La chronique d'Henry Broncan

Par Rugbyrama
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Comme chaque semaine, retrouvez "les pas perdus d'un coach", la chronique d'Henry Broncan, l'entraîneur du SU Agen.

Mercredi 3 octobre :

Mes 18 collègues du stage de Marcoussis, nos encadrants, JCS, Directeur Technique National, commentent abondamment la composition de l'équipe de France ; le café du commerce remplace le bar très technique du Centre National du rugby : c'est dingue comme une formation peut prêter à discussion et ce, je crois, depuis que notre sport existe. J'imagine le Bar de la Fontaine et le Café des Sports en ébullition à l'heure du café. De mon côté, j'adresse ce papier au quotidien qui me fait le grand honneur de me solliciter.

"Et la Géorgie a quitté la Coupe du Monde, à Marseille, sur la pointe des crampons ! La petite nation - 2 000 licenciés ! - un peu comme la chèvre de Mr Seguin, avait lutté de toutes ses forces contre l'Argentine, l'Irlande et la Namibie. Epuisée contre la France, elle s'est couchée trop tranquillement, trop passivement, lasse d'avoir trop combattu. Malgré sa facile résistance, elle aura influencé les choix de Bernard Laporte : Clément Poitrenaud, dans ce débat sans relief, y a perdu sa place et Lionel Beauxis, "mistral gagnant" trouvé grâce.
Tous nos yeux sont maintenant braqués sur Cardiff, les Anglo-Saxons que nous avons souvent déroutés, n'en reviennent toujours pas ! Quoi, les Français font des pieds et des mains pour obtenir l'organisation de la Coupe du Monde, obtiennent enfin le droit de l'accueillir chez eux et se débrouillent quand même pour jouer le match le plus difficile chez le Prince de Galles !Montherlant qui n'était pourtant pas un sujet de sa gracieuse Majesté a écrit "les Français enferment quelques fous dans une maison pour persuader que ceux qui sont dehors ne le sont pas."
Fou ? Notre head coach n'a-t-il pas perdu la tête ? Le placement de Damien Traille à l'arrière surprend ; à un degré moindre, on peut regretter les évictions de Nallet et de Skrela. En fait notre futur ministre est un malin : on voit d'ici la tête du très sérieux entraineur néo-zélandais Graham Henry, lui, qui a dû préparer, depuis trois semaines, Mac Caw et les siens à contrer les relances du sextuor toulousain Elissalde, Michalak, Jauzion, Heymans, Clerc et Poitrenaud, doit, dans l'urgence, se préparer aux tirs d'obus du duo Beauxis - Traille ! Adieu le french flair, nous passons à l'Argentinomania : pack solide et jeu au pied. Souhaitons aux compagnons d'Ibanez l'efficacité des Albacete, Longo, Scelzo, Ostiglia, Ledesma, etc. Notre seule chance de faire vaciller les Blacks tiendra dans la domination du pack relayée par la performance des buteurs. Vivement la demi-finale : on peut espérer la jouer sur le territoire de l'hexagone !"

Jeudi 4 octobre :

Je dois avoir participé à une bonne centaine de stages depuis mon entrée dans l'ovale. Celui-ci comptera parmi les plus réussis. D'abord parce qu'une entente exceptionnelle règne parmi les participants et je découvre des faces cachées ; ainsi LS, en apparence bourru, capable des pires facéties, JD, en recherche perpétuelle ; JFB, les yeux lumineux de clairvoyance ; LL et LT, inséparables, comme à la tête de leur club ; les jeunes SB et ThP, observateurs attentifs ; les anciens internationaux MD, EN'T et JLS, plus abordables, tu ne peux pas trouver ! Il y a aussi les inquiets XP prêt à manger ses feuilles de notes, SM qui a beaucoup gagné en sérénité - jusqu'au prochain match ? - ChU certainement coeur d'or sous masque de fer. Les hasards m'ont placé entre deux taiseux - je dois parler pour eux deux ! - PL, j'apprends à le connaître : juste les mots nécessaires, un oeil aiguisé et DB, l'ancienne "pile électrique" d'un pack languedocien sortant du silence dès que vous abordez le sujet de la mêlée et du maul !

De mon côté, j'ai souffert sur l'épreuve informatique mais Céline, depuis Agen, est venue, comme d'habitude, à mon secours.

Préparateur mental de l'équipe de France, JMG nous expose son intervention auprès de celle-ci ; les derniers principes de musculation nous sont distillés. "Projet de jeu, projet de club" avec deux anciens coachs du TOP 14 : le "jeu au contact" avec un "minot" qui deviendra - qui est déjà ! - un grand entraineur. Dans l'atelier vidéo, c'est le jeu australien qui est disséqué et je m'aperçois que mon voisin de droite, responsable du stade qui les accueillait, a tout noté sur le mouvement général des Wallabies : et moi qui croyais qu'il ne s'intéressait qu'à la mêlée !

