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6 Nations 2024 - Portrait d'Antoine Frisch, convoqué avec le XV de France : la beauté âpre des chemins de traverse

  • URC - Antoine Frisch avec le Munster
    URC - Antoine Frisch avec le Munster Sportsfile / Icon Sport - Brendan Moran / SPORTSFILE
Publié le Mis à jour
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Il est le seul Français évoluant en United Rugby Championship, du côté du Munster. Antoine Frisch vient d'être appelé par le XV de France pour préparer la rencontre du Tournoi des 6 Nations 2024 face à l'Angleterre, la récompense d’un parcours tortueux qui n'a jamais vaincu son moral d’acier.

Il est de ces parcours qui forcent le respect, avant même qu’il soit allé à leur terme. Antoine Frisch, 27 ans, a surgi du néant ou presque, pour se retrouver exactement là où il a toujours rêvé d’être, dans un effectif professionnel de haut niveau. Depuis l'an dernier, il joue au Munster, au sein d'une des équipes les plus prestigieuses du rugby européen, après un passage réussi du côté de Bristol, en Premiership.

Le XV de France a communiqué son groupe de 34 convoqués pour le dernier match du Tournoi des 6 Nations, face à l'Angleterre. Il ne comporte qu'un changement par rapport à celui avant le pays de Galles : le centre du Munster Antoine Frisch remplace Barassi.https://t.co/9fhzXowxGT

— RUGBYRAMA (@RugbyramaFR) March 10, 2024

Quand on observe à longueur de journée des trajectoires balisées et des parcours d’excellence à la Romain Ntamack ou à la Antoine Dupont, on se pince en écoutant le récit de la carrière d’Antoine Fritsch. Imaginez un trois quart centre vierge de toute sélection nationale chez les jeunes et obligé d’emprunter les sentiers les plus tortueux avant de se retrouver en août à la reprise de l’entraînement de Bristol, sous les ordres de Pat Lam. Il était même, il y a quelques saisons, le seul Français du championnat anglais et visiblement, il a su en faire assez aux entraînements pour convaincre son entraîneur de le titulariser à de nombreuses reprises, malgré une concurrence féroce à l'époque (Piutau, Radradra... on s’arrête là). Il a même crevé l'écran le 26 mars lors d’un match sur la pelouse des Tottenham Hotspurs face aux Saracens. Il se permit ce jour-là d’infliger un cadrage débordement d’école à l’international Eliott Daly, suivi d’une passe décisive. Dans cette partie bénie pour lui, il en réussira une autre et marquera même un essai. Mais avant d’en arriver là, il a fallu en baver, loin des radars médiatiques, malgré les avanies du destin. Parce que la réussite d’Antoine Frisch, c’est l’histoire d’une volonté de fer.

Aucune sélection chez les jeunes

"Je jouais à Rouen en Pro D2 et j’avais l’objectif de découvrir le Top 14. Mais comme je suis Irlandais et Anglais par ma mère, j’avais aussi l’idée d’aller au Royaume-Uni. Mon agent a envoyé des vidéos à divers entraîneurs du Premiership. Et Pat Lam a répondu, Bristol cherchait un trois-quart-centre supplémentaire il a accepté de me donner une opportunité et je me suis retrouvé à Bristol avec un contrat d’une saison." L’agent en question a bien sans doute bien travaillé ce dossier qui n’était pas joué d’avance. Il faut aussi comprendre que recrutement d’un club professionnel passe parfois par des canaux qui peuvent surprendre. Un effectif ça se bâtit aussi en fonction d’un budget donné et de contrats planifiés à l’avance, certains sont généreux pour les joueurs de renom, d’autres sont plus modestes et destinés à ceux qui doivent faire leur preuve.

