XV de France - Yann Delaigue : "On ne peut pas demander à un autre joueur de faire du Ntamack"
Se blesser en préparation d'une Coupe du monde et manquer la compétition, Yann Delaigue l'a connu en 2003. L'ancien ouvreur revient sur le forfait de Romain Ntamack, victime d'une rupture du ligament croisé contre l'Ecosse, et détaille les forces et les faiblesses des potentiels titulaires en dix.
Romain Ntamack est, depuis 2020 et le début du mandat de Fabien Galthié, un joueur clé du XV de France. Sa blessure est-elle une des pires choses qu'il pouvait arriver aux Bleus ?
C'est d'abord très triste et je suis déçu pour lui. Travailler dur pour vivre cette Coupe du monde et voir le destin lui enlever sous le nez, je sais que c'est un moment terrible car j'ai subi le même sort en 2003 (NDLR, il avait eu une rupture d'un tendon du biceps gauche). C'est très difficile à vivre... Pour l'équipe de France, c'est dommage car c'était un de nos maîtres à jouer. Romain Ntamack était le dix titulaire sans contestations, même si elles ont déjà existé par le passé. Il y avait un système de jeu avec lui comme demi d'ouverture.
Avec son absence, la manière de jouer de la France peut-elle changer ?
Peut-être un petit peu car il y avait sa patte, sa façon de jouer. Suivant qui sera l'ouvreur, il peut y avoir un changement de profil, donc, de manière de jouer, même s'il y a des plans établis. On ne peut pas demander à un autre joueur de faire du Ntamack. Prenons Matthieu Jalibert. Il est un très beau joueur, mais qui a d'autres qualités que celle de Ntamack. Si on le fait jouer contre-nature, je pense que c'est contre-productif.
Une charnière Dupont-Jalibert ne serait-elle pas trop offensive ?
Ils ont déjà joué ensemble et cela a pas mal fonctionné. Jalibert est porté vers l'attaque, il porte plus le ballon. Ses partenaires devront le savoir et s'adapter à cela, s'il est titulaire. Ntamack fait plus jouer les autres. Il va porter la balle qu'une à deux fois par match, mais cela sera efficace. Avec Jalibert qui est plus attaquant, l'équipe jouera donc différemment. Pour moi, cela serait une erreur de lui demander d'être moins offensif. Dans ce cas-là, autant faire jouer quelqu'un d'autre ! Si on veut faire du Ntamack bis, il faut mettre Hastoy qui a un profil similaire. Ou Ramos qui lui ressemble encore plus. Il est moins bon défensivement que Ntamack mais offensivement, il lui ressemble. Il a aussi l'habitude de jouer avec Dupont à Toulouse...
...Vous connaissez bien l'importance des automatismes de la charnière. Ne pas avoir un demi de mêlée et un demi d'ouverture avec un vrai vécu commun, est-ce alarmant à moins d'un mois du Mondial ?
Alarmant, je ne sais pas. Mais c'est un avantage que l'on avait d'avoir une charnière qui joue tous ses matchs ensemble, en club et en sélection. Il va falloir multiplier les temps de jeu ensemble pour rattraper cela entre Dupont et le nouvel ouvreur. Les entraîneurs vont rapidement décider du titulaire pour donner du temps de jeu à cette doublette. Je pense que le prochain match contre les Fijdi sera révélateur du choix des coachs.
Depuis quatre ans, Romain Ntamack et Matthieu Jalibert ont souvent été comparés, une association a même été testée. Est-ce que faire passer d'autres joueurs dans la hiérarchie devant le Bordelais, étant donné le contexte actuel, pourrait être un coup de poignard de la part du staff ?
C'est aussi en prendre en compte ! Cela serait difficile à vivre pour lui. Et ce, même si les coachs peuvent lui dire qu'ils l'adorent en impact player et que son style de jeu très agressif offensivement déstabilise les défenses adverses fatiguées en fin de match. Autant, je pense qu'il le comprenait et qu'il s'en était accommodé avec Ntamack, autant si on lui explique qu'il aura le même rôle derrière Ramos ou Hastoy, je ne suis pas sûr que la pilule passe aussi bien...
Matthieu Jalibert n'a jamais joué de finale avec l'UBB quand Antoine Hastoy en a joué deux cette année et que Thomas Ramos a disputé les finales de Top 14 2019 et 2021 comme ouvreur titulaire, en plus de celles comme arrière. Est-ce que cette donnée peut rentrer en compte dans la réflexion du staff du XV de France ?
Cela fait partie des différents critères en défaveur de Jalibert. Il y a son absence de matchs déterminants en Top 14, en Coupe d'Europe ou avec l'équipe de France. Il y a son manque de vécu avec Antoine Dupont. Et il y a son style de jeu très offensif que j'adore, mais cela voudrait dire avoir une équipe qui se reformate avec lui comme dix. Il y a aussi des critères en faveur de Ramos. Il joue souvent avec Dupont et il ressemble plus à Ntamack. Mais, en revanche, ça veut dire mettre un autre arrière car il s'est installé. Cela signifie désorganiser l'attaque française en faisant bouger plusieurs joueurs. Ce ne sont pas des choix faciles que les coachs devront faire !
Qu'est-ce qui peut peser le plus lourd dans la balance : avoir les joueurs qui se conforment au jeu plus offensif de Matthieu Jalibert ou un ouvreur, comme Thomas Ramos et Antoine Hastoy, qui s'adapte plus facilement à la manière de jouer des Bleus, avec un style plus proche de Romain Ntamack ?
Cela me paraît plus facile, sur le papier, que les autres joueurs n'aient pas à changer. Mais je ne pourrai pas donner une solution. Pour cela, il faut vivre avec eux depuis un mois et demi. Il faut sentir les choses. Quand on est entraîneur, on sent le leadership d'un joueur sur un autre. Ouvreur, c'est un poste où on est le chef de la bande. Il faut sentir qui a les épaules pour cela, comment le joueur est ressenti dans le groupe, comment il est en ce moment physiquement, quel est son rôle dans le groupe... Tous ces petits facteurs peuvent être déterminants.
I’ll be back pic.twitter.com/HPO9rVpFbC
— Romain Ntamack (@RomainNtamack) August 14, 2023
Pour le groupe et pour lui-même, faut-il que Romain Ntamack vive la Coupe du monde avec les Bleus ou qu'il retourne s'isoler à Toulouse ?
Il faut qu'il parte ! Pour plusieurs raisons. Pour lui, déjà, car il va souffrir. Je l'ai déjà vécu, les moments où ton équipe joue des matchs très importants, que tu devais y être mais que tu es sur le flanc, c'est terriblement difficile à vivre... Mais aussi pour l'équipe. Si l'ouvreur qui le remplace voit Ntamack tous les matins au petit-déjeuner, sa simple présence lui rappellera que, s'il est titulaire, c'est car Romain est blessé. Il peut aller une fois leur faire coucou mais il ne faut pas qu'il reste avec l'équipe de France.
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