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Entretien avec Couilloud, néo-capitaine des Bleus, pluriactif convaincu

  • Le jeune demi de mêlée lyonnais ne manque d’ambitions. Il n’hésite pas à relever challenges sportifs avec son club et défis professionnels.
    Le jeune demi de mêlée lyonnais ne manque d’ambitions. Il n’hésite pas à relever challenges sportifs avec son club et défis professionnels. Icon Sport - Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Nommé capitaine des Bleus pour la finale d'Autumn Nations Cup, Baptiste Couilloud nous avait accordé un long entretien cet été. Retour.
 

International à 20 ans, capitaine du Lou à 22 ans, le demi de mêlée lyonnais est un jeune homme pressé. Mieux encore : à désormais 23 ans, Baptiste Couilloud s’apprête à signer un CDI avec une entreprise de génie civil. Pour préparer (déjà) sa reconversion ? Pas seulement. Dans le monde parfois monomaniaque du rugby professionnel, il est un pluriactif convaincu.

Il y a un an, Pierre Mignoni vous intronisait capitaine. Peut-on être capitaine à 22 ans ?

C’est délicat, oui. Ce serait mentir de dire le contraire. C’est un rôle difficile à endosser quand on est si jeune. Malgré tout, un capitaine peut avoir 22 ans quand il est épaulé comme je le suis à Lyon. Je mêle le staff et les autres joueurs. Déjà, je ne suis pas le seul capitaine. Il y a Félix (Lambey) et Charlie Ngatai qui ont aussi ce rôle. Ils ont des profils très différents du mien. Félix joue devant, déjà, et aborde son rôle avec son caractère, là aussi très différent du mien. Charlie bénéfice d’une très forte expérience, ce qui nous apporte aussi un autre profil. Mon rôle est simplifié par leur présence. Malgré tout, ce rôle a été dur à endosser, au départ. Aujourd’hui, je me dis surtout que c’est très constructif, très formateur.

Est-ce un moment délicat d’avoir, par exemple, à recadrer un joueur trentenaire ?

Le discours est toujours adapté à la personne en face. On ne parle pas de la même façon à joueur de son âge qu’à un trentenaire. Ce ne sont pas toujours des moments confortables, c’est vrai, mais j’essaie de rester le plus naturel possible. J’ai aussi la chance, à Lyon, d’avoir autour de moi un groupe plutôt jeune. C’est plus facile pour moi, ça me donne du confort.

Dans la période actuelle, il a fallu dépasser sa fonction de joueurs, ne pas se contenter d’être seulement un rugbyman. Aussi jeune soit-on, il fallait prendre ses responsabilités et des décisions

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans ce rôle ?

(Il hésite) Je ne sais pas trop. Il y a cette notion de devoir par rapport à ce club. Le Lou est mon club depuis tout jeune, il m’a beaucoup apporté. Je suis heureux de le représenter. Être capitaine, c’est aussi une reconnaissance qui amène de la fierté.

Certains de vos illustres prédécesseurs dans ce rôle parlent d’un effacement…

C’est très vrai. Cela m’a imposé de complètement changer ma façon de fonctionner, d’être moins focalisé sur ma personne et ma performance. Quand on passe capitaine, on cherche sans cesse à comprendre l’état de conscience de ses coéquipiers. On réfléchit au rôle de chacun dans le groupe. Je n’avais pas l’habitude de tellement me préoccuper des autres, de ceux qui m’entourent. Comment est-ce qu’untel se sent en ce moment ? Est-ce que tout va bien dans la vie d’un autre ? Dans quelle mesure sont-ils affectés par la rotation ou la hiérarchie à leur poste, titulaire ou remplaçant ? Je me suis mis à réfléchir à tout ça.

Cet effacement s’accompagne-t-il d’une usure ?

Oui, il faut dire la vérité. Le statut de capitaine passe avant celui du joueur. C’est frustrant, parfois. On se limite individuellement parce qu’on fait passer le collectif avant soi. Mais concilier toutes les problématiques d’une équipe, dans sa globalité, c’est aussi très intéressant. C’est usant mais aussi très formateur. Dans la période actuelle, il a fallu dépasser sa fonction de joueur, ne pas se contenter d’être seulement un rugbyman. Aussi jeune soit-on, il fallait prendre ses responsabilités et des décisions.

Vous parlez sans la nommer de la négociation sur la baisse des salaires…

Oui, entre autres. Il y a eu la négociation sur la baisse des salaires et tout le protocole sanitaire à mettre en place, à assimiler et à respecter. Tout cela entre dans une réflexion plus globale sur notre identité. Qui sommes-nous ? Qu’est-ce que le Lou, dans le paysage du rugby français ? Nous sommes un club encore jeune, qui doit travailler sur cette notion d’identité.

