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International - Virimi Vakatawa : "Je connais mon cœur. Il ne m'a pas dit d'arrêter"

Par Jérôme Prévot
  • Virimi Vakatawa a rejoué au rugby avec les Barbarians.
    Virimi Vakatawa a rejoué au rugby avec les Barbarians. - Photo Carlos Matias
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Vendredi dernier à Brive, on a revu Virimi Vakatawa sur un terrain crampons au pied avec les Barbarians. L'ancien centre ou ailier du XV de France a décidé de braver les risques décelés par les examens médicaux. Il espère bien retrouver un club qui se trouvera forcément à l'étranger. Reportage. 

Nous n’avions jamais vraiment cru qu’on ne le reverrait plus. C’était une intuition, comme ça, fondée sur l’expérience. Onze mois après s’être vu interdire la pratique du rugby sur le sol français, Virimi Vakatawa, 32 capes avec le XV de France a rejoué. Le seul international tricolore de l’histoire à avoir été sélectionné sans être affilié à un club (c’était en 2016) est réapparu sur la pelouse Amédée-Domenech du Stadium municipal de Brive, sous le maillot noir et blanc des Barbarians britannique. Comme c’est la coutume, il avait été laissé libre de la couleur de ses chaussettes, elles étaient rouge à droite, noire à gauche. "Celle-ci pour représenter mon club fidjien et celle-ci pour représenter ma province." Elles n’étaient donc pas ciel et blanc.

La force de la loi ou la responsabilité du joueur

On avait appris voici quelques semaines que le joueur ne se résolvait pas au diagnostic médical du staff médical du Racing qui avait décelé chez lui une pathologie cardiaque évolutive. Le cas Vakatawa dit pas mal de choses de la différence de culture entre la France et les pays anglo-saxons. Dans notre société sans doute plus soumise à une vision collective et redistributive de la société, le diagnostic du médecin parisien lui interdit de poursuivre sa carrière, c’est la loi. Dans les autres grands pays de rugby plus anglo-saxons, la responsabilité de jouer incombe au joueur qui doit juste signer une décharge. Qui doit décider de votre destin ? Vous-même ou les lois du pays qui vous abrite ? Vaste et passionnant débat. Le joueur l’a exprimé après la rencontre : "Je n’ai jamais souffert, médicalement ça va. Je connais mon cœur. Il ne m’a pas dit d’arrêter. Je n’ai jamais souffert, je n’ai interrompu ma carrière que parce qu’un examen me l’a imposé. Attention, je respecte la décision médicale faite en France, il n’y a aucun problème avec ça. Mais j’ai pris personnellement la décision de continuer et j’y vais à fond."

Virimi a sans doute vécu des semaines d’introspection, un vrai cas de conscience que sa foi a aidé à résoudre. Un séjour auprès de sa famille aux Fidji a fait céder les dernières digues. Il a aidé aux travaux de la ferme, il a participé à la construction d’une maison. Puis il a franchi le pas et c’est ainsi que son agent, Laurent Quaglia a pris son téléphone pour appeler Pat Lam, entraîneur… samoan des Barbarians. Virimi reprit l’entraînement en solo, quatre semaines de travail acharné dans l’anonymat d’un stade de la Porte d’Auteuil et d’une salle de musculation de Boulogne-Billancourt, reconnu de-ci de-là par des rugbymen en herbe. Évidemment, ce choix sonnait aussi comme un au revoir à la France, ce pays qui lui a offert une carrière et un statut social extraordinaire, mais dont la rigueur des lois a aussi stoppé sa trajectoire de la plus brutale des façons. Dans la semaine, il avait expliqué dans les colonnes de L’Équipe : "J’ai dit à Laurent (Quaglia) que je ne me sentais pas seul. Je crois en Dieu. Je sais qu’il y en a un dans ce monde. C’est lui qui m’a donné ce talent. Au fond de moi, j’ai encore beaucoup à faire dans le rugby en tant que joueur. Peut-être que je serai un jour entraîneur, mais pas maintenant. Je préfère encore jouer et montrer mon talent sur le terrain avant de passer à autre chose."

Je sais que beaucoup de gens pensent que je prenais des risques. Mais au final, j’ai constaté que tout le monde était content et j’ai ressenti de la joie. Merci à tout le monde !

Dans le camp d’en face, les Samoa étaient là pour préparer leur Mondial, sous la canicule, dans un stade de Brive largement dégarni. Le public local avait plus la tête à la Pro D2 et au match du CAB à Agen diffusé sur grand écran, commentaires à plein volume pendant l’échauffement des deux équipes. Ce mélange d’atmosphère champêtre et de niveau international offrait une bouffée de nostalgie qui nous ramenait au rugby d’autrefois quand les joueurs étaient approchables et restaient volontiers taper le bout de gras sans protocole corseté. Les Samoa se sont imposés sans coup férir (28-14), mais les Barbarians britanniques se sont bien battus. Virimi Vakatawa a joué cinquante-cinq minutes avec le numéro 13, associé à l’ancien international australien Curtis Rona, servi à l’ouverture par Antoine Frisch, ce Français qui s’est fait un nom en Angleterre, puis en Irlande.

