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XV de France - Exclusif. Charles Ollivon : "La tristesse des gens est encore lourde à porter"

Par Mathias Merlo
  • Charles Ollivon s'est longuement confié à quelques heures de France - Irlande.
    Charles Ollivon s'est longuement confié à quelques heures de France - Irlande. Icon Sport - Icon Sport
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En début d’année, Charles Ollivon, garçon à la voix rare et posée, a accepté de se livrer en longueur sur le précédent exercice et sur ses ambitions futures avec le XV de France et Toulon.

Que retenez-vous de cette année 2023 ?

On savait que ce serait une année pleine et une année chargée à tous les niveaux, que ce soit en club ou en équipe nationale. Il me reste beaucoup de souvenirs. C’est une année pendant laquelle je me suis régalé à Toulon. Il est important de parler de cette notion de plaisir. On a eu la chance, enfin, de remporter la Challenge Cup. Avec l’équipe de France, il s’est passé ce Tournoi des 6 Nations et cette Coupe du monde (il souffle)… J’ai tellement de souvenirs en tête sur certains matchs. Je ne vais pas vous mentir, on aurait aimé que cette année se finisse d’une manière différente avec l’équipe de France, mais je veux avant tout retenir les bons souvenirs de cette année.

Êtes-vous superstitieux ?

Je l’ai été pendant un moment mais je ne le suis plus du tout. Je ne le suis plus depuis mes blessures à l’épaule. Pourquoi posez-vous cette question (rires) ?

Après plusieurs échecs en finale avec Toulon, vous avez enfin gagné un titre dans votre carrière…

C’est vrai ! Ça fait plaisir d’apporter un trophée à ce club, ça fait plaisir pour les copains, pour le groupe et pour les supporters. Ce titre reste important pour le club, pour le président. J’insiste mais c’était important de se payer après de nombreuses années. On a enfin validé tous les efforts effectués et ça nous amène sur cette saison. Il faut avoir d’autres ambitions et des objectifs encore plus élevés.

L’année a été marquée par la défaite face à l’Afrique du Sud en quart de la Coupe du monde. Pourtant vous avez évoqué la notion de plaisir. Pourquoi ?

Je sais et j’en suis conscient. Elle n’est pas seule cette notion de plaisir. Quand j’en ai parlé, j’ai bien associé le plaisir avec le reste et notamment la déception. Le plaisir était là, il était présent. On me pose beaucoup de questions concernant ce match, et les questions sont normales. Mais, avant tout, quel match ! Quelle pression ! Quelle attente ! Quel adversaire ! Quel public ! On ne doit pas oublier que le groupe n’est pas passé à côté du match, pendant 80 minutes. Dans un match d’un tel calibre, j’ai pris un énorme plaisir. Je veux le dire, et je suis persuadé que je ne suis pas le seul à en avoir pris. Je suis le premier à l’avoir dit, mais c’est la vérité. Je me suis régalé de jouer ce match. Bien sûr, à la fin de ce France – Afrique du Sud, le monde s’est écroulé. Il ne faut pas se le cacher. La tristesse des gens est encore lourde à porter. Mais j’insiste, il y a eu du plaisir. Ce n’est pas un problème de le dire.

Charles Ollivon et les Toulonnais ont remporté la Challenge Cup en mai 2023.
Charles Ollivon et les Toulonnais ont remporté la Challenge Cup en mai 2023. Icon Sport - Icon Sport

Comment vivez-vous avec cette cicatrice ?

Pour être honnête, j’y pense encore souvent… C’est quelque chose qui va nous suivre toute notre vie. Tous les membres du groupe en sont conscients. On a travaillé, on a donné. Je n’ai pas de regret mais je ne veux pas que les gens le prennent dans le sens où l’on dit : "Charles s’en fout." Je ne l’oublierai jamais mais je ne vais pas vivre avec des regrets pendant des années. J’insiste : ce groupe a tout donné. En revanche, la cicatrice de la Coupe du monde restera pour toujours. Je dois vivre avec et l’appréhender au mieux. La cicatrice va nous suivre mais il faut s’acharner. Pour les années à venir, le groupe France doit s’acharner pour aller chercher plus haut. C’est le mot que j’ai envie de vous dire. On ne doit pas s’arrêter à ça. Il faut s’acharner pour aller chercher haut en club et avec notre sélection. C’est le mot que je retiens. On ne doit pas baisser les bras et avancer encore. C’est une phrase bateau mais la cicatrice est en train de mûrir avec les semaines qui passent.

Certains de vos équipiers ont eu le besoin de s’épancher dans les médias immédiatement. Vous avez été un des derniers à parler. Pour quelles raisons ?

J’ai toujours eu besoin de prendre ce recul sur certaines situations. J’ai vu passer beaucoup de choses après le match, notamment des débats et des discussions. Je les comprends, et c’est normal parce que l’événement était en France et que c’était un énorme match. Je n’ai pas ressenti le besoin d’en parler immédiatement. Je ne me trouvais pas à ma place de parler tout de suite et d’alimenter tout ça. J’ai pris le temps de réfléchir à ce match, à ce contexte. J’ai voulu prendre le temps pour voir les choses différemment. Désormais, j’en parle tranquillement. Le retour à la maison a été très brutal. C’était difficile de passer à autre chose. C’était vraiment brutal… Maintenant, des semaines ont passé. La cicatrice restera mais je n’ai pas un seul regret.

