Un jour, une histoire : mai 68 : le rugby aussi...

  • André Herrero et Michel Crauste
    André Herrero et Michel Crauste
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UN JOUR, UNE HISTOIRE - De quelque côté que l’on se tourne, il n’est question que de mai 68. Mais que devint le rugby pendant que la révolution estudiantine occupait la France ? Sous les pavés, le miracle lourdais...

Mai 1968 en rugby, ce fut surtout une drôle de finale comme il y eut une drôle de guerre, un match programmé le 25 mai mais reporté de semaine en semaine jusqu’au 16 juin. Jamais on n’avait vu une remise de Brennus aussi tardive. Pourtant, les "événements" n’avaient pas eu beaucoup de prise sur un sport dont le pouvoir était à la fois jeune et neuf : l’équipe Batigne-Ferrasse-Basquet avait pris les rênes deux ans plus tôt et ne craignait pas grand-chose. En revanche autour, c’était la "chienlit", manifs, grèves, De Gaulle à Baden- Baden. Comble du comble : le Midi Olympique n’était pas sorti pendant deux semaines, c’est dire... La FFR avait donc préféré repousser l’échéance mais elle voyait s’approcher la deuxième tournée des Bleus en Nouvelle- Zélande et craignait qu’aucun champion ne fût sacré d’ici là.

Attente angoissante

Au milieu de ce maelström, deux équipes attendaient d’en découdre : un duel Sud-Ouest/Sud-Est, Lourdes contre Toulon : deux écoles très différentes. Le FC Lourdes vivait son deuxième âge d’or, la jeune génération avait gagné les Du-Manoir 1966 et 1967 et rêvait de ramener "son" Bouclier pour montrer qu’elle pouvait égaler les anciens. À ce rugby millimétré, plein de combinaisons, Toulon opposait la force de son pack et le jeu au pied de Labouré. Deux grands timoniers se faisaient face : Michel Crauste, 34 ans, seul survivant de la grande époque, et André Herrero, 30 ans, pour qui le mot charisme semblait avoir été inventé. "Je vois encore leur poignée de main, droits comme deux chevaliers", se remémore Denis Lalanne, présent dans les tribunes.

Mais avant d’en arriver là, il avait fallu vivre trois semaines lancinantes : "Il faisait très chaud, c’était un parfum inédit de vacances. Et puis, autour de nous, c’était le chaos. Il se passait chaque jour quelque chose de nouveau", explique Michel Hauser, personnage central de cette usante veillée d'armes. Il s’était blessé à une épaule en Du-Manoir et si la fi- nale avait eu lieu à la date prévue, il n’aurait pu la disputer. Or il était le troisième ligne le plus rapide de France. Sa capacité à soutenir ses trois-quarts était au cœur du dispositif lourdais. "Il maîtrisait toutes nos combinaisons", se souvient Jean Gachassin. De leurs côtés, les Toulonnais fulminaient. Pour eux, ce délai supplémentaire était favorable aux Lourdais. Un supporter avait écrit ceci au Midi Olympique : "C’est de la folie de faire disputer une rencontre à quelques jours de l’été. Les Toulonnais qui avaient de grandes chances partent maintenant très handicapés. L’inaction et la chaleur pèseront. Lourdes, au pied de ses montagnes, est avantagé." C’est vrai, moins complet dans le jeu, Toulon avait vécu des phases finales en pleine bourre. "Nous étions en avance sur le plan de la préparation. Lucien Millereau nous avait préparés pour être en forme au bon moment. Ce report a tout décalé, soupire encore le pilier gauche Noël Vadella. Les événements ? Je ne me suis pas vraiment senti concerné par ces histoires d'étudiants. J’avais quitté l’école depuis longtemps."

André Herrero fit pourtant son possible pour maintenir ses troupes sous pression : "Ce n’était pas évident, j’avais varié au maximum les séances. Nous sommes même allés jusqu’à grimper sur le mont Faron." Dans le rugby amateur, les effectifs étaient forcément moins faciles à gérer. Sur le moment, il avait déclaré : "Avec le beau temps, nos joueurs ont été tentés par les bains de mer mais ils ont su se montrer raisonnables." Côté lourdais aussi, la pression négative montait, statut de favori oblige. "Chaque vendredi, on nous disait que la finale était encore reportée. Ça bouleversait tout, surtout qu’à part Crauste, nous vivions notre première finale. Imaginez la tension, surtout à Lourdes, avec tous ces anciens, reprend Gachassin qui précise, à ce moment-là, il n’y avait que deux séances par semaine mais les joueurs s’entraînaient beaucoup en solo."

Cet entraînement invisible (footing et piscine) échap- pait par définition au pouvoir des entraîneurs et dépendait de la motivation des joueurs. Michel Crauste réfute l’idée que le report avait avantagé les siens : "Nous en avons pâti au contraire, car la coupure a cassé notre élan. Nous avions notamment battu La Voulte 47-9. Je crois que Toulon n’aurait pas résisté à cette dynamique. L’attente avait été très angoissante et cette tension, s’est retrouvée en finale." Elle finit par se dérouler le 16 juin à Toulouse, sous la pluie et sans retransmission télévisée en direct. Sortilège de cette année "exotique", la hantise des patrons de la FFR se réalisa : Charles Durand siffla la fin sur un match nul, 9-9. Contaminé par l’air du temps, le rugby français semblait refuser de désigner un vainqueur, comme si la tyrannie du résultat était une valeur bourgeoise. Lourdes avait été pour- tant brillant. "Mais nous avions manqué deux essais tout faits", dit Gachassin. Toulon mené 6-0, puis 9-6 avait réussi à recoller.

"On nous a refusé un essai sur mêlée enfoncée. Aujourd’hui, il serait accordé", font remarquer de concert Herrero et Vadella. Mais Labouré marqua dès 48 mètres en coin sur une pénalité tentée en coup de pied tombé, puis Irastorza avait réussi un drop-goal de 35 mètres. Mais les deux équipes savaient que le match ne serait pas rejoué comme en 1925 et en 1949. "On connaissait le règlement, alors dans les dernières minutes, on a multiplié les dégagements directs en touche", poursuit "Gacha". Lourdes fut déclaré vainqueur aux essais (2 à 0), fait unique. Verdict sévère mais logique selon Michel Crauste, frustrant pour les Toulonnais même si Herrero regrette maintenant d’avoir fait jouer Carrère (l’arme anti-Crauste) blessé ou de ne pas avoir utilisé le potentiel offensif de son frère Daniel. Aux abords du Stadium de Toulouse, quelques bagarres éclatèrent entre supporters.

Une compagnie de CRS discrètement postée surgit pour y mettre fin. Dans le contexte de l’époque, cela pesa doublement lourd. Georges Delpech, député et adjoint au maire de gauche de Toulouse soupira alors : "Ça va me coûter 1 500 voix." Bien vu, une semaine plus tard, il fut emporté par la vague gaulliste. "Nous n’avons pas vu ces incidents, reprend Gachassin. Mais une semaine plus tard, nous som- mes allés faire un match amical à Mayol. Une revanche officieuse et dans le train, nous avons rencon- tré des supporters de Toulon qui avaient été retenus une semaine en prison..."

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