Chronique de P. Villepreux

Par Rugbyrama
Publié le
Partager :

Pierre Villepreux revient sur le jeu des Bleus face aux Pumas, un jeu basé sur l'utilisation du pied et loin du potentiel offensif du XV de France.

J'écrivais la semaine dernière : "Le jeu, occupation du terrain + défense, qui est en train de prendre le pas sur d'autres formes de jeu appelons les moins audacieuses, est une menace pour le rugby. Le risque est patent de voir tout le rugby français s'emparer de ce modèle, surtout si les équipes les plus réputées l'adoptent. Dans ce cadre, il est passionnant de voir comment, lors des matchs de l'automne, on va évoluer au niveau national."

Très honnêtement, j'étais loin de penser que la production du XV de France contre l'Argentine pouvait déboucher sur le type de jeu décrit plus haut. La France a produit un rugby à l'opposé de celui proposé la saison passée. Même si ce style de jeu n'a pas été toujours gagnant et avait laissé apparaître logiquement certaines imperfections, il avait su, y compris lors des matchs perdus, générer de la sympathie avec l'espoir de voir les Tricolores accéder dans le temps, à un rugby total qui n'a de sens que si on ne conçoit pas la prise de risque comme une contrainte incontournable quel que soit l'adversaire.

Ce retour en arrière par rapport à l'esprit de jeu que souhaitait mettre en place le staff technique est regrettable et irrationnel dans le cadre du projet de jeu choisi au départ. Ceci, d'autant plus quand on sait que les joueurs qui ont été choisis, l'ont aussi été parce qu'ils ont les compétences et le talent pour assumer et mettre en oeuvre un jeu fait d'initiatives et de mouvement. Les Toulousains revendiquent en club ce type de jeu, ils étaient à même d'apporter aux autres la confiance utile pour s'y engager sans arrière pensée.

Ce ne fut pas le cas et pour jouer ainsi, la présence d'une majorité de Toulousains à des fins de cohérence tactique ne me semble pas nécessaire.

On peut argumenter et accepter qu'il s'agissait d'un match contre des adversaires particuliers et un contexte tout aussi particulier. Personnellement, j'ai du mal à croire qu'il n'était pas possible de provoquer à la fois le jeu et les Argentins. Le résultat n'a de sens que s'il s'inscrit dans la "volonté" de mettre en oeuvre le jeu souhaité et bien sûr, si les qualités de l'adversaire ne le permettent pas, le changement de stratégie peut intervenir. En l'occurrence et dans le cadre de ce match, je n'ai jamais senti de la part des Tricolores cette envie de défier les Argentins sur des bases tactiques différentes.. On s'est contenté d'un jeu caricatural, contre culture, sans avenir. On me rétorquera que le prix d'un résultat vaut cet épisode et demain, devant d'autres adversaires, l'ambition pour un jeu qui favorise le mouvement sera bien présent.

Ce qui me désole c'est que les joueurs n'aient pas perçu en début de match que, quand le jeu "bougeait", les Pumas étaient prenables. Le 4 contre 2 mal géré en est la preuve. Les Bleus savaient avancer et en libérant vite la balle (ruck) avaient parfaitement su déséquilibrer la défense et créer cette situation d'école gagnante. La non perception de la situation par un seul joueur a suffi pour la faire avorter. En donnant au porteur de balle (Skrela) une fausse information, Heymans, en ne restant pas dans la ligne (croisée), a rendu cette situation indéfendable en une défendable. En sortant de l'ordre logique demandé par le contexte momentané, il a amené Skrela à faire un choix de jeu différent et donc non conforme à ce qu'attendaient tous les partenaires proches, voire plus lointain engagés dans l'action collective.

Cette opportunité de début de match aurait dû inciter à privilégier le jeu à la main et non le jeu au pied. Dommage ! Cette adéquation avec le sens du jeu manque encore aux Bleus collectivement et individuellement pour certains. Mais ce n'est pas en se retranchant dans la pauvreté tactique qu'ils vont aller vers un perfectionnement continu. Quand le résultat devient une trop grande contrainte, c'est que les joueurs, ne sont pas, ou pire ne veulent pas être, en adéquation avec la pensée tactique définie par le staff. Le recadrage stratégique demandée par Marc Lievremont avant le match était logique et ne les contraignait pas à ressentir un manque de liberté pour entreprendre. Pour s'approprier ce pouvoir décisionnel en plein mouvement et y apporter les capacités techniques utiles afin d'accéder à des réalisations collectives efficaces, il faut y être confronté souvent et ne pas revenir en arrière. Cela demande des qualités mentales qui sont aussi importantes que celles réclamées par le combat au sens où l'entendent certains. Je parle de l'implication dans l'affrontement corporel sans lequel bien sûr rien n'est possible en rugby. Celle-ci ne peut et ne doit occulter les autres dimensions du jeu; celles qui font appel à la créativité. Je pense aux capacités nécessaires à la perception qui précède le choix de l'action et à la mise en oeuvre de celle-ci.

La question qui se pose maintenant, c'est comment, hic et nunc, revenir à un rugby plus ambitieux contre une "sélection des îles" qui va présenter d'autres caractéristiques ; qui sera, n'en doutons pas, plus joueuse que les Pumas, et porteuse d'autres griffes dans la manière de combattre?

Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?