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6 Nations 2024 - Dan Biggar (Galles) : "Je n’ai pas le talent de Romain Ntamack"

Par Marc Duzan.
  • Dan Biggar, l'ouvreur gallois du RCT, devrait encore présent pour guider le jeu des Diables Rouges.
    Dan Biggar, l'ouvreur gallois du RCT, devrait encore présent pour guider le jeu des Diables Rouges. Icon Sport
Publié le Mis à jour
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En décembre 2022, Dan Biggar (34 ans, 112 sélections) débarquait à Toulon pour relever le dernier défi de son immense carrière. Pour nous, le demi d’ouverture des Diables Rouges évoque aujourd’hui une enfance passée dans les vagues de Swansea, l’adoration qu’il vouait alors à Jonny Wilkinson, ses récentes prises de bec avec Owen Farrell, ses conversations avec le prince William, les mots d’amour de sa mère Liz et la drôle de « Macarena » à laquelle il s’est longtemps prêté, avant de frapper aux buts… La parole est à vous, Dan...

Vous êtes arrivé à Toulon il y a un peu plus d’un an mais le public français vous connaît finalement peu. Qui êtes-vous, Dan Biggar ?

Je suis un enfant du sud du pays de Galles : je suis né et j’ai grandi à Swansea, à une centaine de mètres de la mer. […] Les gens ont parfois du mal à le croire mais cet endroit est vraiment magnifique, très sauvage... C’est l’endroit du monde que j’appelle généralement « maison ».

Autour de quoi votre enfance s’est-elle articulée, là-bas ?

Je surfais beaucoup, déjà…

Du surf ? Au pays de Galles ?

Oui ! En été, les vagues peuvent monter jusqu’à 1,50m ou 1,80m ! Swansea est même un spot de surf assez réputé, au Royaume Uni. Je vivais à 5 minutes de la plage, moi. Qu’aurais-je pu faire de mon temps libre, sinon du surf ? J’y allais très souvent après l’école, le week-end...

Est-ce là-bas que vous avez également débuté le rugby ?

Non loin de là, en effet... J’ai touché mes premiers ballons au petit club de Gorseinon. C’est là qu’a aussi démarré Leigh Halfpenny (ancien arrière du pays de Galles et de Toulon, N.D.L.R.). On a d’ailleurs joué dans la même équipe, tous les deux.

Qui butait ?

(il éclate de rire) On se partageait le boulot ! […] Après Gorseinon, j’ai rejoint le club de Swansea, puis la franchise des Ospreys…

À quel âge avez-vous commencé à buter, au juste ?

Je devais avoir 13 ans. Ma maman, Liz, m’avait alors emmené avec elle en Australie, pour la Coupe du monde 2003. En revenant de Sydney et après avoir assisté au titre de l’Angleterre, je voulais devenir Jonny Wilkinson. (il s’arrête, sourit) Vous voyez, même les enfants du pays de Galles rêvent de devenir un jour Jonny Wilkinson…

Étiez-vous déjà assidu, face aux perches ?

J’y passais des heures. Le matin, avant qu’elle ne parte travailler, maman me laissait au club avec un sandwich. Et puis, je passais la journée à taper des coups de pied… […] Je n’étais pas vraiment doué à l’école. J’avais besoin d’être dehors, et si possible un ballon entre les mains.

Vous parlez beaucoup de votre mère, décédée en 2021. Quelle place avait-elle dans votre vie ?

La plus grande place que l’on puisse imaginer. Quand on se disait au revoir, maman avait l’habitude de m’écrire ces phrases : « Je te souhaite tout le bonheur du monde, mon fils : aujourd’hui, demain et pour toujours ». J’ai couché ces mots sur un cahier, que j’ai posé sur ma table de chevet. J’y jette un œil tous les matins, au moment où je me lève. […] Ma mère était ma plus grande supportrice… Elle aurait tant aimé Toulon…

Avant de tirer aux buts, vous avez une routine très particulière. Certains, dans le monde du rugby, la comparent même à une « Macarena ». Comment l’avez-vous choisie ?