Pro D2 - Antoine Frisch avec Rouen
Pro D2 - Antoine Frisch avec Rouen Icon Sport - Baptiste Fernandez

Passer d’un club comme Rouen qui jouait le maintien en deuxième division à Bristol, demi-finaliste du championnat anglais en 2021, c’est déjà assez extraordinaire. Mais ce n’est qu’une partie du périple d’Antoine Fristch, l’homme qui a longtemps échappé à tous les radars de l’élite française. "J’ai débuté en région parisienne à Fontainebleau, au Rugby Sud 77. Après je suis parti jouer au PUC en cadets, puis j’ai intégré le centre de formation de Massy pendant trois ans jusqu’à 18-19 ans. j’en suis parti pour passer une année à l’université de Loughborough en Angleterre. De là, je suis revenu en France, au Stade Français où j’ai obtenu un contrat espoirs. Je voulais vraiment jouer en Top 14, mais ça ne s’est pas passé comme prévu, on va dire…" Antoine Fritsch n’avait jamais été aussi près du Graal, mais les quelques mètres qui séparent les vestiaires d’une équipe espoirs de ceux des professionnels sont parfois les plus durs à franchir.

Pas une seule fois il ne fut convoqué en équipe première. "De là, je suis parti à Tarbes en Fédérale 1, puis je suis revenu à Massy pour une saison et enfin, à Rouen." Nous étions en 2020, Rouen était monté l’année précédente. On aurait pu imaginer qu’Antoine Frisch avait atteint son but. Jouer en deuxième division, avec son CV ça ressemblait déjà à un accomplissement. Ceci dit, un an avant son arrivée en Normandie, un joueur nommé Gabin Villière en partait pour signer à Toulon qui serait son tremplin pour le XV de France. Villière n’avait connu que la Fédérale 1 avec Rouen, mais il avait été repéré par les sélectionneurs de l’équipe de France à sept.

Passage frustrant au Stade Français

Antoine Frisch, de son côté, restait un parfait inconnu pour le DTN et la caste des entraîneurs nationaux. Mais au fond de lui, la flamme brûlait toujours, la certitude d’avoir le potentiel pour s’escrimer avec les tout meilleurs. "Oui, j'avais envie de ne rien regretter, même si je n’ai pas eu un chemin classique. Mais j’avais des objectifs. Il est clair que je n’ai pas été porté par la filière des sélections de jeunes, je n’ai jamais connu de sélection nationale. J’avais tenté d’intégrer le pôle espoir en Ile de France, mais je n’ai pas été pris. Heureusement que j’ai réussi à entrer au centre de formation de Massy, ce fut une étape décisive dans mon cursus. C’est ce qui m’a permis de rester en contact avec le haut niveau. J’ai fait un sport études là-bas, et nous nous entraînions à peu près comme les gars du pôle espoirs régional."

Le plus étonnant dans ce parcours tortueux, c’est qu’Antoine Frisch n’a jamais perdu le moral. "C’est vrai, c’est marrant, j’ai toujours cru en moi, j’ai toujours pensé que j’avais le niveau. Bon, je n’avais pas le physique pour moi, j’étais encore en développement à ce niveau. Mais je savais où je voulais aller." Porté par cette foi du charbonnier, Antoine mit une première fois le cap vers la Grande Bretagne et l’université de Loughborough, une référence du sport outre-manche. Au hasard de nos lectures, on croise parfois ce nom comme point de passage de joueurs britanniques, "loupés " par les académies des grands clubs. Dan Kelly, de Leicester, une sélection avec le XV de la Rose l’a fréquentée, tout comme un certain Thibaut Flament qu’Antoine a croisé dans des amphithéâtres. "C’est un établissement qui a des installations incroyables. Il y a des étudiants "normaux", mais les sportifs trouvent des emplois du temps aménagés. On trouve pas mal d’athlètes de haut niveau par exemple. En rugby, il y a cinq équipes, la première d’entre elles joue dans un championnat civil, au troisième niveau anglais, l’équivalent de la Fédérale 1. Mais je n’en ai pas fait partie."

Premiership - Antoine Frisch sous le maillot des Bristol Bears
Premiership - Antoine Frisch sous le maillot des Bristol Bears SUSA / Icon Sport - News Images

Il s’est contenté d’un championnat universitaire. C’est après cette expérience, qu’il se retrouva dans l’équipe espoirs du Stade Français, il y côtoya des gars comme Sekou Macalou. L’occasion de monter dans le train du bonheur était énorme. Mais pas une fois en deux saisons, de 2016 à 2018, il ne put franchir le Rubicon, même pas en Challenge Européen, tout juste une rencontre amicale d’avant saison. Il resterait un troupier chez les "Soldats Roses". il jouait ouvreur à cette époque et il avait devant lui Jules Plisson et Morne Steyn. De cette expérience, il a gardé un sentiment de frustration, forcément même si lui parle pudiquement de "déception" : "Maintenant, ce n’est plus un regret car je suis fier de ce que j’ai fait derrière. Mais oui, j’aurais aimé découvrir directement le plus haut niveau."