Vous évoquez ces débats et l’avenir de Fabien Galthié a été mis au cœur de ce processus. Des partenaires l’ont soutenu. Comment vous positionnez-vous sur ce sujet ?

Quand il n’y a pas la victoire au bout, on sait comment ça se passe. Je comprends les joueurs qui ont pris position pour Fabien. J’ai ma personnalité et je n’aime pas rentrer dans ce genre de débat. Les faits disent que nous avons eu 80 % de succès sur ce mandat. On a pris du plaisir. On a fait des matchs incroyables, marquants ! Pour les joueurs du XV de France, il n’y a pas de débat sur l’avenir de Fabien Galthié.

80 % de succès mais un seul trophée…

Je vois où vous voulez en venir. Mais à la tournée de novembre, il n’y a pas de trophée. Les étés, il n’y a pas de trophée. Il reste le Tournoi et la Coupe du monde. Votre constat est implacable. Ce sont des faits. C’est pour ça qu’il faut s’acharner et aller plus loin.

Charles Ollivon a soutenu Fabien Galthié après l'échec de la Coupe du monde.
Charles Ollivon a soutenu Fabien Galthié après l'échec de la Coupe du monde. Icon Sport - Icon Sport

Au-delà de s’acharner. Que faut-il retenir pour s’élever dans le futur ?

Il faut se nourrir de cette déception. Avec ce temps de réflexion, je pense que nous n’avons pas été assez bons le jour J. Au dernier tournoi, William (Servat) était venu nous chercher sur ça. Il a évoqué ces grands rendez-vous, ces grands matchs. Il a piqué le groupe sur ça à la fin de la Coupe du monde. Il parlait du moment et du jour du match. J’en tire cette leçon. La préparation a été super, on a tout donné. C’est un constat. Mais être bon le jour J, c’est indispensable pour aller plus loin en Coupe du monde.

Vous êtes un des visages du rugby français. Pourtant, on vous entend peu concernant les sujets entourant le rythme des matchs et la libération des internationaux…

On ne m’entend jamais dessus, car c’est un peu une volonté de ma part. C’est un sujet difficile à évoquer. Dans notre position de joueurs de rugby, nous sommes au milieu. Tout le monde le sait. Je fais partie de ceux qui disent que l’on n’a pas vraiment le droit de se plaindre. Quand tu prends les bons côtés, il faut aussi prendre les mauvais. C’est un ensemble que l’on ne peut pas dissocier. Maintenant, vous me posez la question, je pense qu’on joue trop. C’est mon avis. Dans mon raisonnement, je ne veux pas que l’on ne retienne que ça. Je ne veux pas un titre du genre : "On joue trop." Il y a des nuances à ça.

Votre avis compte et la parole des joueurs est légitime…

Vous avez raison. Ça reste particulier, car on est une partie prenante qui ne peut pas vraiment se plaindre. On ne peut pas prendre les bons côtés, sans les mauvais. En même temps, si vous me demandez mon avis, je vous réponds en toute sincérité : oui, on joue trop. Mais, conservons la nuance ! Ce n’est pas la faute d’un côté, ou de l’autre. Ça fait des années qu’on évoque le calendrier. Je commence à voir arriver de nouvelles compétitions, avec des matchs en plus. Je regarde un petit peu… C’est le jeu ! Je n’aime pas trop me mêler, parce que je veux rester à ma place. J’aime rester à ma place de joueur. Je ne veux pas aller trop loin. Vous connaissez désormais mon avis, mais il est nuancé. On joue trop, surtout quand tu dois composer entre ton club, qui est important, et l’équipe de France, qui est importante aussi.

Dernièrement, vous avez partagé sur les réseaux sociaux un reportage de Jérémy Florès qui évoque la charge mentale des sportifs de haut niveau…

J’invite tout le monde à le regarder, parce que les différents sportifs se livrent comme ils le font rarement. C’est intéressant. Là encore, je garde une mesure, car j’aime rester à ma place. Je ne serai jamais le mec qui ira au-delà de mon rôle et du terrain. C’est trop facile d’aller expliquer aux gens et aux supporters, qu’il est dur d’être rugbyman de haut niveau. Tu ne peux pas prendre les bons côtés, sans être jamais critiqué. Les gens en demandent toujours plus. Quand tu arrives au niveau professionnel, il faut être bon. Quand tu es bon un peu, il faut l’être souvent. Quand tu l’es souvent, il faut l’être tout le temps. Tu vas en équipe de France mais quand tu reviens, il faut être encore meilleur. Puis après, il faut garder ce niveau… À la fin, il faut être tout le temps bon : quand tu as dix matchs, il faut être bon douze fois. Quand tu es bon douze fois, il faut l’être quinze fois. C’est le jeu mais c’est dur.