Je vais vous raconter… Pour préparer la Coupe du monde 2015, nous avons été au Qatar avec la sélection galloise : le staff estimait que nos organismes tireraient forcément des bénéfices après avoir souffert sous des chaleurs intenses. Là-bas, quand je m’entraînais à buter, il faisait parfois 45 degrés dehors. J’étais agité, nerveux et je suais, suais… Sont alors venus ces gestes, cette façon que j’aie de m’essuyer le front, les mains, le torse avant de taper. J’ai épousé cette routine à ce moment-là de ma carrière ; elle m’a suivi pendant des années.

Avez-vous vu cette vidéo où le deuxième ligne sud-africain Bakkies Botha, juste avant de taper une transformation sous le maillot des Barbarians, vous imite ?

(il éclate de rire) Oui, bien sûr ! Le pire, c’est que je ne me suis jamais trop rendu compte de que je faisais, avant de buter ! J’étais dans ma bulle, moi ! […] Aujourd’hui, je peux néanmoins concevoir que tout ça ait pu paraître étrange, aux yeux des gens. Mais ça avait plutôt bien fonctionné, pendant la Coupe du monde 2015 . Pourquoi l’aurais-je changée ?

En début de saison, à Perpignan, vous vous êtes blessé au dos au moment où vous vous élanciez pour frapper une transformation. Que s’est-il passé, ce jour-là ?

Une hernie s’est déclenchée au moment où j’ai démarré ma course d’élan, voilà tout. Les gens en rigolent, mais ce fut l’une des pires douleurs que j’ai connue dans ma carrière !

À ce point ?

Oui. J’étais cloué au sol et la douleur était insupportable ; très vite, les soigneurs ont emmené la civière mais il m’était impossible de me hisser dedans. Je suis sorti du terrain comme j’ai pu et pendant quelques jours, j’ai même été incapable de jouer dans le jardin avec mes deux garçons (6 ans et 1 an, N.D.L.R.).

Comment expliquez-vous qu’un petit pays de 3 millions d’habitants comme le pays de Galles produise autant de bons joueurs de rugby ?

C’est une bonne question… Je crois que ces dix dernières années, on s’est avant tout appuyé sur une génération dorée : il y a eu Justin Tipuric, Sam Warburton, Leigh Halfpenny, Dan Lydiate, Jonathan Davies, Alun-Wyn Jones, moi-même… On a tous percé au même moment ; on était tous tournés vers un objectif similaire, tous mus par une détermination farouche. J’ai d’ailleurs coutume de dire que nous avons alors boxé dans la catégorie qui n’aurait pas dû être la nôtre, pendant toutes ces années : nous avons regardé l’Afrique du Sud, la France et l’Angleterre dans les yeux.

Voire un peu plus, parfois…

(il coupe) Nous n’étions pas les plus talentueux du circuit. Mais nous avons travaillé très dur, pour rester au top.

Ne pensez-vous pas, néanmoins, que le Tournoi des 6 Nations qui s’annonce sera particulièrement difficile pour le pays de Galles ? La génération dorée dont vous parlez a en effet tiré un trait sur le rugby international…

Ce Tournoi s’annonce passionnant et j’ai vraiment hâte qu’il démarre. Comment les Irlandais vont-ils s’organiser sans Johnny Sexton ? Comment la jeune génération galloise va-t-elle aborder notre succession ? Qui succédera à Owen Farrell pour mener le jeu anglais ? Et comment les Français joueront-ils sans leur charnière Dupont-Ntamack ? Il y a beaucoup d’inconnues dans ce Tournoi des 6 Nations. Le rugby du Nord entre dans un nouveau cycle, en quelque sorte…

Puisque vous parlez d’Owen Farrell, permettez-nous cette question : que lui avez-vous dit, le jour d’août 2023 où vous vous êtes tous deux sérieusement accrochés ?

Je n’ai aucun problème avec Owen. On a joué ensemble avec les Lions britanniques et irlandais. Mais ce jour-là, c’est entre nous devenu personnel quand il est venu vers moi et m’a dit : « Arrête de te plaindre ».

Ah oui ?