Ce soir, sur le synthétique couvert, grande confrontation à toucher : la D2 bat le TOP 14 malgré l'omniprésence de EN'T. On l'a taquiné toute la semaine sur sa présence ou non dans le futur staff français : impossible de lui arracher la moindre confidence. Nous gagnons d'un petit essai du bout du jour ; il est vrai que je suis capitaine de mon équipe - c'est pas un élément positif - mais surtout arbitre des deux formations - c'est prédominant - et quand on connaît mon objectivité dans ce jeu !

Repas sympa même si MD regrette les magrets des Landes. Il se console avec JCS en évoquant la tournée - 99 ? - aux Samoa et aux Tonga : il paraît que jamais nos coqs n'avaient fait circuler aussi bien l'ovale... avant contact !

Vendredi 5 octobre :

Les responsables de la sécurité de chaque club sont montés à Marcoussis ; une joyeuse effervescence règne dans le hall d'accueil où les rumeurs les plus diverses circulent. Le sans-papier que je suis censé paraître connaît pratiquement chacun des vigiles. Ceux-ci rapportent que mon occupation du banc d'Agen, lors du dernier match de championnat, contre le Stade Français, a fait grand bruit dans leur réunion ; il est question d'imposer aux entraîneurs de rester assis pendant le match ! Aurons-nous l'autorisation de nous lever pour faire nos besoins ? Devrai-je fournir un certificat pour "prostate défaillante" ?

Embrassade spontanée avec Oyonnax ; accolade avec les autres ; galéjades avec les deux Toulonnais : "vous direz à Mourad que j'arrive motivé" Rires. Ils me racontent toute l'admiration qu'ils vouent à leur Président : un sacré bonhomme ! Lui aussi a été sur la sellette lors de la réunion pour ses présences multiples sur le banc toulonnais : le rugby va-t-il continuer à excommunier les gens de passion ?

Ils sont deux à m'ignorer, loin, au fond du couloir, portable de leur club à l'oreille. Tristes comme des chevaliers à la triste figure... sans la générosité des pourfendeurs de moulins à vent : leur arrivée dans le TOP 14 rend-elle méprisable les pensionnaires de la D2 ?

Après-midi dans le hall d'Orly Sud : deux heures de retard pour l'avion : arrivée à Toulouse vers 17h30 et rocade embouteillée... vivement le Pont Canal !

Samedi 6 octobre :

Rencontre avec JLD à 10 heures ; il me présente les esquisses du livre qu'il écrit sur moi avec mon autorisation. M'enfermer dans un livre ? Je déplore trop d'absences parmi ceux qui ont traversé ma vie. D'après lui, c'est l'obligation de faire des choix ! Comme un entraîneur !

A midi, repas du SUA chez un partenaire ; Roland, un sacré bonhomme, un itinéraire Castelsarrasin-Paris-Agen, un self-made-man fabriqué avec l'ovale comme fil rouge. Jeune retraité, il fonce dans notre aventure. Tous les joueurs sont là ; j'ai beaucoup de plaisir à les retrouver après 15 jours d'absence. Quelques blessés dont ma vedette Fidjienne considérablement amaigrie - quelques mots de français dans la bouche : on a dû lui souffler que j'apprécierai - l'encadrement proche de l'équipe est présent : je passe un excellent moment. C'est à Roquefort que nous préparerons nos combats !

Dans l'après-midi, les Anglais créent la première surprise de la journée ; les pieds de Wilkinson et de Catt mais surtout la puissance de leur mêlée font déjouer les Australiens : 12-10 au final et cette pénalité de Mortlock qui frôle les poteaux dans les derniers instants !

Un commentateur parle de la revanche de la bête blessée, humiliée : j'espère que nos Agenais écoutent, eux aussi, blessés, humiliés. De grands panneaux éclairent la ville : "la Revanche de la Tribu".

Mon guide me promène sur le Pont Canal, j'aime beaucoup cet endroit encore plus agréable dans son habit d'automne. La Garonne est plus belle après l'absence. Un ami m'appelle : "Nous venons de nous qualifier en Gauderman en battant le Stade toulousain chez lui" . Il sait qu'il vient de me rendre heureux !

Il ajoute : "et V, 1ère année, a été très bon !"

V est un enfant de Samatan ; sa maman a subi mes cours d'histoire. Elle a voulu me confier son fils malgré la distance, l'internat et les charges supplémentaires...

Formidable Haka et formidable riposte des bleus-blancs-rouges : un match qui va rentrer dans l'Histoire. La discipline et la défense, la réussite dans les transformations, l'oubli d'un en-avant feront la différence. A quoi peut tenir un match de ce niveau ? Un poteau rentrant ? Carter blessé ? Davantage de pénalités au détriment des propriétaires du ballon ? Je retiens surtout le retour du french flair lors de l'essai impulsé par Michalak, à peine rentré, et, sur l'essai précèdent, l'orientation géniale d'Elissalde : "l'intelligence situationnelle".

