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"C’est inespéré que j’en sois là" : Lartot s'exprime après son amputation et annonce sa présence aux commentaires de la Coupe du monde

Par Arnaud Beurdeley
  • Matthieu Lartot (à gauche) fera son retour aux commentaires des matchs des Bleus
    Matthieu Lartot (à gauche) fera son retour aux commentaires des matchs des Bleus - Matthieu Lartot
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Depuis son amputation d’une jambe en raison de la présence d’un sarcome, le commentateur des matchs des Bleus sur France Télévisions est au centre de rééducation de Ladapt, situé en banlieue parisienne. Il le quittera le 11 août pour y revenir en hospitalisation de jour à partir 21 août jusqu’à la fin du mois. C’est depuis sa chambre qu’il a accepté d’évoquer son quotidien des dernières semaines. Jamais dans le pathos, toujours avec un sourire contagieux et une force incroyable. Il n’en oublie pas pour autant les difficultés qui l’attendent. Et annonce également qu’il sera bien aux commentaires de sept des dix rencontres du Mondial diffusées sur France Télévisions. Pour son plus grand bonheur.

D’abord, comment allez-vous ?

Je me sens bien. Je suis affûté comme une lame. Je n’ai jamais été aussi bien physiquement. Il faut dire que je bosse comme un chien, je n’ai jamais autant transpiré en trente ans que ces dernières semaines. J’en suis presque à galoper (rires). J’essaie surtout d’appréhender la prothèse. Je sais qu’il me faudra au moins une année pour bien maîtriser la chose, mais j’ai eu la chance de pouvoir passer rapidement sur un genou électronique. Et aujourd’hui, je ne marche qu’avec une seule béquille.

C’est-à-dire ?

Au départ, j’avais un genou mécanique. Comme son nom l’indique, il me permettait d’avoir un axe de marche, de plier et déplier. Aujourd’hui, j’ai un genou "bionique". Pour faire simple, c’est comme si vous passiez d’une voiture sans direction assistée à un véhicule avec direction assistée. C’est donc plus souple, plus intuitif. J’ai un mode marche active, un autre pour faire du vélo, etc. C’est plus facile à apprivoiser. Maintenant, je sais que c’est provisoire car tout dépend de l’évolution du moignon. Pour ça, les prothésistes doivent constamment modifier l’emboîture. Ce n’est pas forcément agréable car au début cette emboîture est en résine, ça rentre un peu dans l’aine et provoque de l’inconfort. Mais à terme, d’ici un an j’aurai une emboîture en silicone double peau qui sera moins douloureuse. En attendant, mon corps s’adapte. Je ne veux pas crier victoire, je ne suis pas encore en rémission. Mais ce que je sais, c’est que je me suis donné 300 % de chance pour que le cancer ne revienne plus et que tous les examens réalisés à ce jour soient parfaits. Évidemment, j’aurai une surveillance étroite tous les trois mois pendant plusieurs années, mais je suis dans l’optique de m’en sortir et j’avance tous les jours dans cette direction.

Comment avez-vous vécu les premiers instants où il vous a fallu réapprendre à marcher avec une seule jambe ?

Vous savez, je crois qu’inconsciemment je m’étais préparé psychologiquement à ça. Depuis mon premier cancer, je savais au fond de moi que ce moment-là arriverait un jour. Ça n’a donc pas été si difficile. Certainement moins difficile pour certains patients que j’ai croisés au centre de rééducation. Eux se sont parfois réveillés amputés après un accident de moto. Ils n’y étaient pas préparés. Je ne veux pas passer pour le gars qui se la joue "super héros" car des mecs comme moi il y en a dans tous les centres de rééducation de France, mais j’ai le sentiment d’avoir franchi ce cap plutôt facilement.

Vous avez récemment annoncé que vous seriez bien aux commentaires des matchs de la Coupe du monde diffusés par France Télévisions. Y avez-vous toujours cru ?