Oui. C’est ce qu’il m’a dit après avoir plaqué haut Taine (Basham, le troisième ligne gallois, N.D.L.R.). Moi, j’essayais juste de faire valoir mon point de vue à l’arbitre. J’ai alors dit à Owen qu’il était autorisé, au rugby, que les gens s’en prennent à lui. Qu’il n’était pas supérieur aux autres. [...] Owen est un grand compétiteur, tout comme moi. Entre nous, ce fut juste un échange un peu musclé, un coup de sang. On en rigolera, la prochaine fois que l’on se croisera.

Comme ça, vous avez pourtant l’air d’un garçon fort poli, très calme…

Je sais, oui ! (rires) Mais au rugby, personne n’a envie de jouer avec des garçons polis !

Probablement, oui...

Dès que je sors du terrain, je retrouve mes bonnes manières, rassurez-vous ! (il marque une pause, reprend) Si je n’avais pas eu ce caractère-là, je n’aurais de toute façon pas pu faire cette carrière.

Vraiment ?

Oui. Je n’ai pas le talent de Romain Ntamack ou de Marcus Smith. On ne peut pas me comparer avec ce type de joueurs. Mais j’ai, en moi, le goût du travail, un fort caractère et beaucoup de détermination.

Vous rappelez-vous du jour où votre agent vous a appelé pour vous proposer ce poste de demi d’ouverture au RCT ?

Comment l’oublier ? C’était un dimanche après-midi : j’étais sur mon canapé ; je regardais un match de foot entre Manchester United et Arsenal. Je suis un grand fan des Reds Devils. Là, le téléphone sonne. Je regarde, c’était le numéro de mon agent. Il ne m’avait jamais appelé un dimanche. Il ne m’avait même jamais appelé pendant un match de Manchester ! (rires)

Qu’avez-vous fait ?

J’ai décroché et là, il a commencé à prendre des nouvelles de la famille, tout ça… Dans ma tête, je pensais : « Allez ! Va directement au but ! » C’est alors qu’il m’a annoncé que Toulon était intéressé par mon profil et que les dirigeants du Rct me voulaient dès maintenant.

Dès lors ?

C’était un choix de vie important, pour moi : mon second fils était né quelques jours plus tôt, j’avais encore plusieurs mois de contrat à Northampton... Mais je ne pouvais pas dire non à Toulon.

Pourquoi ?

Quand le Barça ou le Real Madrid frappent à la porte d’un footballeur, il ne peut pas dire non. C’est impossible. Moi, j’étais un peu dans cette situation. Alors, j’ai foncé. (il marque une pause) On a foncé.

Il y a peu, l’arrière anglais du Racing 92, Henry Arundell, nous confiait que le Top 14 est bien meilleur que le Premiership. Êtes-vous d’accord avec ce constat ?

Le Top 14 est un produit incroyable. Tout y est plus grand qu’ailleurs : les villes, les stades, les foules… Tous les week-ends sont quasiment des week-ends de rugby international. La passion qui s’y déploie autour de la balle ovale est probablement unique, dans le monde.

On dit que votre maîtrise de la langue française est désormais très bonne. Quel est votre mot favori, en Français ?

La première chose que mon professeur de Français m’a apprise il y a un an, c’était : « on craint dégun ! » Tout en me spécifiant bien que si je disais ça en plein Paris, personne ne me comprendrait… […] J’aime cette expression toulonnaise. Elle a une bonne énergie. […] Vous savez, j’ai toujours voulu apprendre une autre langue et aujourd’hui, je ne dis pas que mon Français est parfait -il ne l’est pas- mais mes coéquipiers me comprennent : je peux diriger le jeu, annoncer les lancements et hors du terrain, commander un dessert au restaurant, ce qui n’est pas inutile…

Vous avez disputé 112 matchs avec la sélection galloise. Qu’avez-vous éprouvé le jour où tout s’est arrêté, lors de la dernière Coupe du monde ?

C’était brutal… Je sentais que j’avais encore en moi un ou deux matchs internationaux dans les pattes. Au coup de sifflet final, j’étais donc un peu perdu, un peu hagard. J’essayais de faire bonne figure devant les petits mais je savais que quelque chose d’important venait de se produire dans ma vie d’homme et qu’elle ne serait plus jamais la même. Mais bon…

Quoi ?

