre les Springboks. Elle consistait, disait-il, à ne pas défendre sur les trois premiers rucks puisque les Sud-Africains s'y impliquaient très physiquement voire avec férocité. Il suffisait d'attendre le 4e quand ils commençaient à faiblir physiquement. C'était le moment optimal pour les joueurs tongiens de concentrer alors leurs efforts. Interrogés sur cette option tactique, les joueurs s'étonnèrent. Ils n'avaient jamais eu aucune stratégie sur ce secteur de jeu. Mais ils l'ont fait ! Ils l'ont fait "naturellement" car ils "sentaient" l'opportunité de cette situation en sachant opposer leur force momentanée à celle diminuée des Springboks.

Cette tournée est une aubaine, celle de montrer qu'il y a beaucoup d'enseignement de ce rugby des Iles. La vérité est aussi en partie dans ces pays et il convient de préserver en même temps la diversité et l'originalité de leur jeu née d'un contexte de formation certainement incomplet mais qui leur permet d'exploiter au mieux certes leur potentiel physique mais surtout celui tactico-technique.

On va découvrir la sélection des "Pacific Islanders" trois peuples fiers qui ont transféré leur tradition guerrière sur le champ de rugby. Ce sont des guerriers puisque le rugby s'est substitué irrésistiblement dans le temps à la tradition guerrière.

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