D’abord, c’est assez inespéré que j’en sois là physiquement. Au centre de rééducation, le personnel est estomaqué de la rapidité avec laquelle j’ai appréhendé la marche avec prothèse. J’ai quand même été amputé assez haut, ce qui, normalement, complique la reprise de la marche. Au départ, les prothésistes, les kinés étaient très prudents. Et finalement, tout se passe bien.

Qu’est ce qui vous a permis de vivre cette épreuve avec autant de courage ?

Quand je suis arrivé au centre de rééducation, il y avait déjà trois personnes présentes suite à une amputation. Parmi celles-ci, il y avait Adama, amputé un mois avant moi. Et comme durant les 10 premiers jours, j’étais encore en période de cicatrisation, je ne pouvais rien faire mais j’ai beaucoup observé Adama. C’était une machine de guerre, je l’ai vu travailler, transpirer, s’envoyer. Je me suis dit dès que je serai debout, je vais me mettre dans sa roue. Et c’est ce que j’ai fait. Par moments, les kinés nous disaient de nous calmer. Mais il m’a vraiment tiré vers le haut. Je n’avais plus fait de sport avec cette intensité depuis plus de 30 ans. J’ai eu l’impression de revivre. Ça peut paraître con mais à terme, je vais faire des choses que je n’ai jamais faites dans ma vie. Ma prothèse est connectée sur une application que j’ai sur mon téléphone et je peux changer les modes directement sur l’application. Et grâce à ça, hier (mercredi dernier), j’ai fait du vélo d’appartement pour la première fois depuis 30 ans. Aujourd’hui, il me tarde déjà aller faire des balades à vélo avec ma femme et mes enfants.

Vous avez également décidé de communiquer très rapidement d’abord sur votre maladie, puis sur l’évolution des soins. Pourquoi cette démarche ?

Après l’annonce de la récidive de mon cancer, j’ai reçu des milliers et des milliers de messages. Évidemment, il m’était impossible de répondre à tout le monde individuellement, même si j’ai entretenu des échanges réguliers avec différentes personnes m’ayant contacté. J’ai donc décidé de faire un « post » par mois pour donner de mes nouvelles. Ça me permet de répondre de façon collégiale. Mais évidemment, il y a des choses qui relèvent de l’intime que je ne mettrai jamais sur les réseaux sociaux.

Cette décision a-t-elle été facile à prendre ?

Le cancer a trop longtemps été une maladie taboue. Je vous rappelle que pendant des années, pour annoncer un décès, il y avait cette petite phrase maudite : "Monsieur ou Madame machin est décédé d’une longue maladie". Heureusement, ces dernières années, la parole s’est libérée. Évidemment que le cancer est une épreuve terrible, mais on peut la traverser avec optimisme et espoirs. Je suis dans cette démarche depuis le début.

Comment vivez-vous aujourd’hui votre handicap ?

D’abord, je dois dire que je prends en pleine gueule les problèmes d’accessibilité dans notre société. J’ai toujours été handicapé depuis mon premier cancer, mais aujourd’hui encore plus. À un an des Jeux Paralympiques de Paris, notre pays est à la traîne pour permettre de vivre correctement avec un handicap.

Merci pour vos pensées. Je regarde les copaings sur @France2tv pour cette grande finale! Enjoy et à bientôt pic.twitter.com/RtmS8s1YzI

— Matthieu Lartot (@lartot) June 17, 2023


Vous avez évoqué les problèmes d’accessibilité dans les stades pour les personnes souffrant d’un handicap. Vous y serez bientôt confronté. Comment appréhendez-vous cette problématique ?

La France a beaucoup de retard dans ce domaine. Prenons l’exemple du métro : à ma connaissance, seule la ligne 14 à Paris est adaptée aux personnes à mobilité réduite. Il y a aussi quelques stations ici ou là, mais c’est tout. Et encore, moi je pourrai descendre les escaliers, mais je pense aux personnes en fauteuil roulant. Là, c’est une autre histoire. Rendre Paris accessible à tous a été une promesse de la candidature de Paris à l’organisation des Jeux. On en est très loin.

