La chronique de Pierre Villepreux

Par Rugbyrama
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Notre expert Pierre Villepreux revient cette semaine sur les conséquences du nombre d'étrangers dans les championnats français.

Les saisons se suivent et se ressemblent. L"augmentation des joueurs étrangers débarquant dans l"hexagone se confirme. Il ne s"agit pas d"un épiphénomène qui toucherait seulement la France puisque c"est aussi le cas en Grande Bretagne, et plus particulièrement, c"est surtout l"Angleterre qui a adopté massivement cette politique de recrutement. Logique puisque ce sont dans ces deux pays que les joueurs, via leur agent, se monnayent le mieux. Il ne s"agit donc pas de parler pour le rugby d"une manifestation de mondialisation puisque tous les pays rugbystiques, du moins ceux où le rugby n"a pas une grande audience et une bonne visibilité, sont devenus des "pourvoyeurs" mais n"accueillent pas en revanche -bet on pourrait dire en contrepartie - dans leur championnat domestique des joueurs en provenance des nations "fortes". C"est sûrement dommage. Généraliser en Europe, voire ailleurs, ce type d"échanges permettrait à la fois de promouvoir et de développer le rugby dans les fédérations moins compétitives au plus haut niveau mais aussi d"élever le niveau de jeu dans leur compétition domestique, indispensable pour entretenir une équipe nationale performante.

Cet échange de joueurs entre les pays dominants et ceux classés dans la catégorie juste inférieure ne se fait donc pas. Ce processus ne peut actuellement efficacement s'installer puisque pour générer ce type de pratique, il convient que les moyens financiers des seconds soient à la hauteur, ce qui n'est pas le cas. Rémunérer de manière décente les joueurs qui s'expatrieraient est un challenge difficile pour ne pas dire impossible.

Rendre possible cette dynamique résoudrait en partie les problèmes posés par le chômage qui s'aggrave en France un peu plus chaque saison. Cela permettrait aussi aux jeunes joueurs de talent de faire des expériences intéressantes. Ce serait quand même mieux que de végéter sur un banc de touche ou pire pour ceux qui sont passés par les centres de formation d'être obligé de choisir des niveaux de compétitions inférieurs mais avec des exigences financières qui génèrent une inflation dont se passeraient bien les clubs qualifiés d'amateur.

A ce jour, échappent à cette migration saisonnière les trois grosses nations du sud qui s'adaptent pour préserver - mais jusqu'à quand ? - leur équipe nationale. Dans les autres pays moins reconnus, la tendance c'est de penser que leurs meilleurs joueurs seront plus à même de progresser dans un championnat étranger consistant, en espérant de leur part en retour, un investissement optimal avec leur équipe nationale. Pire cette option tend à se généraliser maintenant au niveau des jeunes talents – il s'agit de les envoyer dans les grands clubs étrangers pour les faire accéder à une formation supérieure, celle-ci étant, dans l'esprit des responsables inaccessible dans leur propre pays.

Certains pays et non des moindres en Europe (Roumanie en particulier) sont en train de payer lourdement cette politique et actuellement méditent pour imposer un autre projet qui vise à maintenir leurs meilleurs joueurs dans leur championnat domestique. Les dirigeants ont pu mesurer dans le temps les avantages mais aussi les effets pervers d'un tel système.

En France, le débarquement toujours plus important de joueurs étrangers s'avère être une menace qui à terme va fragiliser le rugby national et donc l'équipe de France. On n'est plus à même de donner aux joueurs potentiellement à même de jouer dans le haut niveau les chances de faire valoir leur talent. Au rythme où vont les choses, le choix des joueurs sélectionnables en équipe nationale sera vite fait par le comité de sélection. Si l'on regarde les effectifs des clubs du top 14, on est bien obligé de constater que le pourcentage de joueur étrangers est de plus de 50% et très souvent beaucoup plus.

Cette politique des clubs peut entraîner d'autres effets, des positifs mais aussi des menaces et certains au départ non recherchés.

L'intérêt pour le public, attiré par d'autres stars, d'espérer d'abord voir son équipe être plus performante en terme de résultats et de spectacle. Dans le même ordre d'idée, le "melting pot" culturel peut séduire, peut enrichir et peut éventuellement servir à faire évoluer favorablement le jeu. Ceci se vérifie quand il n'y a pas trop de joueurs étrangers, que les résultats suivent, il est alors plus facile de préserver la culture française, de les convaincre de faire l'effort d'apprendre à parler français, mais surtout, cela permet aux entraîneurs français de préserver et de défendre la démarche de formation française.

Dans la réalité, quand leur nombre devient important que les résultats attendus se refusent, les difficultés pour gérer le groupe se font jour et il faut trouver un consensus pour que le projet de jeu et donc les contenus d'entraînement soient en adéquation avec le vécu et la formation reçue en amont par ces joueurs. Je connais plusieurs entraîneurs qui ont été poussés à changer les bases méthodologiques sur lesquelles ils ont été formés. On ne peut pas dire pour autant que cette transformation ait amené des résultats meilleurs et encore moins une qualité de jeu supérieure. Ils en sont en tout cas sortis fragilisés dans leur convictions, ce qui n'est jamais très bon.

Face aux difficultés et pour s'adapter aux besoins crées par cette politique, la tendance consiste à faire appel à un entraîneur étranger plus à même de répondre aux exigences créées et comme généralement il fait suivre son staff, on peut raisonnablement penser que dans quelques années si l'inflation continue les entraîneurs français impliqués dans le haut niveau se compteront sur les doigts de la main.

A terme, si on reste sur ce schéma et si l'ouverture pour les joueurs français ne vient pas d'ailleurs (le nombre de joueurs français jouant à l'étranger est insignifiant), on va aller très rapidement à un échec qui sera à la fois économique et sportif en tout cas qui va peu à peu détruire l'identité française de formation. Ce serait dommage !

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