Le staff de l’équipe première resta donc insensible à ses qualités, ce qui nous fait toucher du doigt à quel point une carrière peut se jouer à trois fois rien. Qui aurait dit quand Antoine prit son baluchon pour Tarbes en Fédérale 1 qu’il se retrouverait quatre ans plus tard dans une franchise deux fois championne d’Europe ? Non conservé par le Stade Français, un de ses amis massicois, le talonneur Mathieu Bonnot souffla son nom à Yannick Vignette, l’entraîneur des Bigourdans. Voilà comment Antoine traversa la France du nord vers le sud grâce à un pote lui-même exilé, et en profita pour passer son permis de conduire. Il passa un an seulement dans les Hautes-Pyrénées, avec en plus une blessure aux adducteurs à soigner. Mais c’est là qu’il accepta de jouer au centre, choix finalement payant. Quand on se repasse avec lui le film de sa carrière, on comprend à quel point chaque décision fut difficile à prendre. Puisqu’il se sentait capable de jouer au plus haut niveau, il ne pouvait pas résister à l’opportunité d’un retour à Massy, relégué de Pro D2 en 2019, mais désireux d’y revenir. "J’ai pris le temps de bien réfléchir. c’était un choix difficile. Tarbes compte sur moi,mais Massy l’intéressait vraiment parce qu’ils peuvent remonter directement en Pro D2, alors qu’avec Tarbes, c’était plus sur deux ou trois ans..." déclara-t-il à la Nouvelle République sur le moment.

Massy ne remonta pas comme il le souhaitait, mais ses performances furent assez frappantes pour attirer l'œil de Rouen : peut-être le virage décisif de son parcours . Et pourtant, les statistiques indiquent qu’il ne joua que huit matchs pour Massy en 2019-20, pour cinq essais. En moins de dix rencontres, il avait réussi à convaincre un club de Pro d2 de l’engager. Toujours cette impression qu’une destinée ne tient qu’à un fil. « J’ai vécu une saison superbe, nous avons réussi à nous maintenir avec plein de joueurs avec qui j’avais grandi en région parisienne et que j’avais retrouvés là-bas. Et je me souviens de cette fameuse victoire avec bonus face à Perpignan à une journée de la fin. C’était le 7 mai 2021 , avec une victoire 31-17, Antoine jouait au centre. Le regretté Jordan Michallet avait fait un cent pour cent au pied.

Une pratique de la langue anglaise décisive

"Quand je suis arrivé à Bristol, je n’étais pas spécialement intimidé. Je savais pourquoi j’étais là et j’avais hâte de me faire mes preuves. Mais c’est sûr qu’en arrivant j'ai vu des joueurs connus, des gars de classe mondiale comme Piutau, Radradra, Sinkler et d’autres mais c’était plutôt de l’excitation que de l’intimidation pour moi. Pat Lam ne m’a rien dit de particulier, mais j’ai montré que j’allais me battre pour gagner ma place. J’ai fait un match amical contre Newcastle, et puis, je n’ai plus joué pendant trois mois. Puis, j’ai eu des opportunités, comme remplaçant, ça s’est bien passé et avec l’année 2022, les choses se sont améliorées. Et il y eut ce match contre les Saracens, même si nous avons perdu 27-23 ce fut un super match à jouer. Il y avait beaucoup d’internationaux sur la pelouse, dans ce très beau stade de football."

International - Antoine Frisch avec le Munster
International - Antoine Frisch avec le Munster Sportsfile / Icon Sport - Seb Daly / SPORTSFILE