Quid des stades ?

Je pense que je vais me retrouver parfois en difficulté car de nombreux stades ne sont pas adaptés aux personnes à mobilité réduite. J’ai pris récemment l’exemple du stade Mayol à Toulon. C’est le stade qui m’a le plus marqué. Déjà avant d’être amputé, avec ma jambe raide, j’avais des difficultés pour monter toutes les marches. Lors de la prochaine Coupe d’Europe, France Télévisions doit diffuser une rencontre du RCT. En l’état, je sais que je ne pourrai pas accéder à la tribune de presse. Mais il y a tellement de stades où tout est à faire… Malheureusement, c’est une problématique qu’on n’aborde jamais, mais à un an des Jeux paralympiques à Paris, c’est un vrai sujet de société.

De par votre exposition médiatique, avez-vous la volonté de porter ce combat ?

Oui, bien sûr. Maintenant, je ne me servirai pas de l’antenne de France Télévisions pour ça, sauf si on reçoit Tony Estanguet et qu’il y a une question à poser sur les Jeux Paralympiques. Cette bataille-là, je la mènerai plus auprès des présidents de clubs. La qualité d’un match de rugby est aussi liée à l’accueil des spectateurs. Et aujourd’hui, nombreux sont les stades en France qui ne répondent pas aux normes et commencent à être vétustes. Je pense même aux personnes âgées. Certains stades ne sont pas pratiques du tout. Il y a sans doute des solutions à imaginer.

Comment avez-vous vécu le soutien populaire et les messages venus du monde du rugby ?

J’ai reçu des dizaines de milliers de messages après l’annonce de ma rechute. J’ai reçu de nombreux courriers aussi à France télévisions. C’est complètement dingue. J’ai été très touché. Évidemment, je n’ai pas pu répondre à tout le monde. J’ai eu des messages d’encouragements, mais aussi des messages plus poignants, plus difficiles à lire. Beaucoup de gens dans la même situation que moi, de parents dont les enfants avaient aussi un sarcome. C’est parfois bouleversant. J’ai essentiellement répondu aux gens qui sont confrontés à la maladie et qui sont dans le combat.

A lire aussi : Une cagnotte lancée pour la ligue contre le cancer après l'annonce de Matthieu Lartot


Quelle était la nature de ces échanges ?

En fait, pour ces gens, il était important que quelqu’un donne de la visibilité à cette maladie. Mais pas seulement. J’ai souvent été remercié de parler du cancer avec une espèce de positive attitude. Non, le cancer ce n’est pas forcément la mort. Personnellement, je n’avais pas d’objectif quand j’ai pris la parole pour annoncer la récidive de mon cancer. Je voulais juste éviter que des conneries soient racontées si j’avais simplement dit que je me retirais de l’antenne pour plusieurs mois sans explication. Seulement, face au tsunami de messages, j’ai pris conscience que j’avais peut-être un rôle à jouer dans ce combat.

Vous semblez insubmersible…

Je ne veux pas faire de "storytelling" et raconter d’histoire, mais j’ai vraiment abordé cette épreuve avec beaucoup d’optimisme. Depuis le début, avec mon épouse Magalie qui a été exceptionnelle, tout comme mes parents et mes enfants, on a toujours tout positivé. On s’est toujours dit que ça allait bien se passer. Et quand j’ai pris la parole, je n’étais pas dans un rôle. Au contraire. Cette première prise de parole a été vertueuse : non seulement, elle m’a aidé car cela m’a ôté d’un poids, elle a aussi aidé de nombreuses personnes, et tous les messages reçus m’ont donné beaucoup de force et d’énergie pour entrer dans ce tunnel de la maladie. De façon un peu égoïste, ça me fait du bien de savoir que mes messages peuvent donner de l’espoir.

Pourquoi parlez-vous de « tunnel » ?

Parce que se battre contre un cancer, c’est être dans une vie parallèle.

C’est-à-dire ?