Au sein de ce collectif fait de bric et de broc, Virimi a touché cinq ballons d’attaque. Le premier à la quinzième minute, qui l’a vu percer sur quinze mètres en échappant à deux défenseurs. Puis à la 18e, il a tenté sa première chistera, loupée. À la 36e, il s’est échappé via une course en biais, quinze mètres, a fini par un passage au sol, pour une fixation. Au sein d’une équipe dominée, sa première mi-temps fut globalement discrète avec la sensation vu des tribunes que ses plaquages manquaient de vigueur, signe le plus évident de sa coupure avec le très haut niveau.
Sa deuxième mi-temps commença par une nouvelle tentative de chistera "longue portée" totalement loupée, puis à la 50e, il nous gratifia d’un superbe cadrage débordement petit côté, crochet vers la droite pour décaler son ailier australo-fidjien Henry Speight dans un couloir. Son sommet de la soirée survint quatre minutes plus tard, récupération d’une passe au pied samoane dans l’en-but. Virimi Vakatawa ramasse le cuir et se lance dans une contre-attaque soyeuse, une relance insolente de facilité sur vingt mètres pour retrouver un partenaire à l’intérieur. Du rugby de terrain vague à l’état pur.

Sortie sous les ovations

C’était là le cadeau qu’il réservait au public de Brive, maigre, mais forcément attentif et passionné (quel tiède aurait pu venir voir cette rencontre sans attache locale ?). Puis Pat Lam lui fit signe, Virimi Vakatawa sortit sous les applaudissements de la foule corrézienne, mais aussi des autres joueurs, parfaitement conscients de la situation. Son ouvreur, Nicolas Frisch témoigne : "Nous étions très contents pour lui. On ne pensait pas le revoir si tôt, on craignait même de ne jamais le revoir sur le terrain. Je lui souhaite le meilleur pour la suite, en bonne santé. Avec la chaleur, c’était un peu dur pour lui comme pour tous les autres Baabas. Mais il n’a pas perdu ses petits crochets sur la droite, ses "cad-dèb", ses raffuts, ni sa puissance. On a senti toutes la semaine qu’il avait des fourmis dans les jambes. Il faisait tout à fond, alors que nous, on était plus tranquilles, comme souvent dans les semaines Barbarians."

Au moment de franchir la ligne de touche, il leva les deux bras en signe de défi au destin. Il avait expliqué à son agent, qu’il ne se sentait pas seul. Et pourquoi le cacher ? À notre époque de sport hyperrationaliste, voir un joueur confier son destin au Créateur nous parle, fatalisme suprême.
"Je voulais d’abord remercier Dieu qui m’a donné cette opportunité, réagit-il en levant les yeux au ciel. Oui, ça me fait très plaisir de retrouver le terrain. Le match fut assez dur pour nous car nous n’avons eu qu’une semaine de préparation. Mais je me sens fier, même si j’ai un peu pioché physiquement, surtout dans les vingt premières minutes puisque je n’avais plus joué depuis un an. Mais j’ai fait près de 60 minutes En défense, j’ai un peu manqué d’engagement et de rythme, mais je n’avais pas non plus les automatismes nécessaires avec mes coéquipiers. Les applaudissements que j’ai reçus à ma sortie m’ont beaucoup touché. Je sais que beaucoup de gens pensent que je prenais des risques. Mais au final, j’ai constaté que tout le monde était content et j’ai ressenti de la joie. Merci à tout le monde ! Ici en France, aux Fidji ou en Angleterre." Évidemment, Virimi Vakatawa espère bien ne pas en rester là. Les Barbarians ont encore des matchs à leur programme à Bristol, à Northampton, au Munster à Llanelli et face au pays de Galles, autant d’occasions de rappeler qu’il existe : "Oui, je suis en train de chercher un club. J’espère que je vais en retrouver un dans pas longtemps."

Virimi Vakatawa avec Fabien Galthié au moment d'annoncer la fin de sa carrière.. en France et avec le XV de France.
Virimi Vakatawa avec Fabien Galthié au moment d'annoncer la fin de sa carrière.. en France et avec le XV de France. Icon Sport

La destination la plus probable reste l’Angleterre (ou peut-être le Japon). Ça tombe bien, son entraîneur du jour Pat Lam est aussi celui de Bristol : "Je n’ai pas l’impression de voir un retraité. Il n’a rien perdu de ses qualités, il est au niveau. Il y avait juste des questions d’organisations collective, qu’on peut comprendre quand on sait que nous n’avons eu qu’une semaine de préparation et pour la défense, deux séances seulement. Oui, il y a cette interdiction, mais il y a plein d’exemples de joueurs qui n’ont pas réussi à satisfaire des tests médicaux français et qui ont pu poursuivre leur carrière ailleurs." Dans l’œil du manager, on comprit que potentiellement, les deux hommes pourraient se retrouver pour travailler ensemble au quotidien.

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Les commentaires (2)
CasimirLeYeti Il y a 8 mois Le 23/08/2023 à 10:24

Dangereux, très dangereux même mais c'est son choix personnel, donc il faut le respecter, surtout après tout ce qu'il a fait pour la France et le Rugby.

Iorana82 Il y a 7 mois Le 29/08/2023 à 15:30

Dangereux sans doute pour qq qui ne pratique pas le sport depuis qu'il est tout petit, qui n'a pas une hygiène de vie "irréprochable" et qui n'est pas suivi quotidiennement par un staff médical... Je trouve dommage que la France n'applique pas cette règle de la décharge individuelle...