Une identité de jeu, aussi ?

Non, je ne parle pas ici d’identité de jeu. Plutôt de l’image qu’on veut donner à ce club. Ce sont des notions d’attitude, de comportement, d’état d’esprit. Ce qu’on souhaite représenter et incarner aux yeux de la France. Nous avions du temps, depuis l’arrêt du championnat, et nous avons beaucoup réfléchi en équipe autour de ces notions en puisant dans nos histoires personnelles, l’histoire de notre ville et celle de notre club. Le lien à l’histoire et au territoire est important. Je crois que nous avions besoin d’évoquer ces sujets. Il fallait que nous dépassions notre seule fonction de joueurs, pour devenir des acteurs du club, y compris en dehors du terrain.

Cette idée d’identité, assez conceptuelle, s’est heurtée à la négociation plus pragmatique sur la baisse des salaires. Une négociation qui, à Lyon, dure…

On s’est retrouvé dans des situations par moments inconfortables. Ce genre de sujet est conflictuel. Parfois, il y a eu des difficultés à faire passer les bons messages.

Expliquez-vous.

On aborde le problème de manière globale mais, en réalité, il fallait comprendre la situation de chacun. Les salaires sont différents, dans un même vestiaire. Les situations aussi. Moi, par exemple, je suis moins impacté par cette perspective de baisse des salaires que des joueurs qui ont des familles, ou qui ont contracté des crédits importants. Avant de vouloir globaliser un accord, il a fallu bien assimiler les situations de chacun, pour trouver une solution commune et cohérente. On a fait les choses avec de bonnes intentions et je crois qu’on va trouver une bonne solution.

Lyon est le dernier club de Top 14 à ne pas avoir officialisé d’accord…

En fait, une solution a été trouvée depuis longtemps. Il fallait juste que ce soit bien clair pour tout le monde et accepté par tous, en fonction de sa situation personnelle. Mais la solution est là depuis longtemps, il ne reste qu’à la finaliser. Maintenant, nous avons surtout hâte d’avancer, de retrouver notre sport et la compétition.

Vous étiez en première ligne sur ce sujet. Vous êtes capitaine de votre équipe, rugbyman professionnel et, au milieu de tout ça, vous construisez déjà un projet de reconversion. Dormez-vous, parfois ?

Oui, je vous rassure. (Il sourit) Ce n’est pas toujours évident, c’est sûr. Parfois, on aimerait se reposer mais je suis persuadé que c’est le bon moment pour moi de lancer tous ces projets. Je suis dans une situation exceptionnelle, celle d’une carrière de rugbyman professionnel, pour justement faire autre chose.

C’est-à-dire ?

On s’entraîne dur, bien sûr. Mais notre activité nous laisse du temps pour nous développer en tant qu’homme. J’ai des après-midi de libre et j’ai besoin de leur donner du sens, de trouver d’autres challenges excitants.

Quel est ce projet de reconversion ?

J’ai obtenu mon DUT en génie civil en début d’année dernière. Ensuite, j’ai enchaîné sur une formation en langue anglaise, moins prenante, afin de lever un peu le pied sur les études. Mais j’ai ressenti le besoin de revenir à mon projet initial, le génie civil. Je concrétise actuellement un projet avec une entreprise de construction.

Concrètement ?

Je vais signer un CDI avec une belle entreprise lyonnaise. D’abord, avec un planning adapté à mon statut de joueur professionnel, je travaillerai comme assistant à la conduite de chantiers.

Vous allez au-delà d’une simple formation ou d’un simple projet : vous serez pluriactif. N’est-ce pas antagoniste avec une carrière de rugbyman pro ?

C’est tout l’inverse : j’avais besoin d’avoir un projet en dehors du rugby.

Encourageriez-vous vos alter ego à en faire de même ?

Clairement. J’ai besoin d’avoir d’autres centres d’intérêt pour être heureux au rugby. C’est mon équilibre et je crois que cela servirait aussi à d’autres. Mon projet professionnel m’aide à être performant dans mon projet sportif. Et ce n’est pas un discours de façade : j’en suis persuadé. Je pense même que ce développement personnel, en dehors, devrait faire partie intégrante du métier de rugbyman. Parce que cela vous enrichit en tant que joueur. Le monde de l’entreprise m’apporte plein de choses que je retrouve au rugby. La gestion des ressources humaines, la négociation, toutes ces situations sont des choses qui m’aident dans ma vie sportive.