Le rugby international, ce sont aussi beaucoup de sacrifices : les tournées d’été au bout du monde, les deux mois de Tournoi des 6 Nations loin des enfants et de mon épouse, Alex… Malgré la tristesse ressentie sur le moment, j’ai donc assez vite basculé : cette saison, c’est la première fois de ma carrière où je vais pouvoir me concentrer sur mon club et seulement sur mon club. Ça me plaît.

Le rugby de clubs, aussi intense soit-il, n’a pourtant pas la même puissance qu’un Galles-Angleterre à Cardiff…

Je ne sais jouer au rugby que d’une seule manière : en donnant tout ! Le Dan Biggar qui disputait un match avec Gorseinon est le même qui jouait avec le pays de Galles ou celui qui jouera demain pour Toulon.

Vous étiez l’ouvreur du pays de Galles, le jour où le XV du Poireau a battu le XV de France en quart-de-finale de Coupe du monde, au Japon (20-19). Après le match, comment aviez-vous vécu le fait que Jaco Peyper, l’arbitre de la rencontre, pose au milieu de supporters gallois en mimant le coup de coude de Sébastien Vahaamahina ?

Je sais que le sujet est encore sensible chez de nombreux Français mais sur le moment, ça m’avait fait rire. Jaco Peyper est un sacré caractère, vous savez… […] J’ai récemment parlé de ce match avec Charles Ollivon. Je lui disais que depuis ce quart-de-finale, le XV de France avait connu une progression constante quand nous avions, de notre côté, quelque peu décliné. C’est le cycle normal de toute équipe.

En tant que capitaine du pays de Galles, il vous est souvent arrivé de rencontrer le Prince William. Aime-t-il vraiment la balle ovale ?

Oui, il adore ça. Son fils, le Prince George (10 ans, N.D.L.R.), vient d’ailleurs de commencer le rugby à l’école.

À quel poste ?

Je ne sais pas mais la dernière fois que je l’ai croisé, je lui ai juste soufflé : « Ne dis jamais oui à ceux qui te demandent de jouer pilier ou deuxième ligne ! Prends le numéro 10, le numéro 15 et éclate-toi loin d’eux ! » (rires)

Et pour en revenir à son père, alors ?

Le Prince William est souvent venu nous voir pendant la dernière Coupe du monde : contre les Fidji à Bordeaux, l’Argentine à Marseille… La dernière fois où je l’ai croisé, nous étions dans les vestiaires du stade et dans la poche de mon pantalon, le téléphone n’arrêtait pas de vibrer. C’était ma femme, Alex, qui voulait me dire qu’elle m’attendait dehors. Elle insistait, elle insistait et je ne répondais pas. Elle devait être furieuse mais que vouliez-vous que je fasse ? Je n’allais quand même pas congédier le prochain roi d’Angleterre ! (rires)

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Les commentaires (6)
Gcone1 Il y a 2 mois Le 31/01/2024 à 08:19

C'est un bosseur ! C'est un leader ! Coéquipier avant tout ! Habité par et pour son rugby ! Merci Monsieur !

Alain65 Il y a 2 mois Le 30/01/2024 à 20:26

En plus d'être très humble, cet immense joueur aux 112 sélections est un grand connaisseur de notre très beau rugby. Il reconnait avoir admirer Jonny WILKINSON qui est une légende. Il admet également ne pas avoir le talent de Romain N'TAMACK ! Tiens, cela va contrarier encore certains haineux qui ne voient qu'un autre joueur 10 avec un peu de talent ! ! !
Enfin, j'apprécie ce genre de joueur qui ne se prend que pour ce qu'il est. Le terrain parle et révèle les capacités de chacun, là est la réalité. Personnellement, j'ai porté le ballon plus par plaisir que par intérêt. Mon ambition était de savourer de très bons moments sur le pré et en dehors avec ses copains, disons, co-équipiers. Le rugby est fédérateur et véhicule des valeurs saines. Respectons-le. Merci.

Pitou13 Il y a 2 mois Le 30/01/2024 à 19:55

C'est vraiment un mec bien, très sympa et pro. Très belle interview.