Charles Ollivon espère remporter le Tournoi des 6 Nations, deux ans après son premier sacre.
Charles Ollivon espère remporter le Tournoi des 6 Nations, deux ans après son premier sacre. Icon Sport - Icon Sport

Comment gérez-vous votre santé mentale ?

J’ai eu des moments difficiles, très compliqués par rapport à ça. J’ai connu des périodes très basses. Les coups de mou peuvent encore souvent arriver. On le gère et on le vit d’une manière très personnelle et très intime. Parfois, on se pose la question de comment avancer malgré les coups de mou… C’est un sujet riche et intéressant. Il n’y a pas de vérité, on le vit de manière différente.

Est-ce encore un sujet tabou dans le rugby ?

Dans le rugby, je ne dirai pas que c’est tabou mais… Ça reste un sport où il faut être dur et fort ! Tu ne dois pas montrer de failles. Je suis un peu comme ça d’ailleurs, mais j’ai des failles comme tout le monde. J’essaie de m’adapter à elles J’ai été supporter quand j’étais gamin. Quand tu es gosse, tu regardes ça d’un œil extérieur et distant et tu ne comprends pas pourquoi les mecs ne sont pas toujours bons. Je ne veux pas montrer une image négative. Il faut trouver un juste milieu. Mais mentalement, c’est dur de tenir le rythme. Quand je parle de rythme, ce n’est pas dur de jouer trois matchs d’affilée à 80 minutes. C’est dur d’enchaîner semaine après semaine, année après année.

Qu’avez-vous pensé de la pause de Grégory Alldritt ?

Je dis tant mieux qu’il ait pu trouver un accord avec son club. Je n’ai pas tellement à commenter. Ce sont des choix personnels. C’est difficile de se positionner. Quand tu es joueur, tu as envie d’être ici, car l’équipe tourne et tu es redevable envers ton club et ton employeur. Tu es constamment entre les deux, et tu veux bien faire. J’ai toujours envie de donner le meilleur partout mais à un moment… Le corps, mais surtout la tête s’égarent. Le corps part en sucette car tu es submergé. Tu ne sais plus où tu en es. Tu essaies de revenir au calme mais c’est difficile quand tu es pris dans cet enchaînement. Il faut essayer de trouver des solutions individuelles. Heureusement, avec l’expérience, je me connais de mieux en mieux pour trouver des solutions.

Parlons de votre club et de votre avenir. Vous venez de prolonger jusqu’en 2027 avec Toulon, et ce n’est pas une année comme les autres quand on est joueur international…

C’est la Coupe du monde en Australie… Je m’attendais aussi à cette question (rires) ! Sincèrement, je n’y ai pas pensé. Après, je ne vais pas faire semblant en vous disant que je ne sais pas que c’est la Coupe du monde en Australie. C’est dans un petit coin de ma tête. J’étais sous contrat jusqu’en 2025. Le club est venu vers moi pour me faire une proposition. J’ai 30 ans, il me reste trois ans et demi. Ça passe vite ! Pour vous dire la vérité, j’ai accepté immédiatement la proposition, de manière naturelle. Je n’avais pas envie de me poser trop de questions. Je suis bien ici, je suis heureux et je suis fier d’être Toulonnais.

Dans un contexte bouillant, vous fêterez alors douze années complètes sur la Rade…

C’est juste incroyable (il souffle) ! Quand je regarde dans le rétro, je vois le Charles arrivant ici à Toulon. Ce n’est pas le même mec. J’étais beaucoup moins sociable, parce que je n’étais pas sorti de mon Pays basque. J’ai appris tellement en venant ici, et il m’en reste encore tellement à apprendre sur moi-même. Je suis devenu un homme. Je ne pensais pas rester plus de trois ou quatre ans ici. Finalement, la vie a décidé pour moi. Je suis très fier de ça parce que j’aime ce club et cette ville.

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Les commentaires (4)
Clide64 Il y a 2 mois Le 01/02/2024 à 18:04

Heladles Francais n'ont pas que ça comme soucis et problème. On continue heureusement

Eusebius Il y a 2 mois Le 01/02/2024 à 13:44

Le rappel constant de la nécessité de nuancer que fait Charles Ollivon tout au long de cet entretien est salutaire; il devrait inspirer bien des commentateurs. Merci pour ce beau moment où ce que l'on devine derrière les silences est aussi important que ce qui est dit. Merci au « grand Charles » de faire partie de ces joueurs humbles mais importants qu'on aime aimer.

petrusnerosan Il y a 2 mois Le 01/02/2024 à 11:50

Les questions tendancieuses de vos journalistes, systématiquement anti Galthier, nuisent à l'enthousiasme général. Quand allez-vous passer à autre chose?

jmbegue Il y a 2 mois Le 01/02/2024 à 14:12

Quand on veut prendre la défense de quelqu'un, on commence tout d'abord par bien orthographier son nom. C'est Galthié et non Galthier.
J'aimerais bien que vous nous montriez les questions systématiquement tendancieuses.
D'autre part, Galthié a voulu systématiquement la lumière et s'est systématiquement attribué les mérites des résultats de l'équipe sans les renvoyer vers les joueurs et en oubliant ses erreurs. Il est normal que celui qui est "éclairé" soit celui qui est visé.