Dans la gestion de votre emploi du temps, le rugby n’en pâtit-il pas ?

Je ne pense pas. Je mets en œuvre tout ce que je peux pour être un meilleur joueur, le meilleur possible. Et ma formation professionnelle va dans ce sens : elle m’aide à être un meilleur rugbyman. J’en suis convaincu. L’avenir dira si j’ai été trop ambitieux en choisissant cette voie. Mais rassurez-vous, je n’oublie pas l’essentiel, la finalité : être performant le week-end, en match.

Votre club vous suit-il dans cette démarche ?

La majorité des clubs encourage ces démarches qui mêlent sport et projet professionnel. C’est le cas du Lou. Le club met tout en œuvre pour que je réussisse dans ce double projet.

Comment ?

Par exemple : pendant quatre ans, j’ai cumulé mes études et les entraînements avec le groupe professionnel. Quand les autres faisaient de la musculation l’après-midi, je la faisais le matin, à 7 h 30, pour pouvoir ensuite aller en cours. Le club nous aide et nous encourage, dès lors qu’on joue le jeu avec sérieux. Pierre (Mignoni) nous encourage à faire d’autres choses, à vivre d’autres expériences pour être de meilleurs rugbymen. Il m’encourage aussi dans ma démarche et fait ce qu’il peut pour m’aider.

Pour en revenir à l’actualité : le Lou a annoncé récemment trois cas positifs à la Covid-19. Qu’est-ce que cela change dans votre préparation ?

Beaucoup de choses. On ne part pas en stage, qui est normalement un moment important de notre préparation. C’est même un axe central, pour l’intégration des nouveaux joueurs. Avec cette situation, tout cela est à l’arrêt.

Et donc ?

On s’est adaptés rapidement pour faire des choses dès qu’on sera de nouveau libres de passer des moments ensemble. Ces moments sont importants pour créer une communion de groupe. Malheureusement, on ne peut pas le faire en stage. On va se servir des ressources de notre belle ville pour trouver du temps de vie en commun.

Et pour le rugby ?

On est répartis en petits groupes ou en autonomie, individuellement. On fait de la visio pour garder le lien et ne pas perdre de temps, continuer d’avancer sur notre projet rugby. On s’adapte

Ce temps perdu, est-ce un vrai handicap avant la reprise ?

Je ne le vois pas comme ça. On va mettre les bouchées doubles pour être près pour le retour. Mais ce n’est pas du temps de perdu, non. C’est du temps d’adaptation. Cela peut aussi être une expérience profitable.

Les acquis de la saison dernière vous donnent-ils des garanties ?

Le Top 14, c’est une page blanche chaque année. Sinon, le champion serait toujours favori à sa succession. Ce n’est pas le cas, tout repart de zéro. Malgré tout, le passé existe. Il y a une construction. Nous sommes un club finalement jeune en Top 14 mais chaque année, on voit qu’on progresse. L’effectif s’étoffe, le niveau de jeu est de mieux en mieux.

Alors, objectif champion ?

L’objectif, c’est de faire mieux que la saison dernière.

Vous étiez deuxième à l’arrêt du championnat.

Au-dessus, il n’y a que la première place…

Mais la première place ne garantit pas un titre, en rugby. Notre objectif, c’est d’être meilleurs que l’an dernier. Le reste, on le construira au fil de la saison.

À titre personnel, vous tournez autour de l’équipe de France, sans vous y être franchement installé. L’objectif est là ?

J’ai dû faire face à de nombreuses blessures qui ont, je crois, annihilé un certain nombre de mes potentiels matchs en Bleu. Oui, l’équipe de France est un objectif. Ça me fait rêver.

Tous les joueurs le pensent mais tous n’affirment pas cette ambition…

Le club passe avant tout, c’est évident. Il faut que je sois bon avec le Lou, c’est la priorité. Mais je ne vois pas pourquoi cacher mon envie de porter ce maillot du XV de France. Il me fait envie et me motive, je n’ai pas de problème à le dire. Quand on voit ce qui est mis en place actuellement, on a envie d’en être.

Vous arrivez en même temps qu’Antoine Dupont dont, au regard des derniers matchs, on se dit qu’il est là pour dix ans. Est-ce frustrant ?

C’est tout de même un sujet assez délicat à évoquer pour moi… Les performances d’Antoine parlent pour lui, c’est une évidence. Tout le monde les a vues. Il est très bon, très performant. D’ailleurs, il n’est pas le seul à mon poste. À moi d’être le meilleur possible pour grappiller ce qui peut l’être.

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