Tout est jalonné d’examens, de "pet scan", de scanner, de prises de sang quotidiennes… Et à chaque examen, l’attente… L’attente pour savoir si ça va, si ça ne va pas… On passe sa vie dans les hôpitaux. Ce n’est pas une vie normale. J’ai eu la chance d’être très entouré par les miens, mes parents, ma femme et mes enfants. Et par tous ces gens qui m’ont témoigné de leur soutien. Or, nombreuses sont les personnes à affronter la maladie toute seule. C’est dur pour elles. À chaque fois, j’ai répondu à ces personnes, jusqu’à entretenir des échanges très forts. Jusqu’au moment où mon oncologue m’a dit : "Monsieur Lartot, il faut aussi penser à vous et vous protéger." Je lui avais raconté les échanges que j’entretenais avec deux malades du cancer, malheureusement condamnées. Deux femmes admirables qui m’avaient demandé de continuer à donner de l’espoir. Depuis, l’une d’elles est malheureusement décédée. Voilà pourquoi j’ai aussi continué à communiquer sur mes réseaux sociaux. Parce que j’avais envie de donner de l’espoir aux gens qui se battent tout seul dans leur coin. Même quand on a un cancer rare, un sarcome agressif comme le mien, sept fois plus gros que celui traité trente ans plus tôt et diagnostiqué grade 3, on peut s’en sortir. Et ce fut d’autant plus facile pour moi que je n’ai eu que de bonnes nouvelles à communiquer.

Avez-vous hésité à publier la photo où l’on vous voit avec votre prothèse ?

Je n’ai rien à cacher. Je suis en short toute la journée au centre de rééducation. Et demain, quand j’irai à la plage, je serai en maillot de bain. Je n’ai aucune pudeur par rapport à ça. Et si ça peut aider des gens à mieux vivre leur handicap, encore une fois, pourquoi devrais-je m’en priver ou me cacher ? C’est hors de question. Certains comme Théo Curin ou Philippe Croizon ont déjà cette démarche. Ces gens-là offrent de la visibilité au handicap et c’est tant mieux. Et si je peux faire partie de cette liste, si je peux contribuer à aider de par mon statut ou ma position, pour que d’autres vivent mieux le handicap, je le ferai avec grand plaisir.

Finalement, face à la maladie, comme sur un terrain de rugby, le mental n’est-il pas capital ?

C’est marrant que vous me disiez ça car j’en ai parlé un peu avec Fabien (Galthié). Vous savez, quand il est devenu sélectionneur, nous avons pris un peu nos distances pour que chacun puisse rester dans son rôle. Or, dans cette épreuve que je traverse, nous nous sommes un peu retrouvés. Et au tout début, je lui ai dit que dans sa méthode de travail, j’avais puisé deux éléments : d’abord la flèche du temps ; ensuite, l’endurance mentale qui est un de ses grands mantras. Et je vais être exactement là où je le souhaitais, c’est-à-dire dans les stades pour commenter la Coupe du monde. Nous en avons beaucoup discuté avec Fabien qui a été très présent à chacune des étapes de ma maladie. J’ai parfois l’impression d’être en parallèle du XV de France, de suivre un peu le même chemin en direction du trophée Webb-Ellis.

En revanche, votre titre de champion ne se jouera-t-il pas que dans cinq ans ?

C’est un peu plus complexe que ça ! Je vais être suivi tous les trois mois pendant cinq ans et ensuite, je serai suivi encore pendant cinq ans. Tout simplement parce que deux sarcomes dans une vie, ce n’est pas fréquent. Et que le dernier était vraiment méchant. Mon cheminement sera donc un peu plus long que celui des Bleus. Pour moi, on se donne rendez-vous dans 10 ans. Pour eux, j’espère bien que ce sera le 28 octobre prochain.

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Les commentaires (2)
gusfred Il y a 8 mois Le 07/08/2023 à 21:57

bravo quel courrage et quelle bonne humeur

victor64500 Il y a 8 mois Le 07/08/2023 à 08:46

Que de bonnes nouvelles. Bravo à lui.