Quand on réussit sur le tard comme lui, on savoure d’autant plus chaque atout que la vie vous a donné et qui parfois, se fructifient avec des années de décalage. L’ascendance anglo-irlandaise d’Antoine et son séjour à Loughborough lui ont donné un sacré coup de pouce : "J’étais habitué à parler anglais à la maison avec ma maman qui est professeur d’anglais à l’université. Ça m’a beaucoup servi car j’aurais galéré sans ça. C’est quand même difficile d’apprendre un plan de jeu sans parler la langue de l’équipe. Notre schéma est très précis, même si de l’extérieur nous donnons l’impression de ne pas être organisés et de jouer de partout. Je peux vous dire qu’il y a énormément de détails à maîtriser. Quel que soit l’endroit du terrain où on se trouve, on sait ce qu’on doit faire et qui on va trouver à ses côtés. En France, je n'avais pas la même impression." En Angleterre, Antoine a aussi découvert un sens aigu de la diététique, avec plusieurs repas par jour, pesés au trébuchet. Lui qui n’était pas un monstre de puissance a appris à s’étoffer pour résister aux chocs : "Si l’on combine la musculation et la nutrition, j’ai pris six kilos là-bas, sans m’en rendre compte."

S’il a pris le chemin de l’Irlande et du Munster, ce n’est pas parce que Bristol a dû se réajuster en fonction des nouvelles règles du plafond salarial. C’est bel et bien la franchise de Limerick-Cork qui lui a fait une proposition avec ce contrat de trois ans qui vient couronner les efforts de toute une vie. "J’ai bien conscience de ne pas être passé par les chemins classiques . Peut-être que mon entourage, mes parents se sont inquiétés pour moi, mais ils voyaient tellement que j'étais sûr de moi… Je le reconnais, quand je voyais que je n’étais pas sélectionné, oui, j’ai ressenti de la frustration, oui je me suis posé des questions. Mais au fur et à mesure que je grandissais, je me suis rendu compte que ce qui comptait, c’était ce que moi je pensais et ce que je voulais faire et que ça paierait un jour."

International - Antoine Frisch (à droite) aux côtés de l'ouvreur de l'Irlande Jack Crowley (à gauche)
International - Antoine Frisch (à droite) aux côtés de l'ouvreur de l'Irlande Jack Crowley (à gauche) Sportsfile / Icon Sport - News Images

On peut aussi imaginer que son ascendance irlandaise a joué dans la décision des dirigeants du Munster : "Ils m’ont dit qu’ils voulaient un trois-quarts centre supplémentaire. Mais ils m’ont dit qu’ils me voulaient vraiment. Ils m’ont parlé de mon ascendance irlandaise et mon profil les a doublement intéressés." Les provinces irlandaises sont tenues de privilégier les joueurs sélectionnables, c’est même la base du système celte. Appelé avec l'Irlande A en 2022, Frisch n'a jamais porté le maillot irlandais et c'est à l'occasion du Tournoi 2024 qu'il est appelé par... Le XV de France de Fabien Galthié. Pour préparer le crunch face à l'Angleterre, le centre remplace Pierre-Louis Barassi et à l’occasion de se montrer. "On le suit depuis longtemps, a confié Galthié. Pierre-Louis Barassi s’est fait une entorse, Jonathan Danty est forfait et lui enchaîne les bonnes performances avec le Munster, depuis le début de la saison. Il va donc nous rejoindre pour préparer ce match contre l’Angleterre." En même temps, Frisch ne se met aucune limite. Maintenant qu’il a s’est extrait des profondeurs du rugby professionnel, l'ancien Rouennais peut même se permettre de voir la vie en bleu. Après tout, Thibaut Flament, qu’il croisa dans les amphithéâtres de la fac, a bien réussi ce pari.

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Les commentaires (6)
prezavie Il y a 1 mois Le 13/03/2024 à 07:10

Le sang neuf a payé mr Galthier. Il faut continuer et aller plus loin. Sacrifier les vieilles gloires et les remercier. Et lancer des jeunes. Le resultat importe peu a part pour les stats de l entraineur sur Wikipedia. Merci Atonio et bonjour Colombes. Merci Fickou et bonjour ce nouvel Antoine.

Djive-ST Il y a 1 mois Le 11/03/2024 à 12:13

La determination est un atout majeur dans la vie ! Que ce soit en rugby, sport ou toute autre activité. Cela forge un individu ! Un exemple édifiant ! Flament en est un autre exemple et on voit où il e n est !

PurFan41 Il y a 1 mois Le 10/03/2024 à 22:17

Quel courage, quelle volonté, il ne dépareillera pas le groupe sur le plan du mental au moins. Un centre de plus c'est intéressant, qui connait bien l'esprit et le jeu british en plus ... Au passage le staff a l'oeil et bosse plus large qu'on ne le pense.