La chronique de P. Villepreux

Par Rugbyrama
Publié le
Partager :

Pour sa première chronique de l'année, Pierre Villepreux dresse la liste de ses voeux pour le rugby français et son évolution.

Que peut-on souhaiter au rugby français en 2009 ?

Est-ce que tout est possible ou doit-on seulement se convier à rêver, à penser l'impensable et à développer des utopies ? Ces dernières sont indispensables pour progresser et pour ne pas rester dans un état de stagnation qui décourageraient les plus enthousiastes et seraient par contrecoup plus favorables aux entreprises des conservateurs et du conformisme.

Dans cette optique, il ne s'agit pas pour autant de réduire le rugby à la mise en place et oeuvre de projets et d'actions issus séparément des uns et des autres. Il serait en effet plutôt bien que toutes les instances qui agissent et gèrent à des degrés divers le rugby de haut niveau soient sur la même longueur d'ondes. Procéder autrement s'avérerait vite inefficace. Seule une vision globale clairement exprimée, inscrite dans le temps peut être ressenti comme fédératrice, accessible, et donc par contrecoup plus efficiente.

Le système du haut niveau en rugby, depuis la Coupe du monde 1999 à laquelle j'ai eu la chance de participer comme entraîneur, s'est terriblement complexifié. On a cherché à produire des joueurs toujours plus compétitifs, à élever les performances. La quête de résultats rapides, l'influence médiatique, la place de plus en plus grande de l'économie, ont accéléré le processus et entraîné une recomposition et une variation notable dans le pouvoir pris par les différentes et de plus en plus nombreuses composantes qui administrent le rugby pro. La fédération doit maintenant compter avec de nouveaux promoteurs et régulateurs qui ne sont pas forcement perçu comme des partenaires. Le rôle centralisateur que la Fédération jouait dans le passé s'est en partie estompé, même si la délégation de l'Etat lui permet toujours d'imposer sa politique.

Il n'est donc pas facile d'assurer un équilibre harmonieux puisque les enjeux sont différents pour les uns et les autres. Pire, il se crée une espèce de désocialisation qui fait évoluer les joueurs dans un cadre restreint, artificiel d'où ils ne sortent que rarement. La référence, c'est d'obtenir des résultats rapides, de faire le métier comme ils disent. Les valeurs traditionnelles et la passion que ce jeu a longtemps véhiculé ne sont pas éteintes mais les prétendues normes demandées par l'obligation de réussite a crée une rupture et une dépendance au système. Le rugby a vite rejoint les autres sports pro qui avaient depuis longtemps dissocié les enjeux éducatifs, économiques et politiques. Le rugby avait la chance en intégrant beaucoup plus tard le professionnalisme de se positionner différemment et de définir les enjeux en terme de complémentarité derrière une vision commune à tous. Il n'est pas étonnant de voir la place et l'influence prise dans ce contexte par les entraîneurs à la fois sur le jeu et sur les joueurs qui sont de plus en plus conditionnés, culpabilisés du fait de cette exposition au risque qu'inconsciemment ou consciemment leur fait un peu peur.

L'accroissement des moyens humains (spécialisation du staff technique) et structurels (matériel toujours plus sophistiqué) au lieu de les libérer les place ( puisque tout est calé pour réussir) en situation de dépendance par rapport aux résultats surtout quand ceux-ci tardent à venir. Il n'est pas alors étonnant que le travail d'entraînement soit calé dans le cadre d'exercices très répétitifs qui sont exécutés plus selon le mode d'emploi au détriment de la prise en compte de la vie du jeu et de son sens. On délaisse beaucoup trop la relation unique et toujours mouvante qui relie le jeu de l'attaque et de la défense et place les joueurs en situation d'adaptation. Ce qui a été acquis dans l'exercice et ce à quoi il vise ne sera pas forcement réinvesti avec pertinence dans le jeu lors de la compétition. Le jeu programmé rassure. Il n'est pas étonnant alors que le jeu se modélise aussi parce les joueurs se réfugient trop facilement derrière des consignes qui s'imposent à eux, créant un manque d'autonomie qui se conjugue avec une adaptabilité en jeu moindre. On observe, même maintenant, ce type de dépendance chez les plus jeunes.

Il n'est pas inintéressant de noter combien de fois par match la ou les réponses d'un ou plusieurs joueurs à une situation n'est pas en relation avec la distribution défensive du moment. On enchaîne à l'entraînement en les récitant les actions successives mais les comportements des uns ou des autres se révèlent inappropriés dans le contexte situationnel momentané.

Suivre le cheminement de cette réflexion sur la logique de la performance, c'est accepter que le produit fini ( la qualité du jeu développée en compétition) soit bien aussi la résultante du bon fonctionnement et de la bonne dynamique des interrelations qui devraient régir le système global. Nécessaire, même si pas suffisant, si l'on veut que, dans le temps, l'état d'esprit du joueur et des entraîneurs par rapport au jeu se transforme positivement. Il s'agit ni plus ni moins, dans cette optique, que de donner aux joueurs et entraîneurs la possibilité de reconquérir la liberté utile pour le jeu dans son acception la plus courante reprenne ses droits dont il a besoin pour évoluer dans les meilleures conditions.

La performance appréciée dans cette perspective systémique ne réglera pas toutes les tensions et contradictions entre les composantes mais générera un engagement différent donc une régulation qui s'inscrira dans le cadre de changements et de transformations logiquement acceptés par tous.

Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?