Dimanche 7 octobre :

La France, qui jetait le staff et les joueurs aux orties, les encense aujourd'hui : la France "éternelle !".

Sarkozy est vraiment un "impact player" au même titre - davantage ! - que Chabal, Michalak, Dominici et Szarzewski. Il faut quand même apprécier sa présence à Cardiff auprès d'une équipe qui était loin d'être favorite ainsi qu'auprès d'un proche futur acteur de son gouvernement qu'il est venu soutenir dans la difficulté. C'est courageux, à l'image des 22 - même si Clément n'a pas eu droit au terrain - coqs d'hier. Cet homme a la baraka. Durera-t-elle ? Vivement ce France-Angleterre de samedi soir. On en salive !

L'Afrique du Sud, trop confiante, joue avec le feu contre les joyeux Fidjiens ; l'Argentine, à l'image de Pichot, souffrote contre les tirs aux buts des Ecossais.

C'est une autoroute vers le titre qui s'ouvre aux Français. Restons prudents.

Lundi 8 octobre :

Stage à Monflanquin, au centre Monform. Installations remarquables : salle de musculation bien équipée, piscine, petit lac pour le footing, stade à proximité, nourriture et logements fonctionnels, personnel disponible. Il y a là 40 joueurs ; les blessés sont restés à Armandie. Journée classique de travail : musculation et terrain le matin, mouvement général et ateliers l'après-midi.

En soirée, visite du Président et du Directeur Général : réunions avec les leaders, d'abord, avec l'ensemble des joueurs, ensuite. Les blessés sont tenus d'y assister. La vedette fidjienne est là, sage, trop sage ?

Mardi 9 octobre :

Janouille promène les 3/4 dans Monflanquin tandis que les avants souffrent sous la férule de Christophe et de Thys. Jérôme Miquel me glisse : "Il y a interro écrite au retour ?".

La presse locale fait état des préparatifs des prochaines municipales sur Agen ; j'espère qu'elles ne déchireront pas le Sporting qui a besoin de tout son monde. Je me souviens d'une année terrible à Samatan où le Président Daubriac affrontait le pilier droit BD. C'était pas triste ; J'en souris... maintenant !

TF1 augmente, avec la qualification de la France, le prix des 30 secondes de pub. Ce match contre les Blacks c'est quand même la victoire de la chaine TV, celle de Nike sur Adidas, celle de Sarkozy, celle d'un certain chauvinisme. Les sanctions de l'arbitre contre les Blacks (x4), l'e-avant Traille-Michalak sont laissés au dernier plan même dans la presse spécialiséé. Un quotidien écrit même : "l'en-avant, on n'en parlera pas puisque l'arbitre ne l'a pas sifflé !". Le retour d'Anastasie, la censure de la 1ère guerre mondiale ? J'exagère, bien sûr, mais imaginez le tollé général si un essai néo-zélandais avait été accordé dans de pareilles circonstances ? Je crois qu'une grande partie des médias culpabilise après avoir promis le pire avant la rencontre et se rattrape des prévisions néfastes en se rangeant, corps et âme, dans le clan des vainqueurs.

La visite de Monflanquin découvre des trésors insoupçonnés : Janouille, la fripouille déguise Gilles en Alphonse de Poitiers, François Gelez en Edouard 1er, Arnaud Mignardi en jongleur et troubadour, Sylvain Mirande en voleur de saucisson. Manquent les Ribaudes dans les carrelots !

Le match de samedi prochain est lancé : Alienor d'Aquitaine qui passe du roi de France au roi d'Angleterre, le Prince Noir qui s'installe ici, comme chez lui ; Monflanquin est notre Stade de France où Anglais et Français vont guerroyer de nouveau samedi soir. Allons-nous battre les champions du monde en titre ?

A la fin de la visite, nous touchons l'écu de Louis XVI : cent ans de bonheur nous est promis par le fils adultérin d'Henri IV, notre guide.

Il y a 40 ans, Ernesto Che Guevara était assassiné ; souvenons-nous qu'il a pratiqué l'ovale !

Mercredi 10 octobre :

La composition de l'équipe de France vient de tomber. Bernard Laporte n'a pas tenu sa promesse de gagner la World Cup à 30. On connaît ça dans notre métier : souvent il faut savoir se taire. Comment pouvait-il changer un joueur dans une formation qui vient de battre les meilleurs du monde ? A l'intérieur des 22, les jokers ont si bien tenu leur rôle qu'il est normal de les conserver pour la seconde mi-temps ! France-Angleterre, au stade de France, en demi-finale : pouvait-on rêver plus belle affiche ?

Jeudi 11 octobre :

Depuis 3 semaines, j'ai quitté le Gers... je le retrouve avec émotion, mon pays, le plus beau pays du Monde !!!

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