Carnet noir - Le dernier au revoir de Béziers au "Grand" Alain Estève

Par Loïc Bessière
Publié le
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Ce jeudi, plusieurs centaines de personnes ont rendu un ultime hommage à Alain Estève. Tous garderont du "Grand", légende de Béziers, le souvenir d'un joueur exceptionnel et d'un personnage à la vie hors du commun.

La pluie présente en début de matinée à Béziers a laissé place au soleil. Et il valait mieux. La salle du Pech Bleu n'était pas assez grande pour accueillir les très nombreuses personnes venues rendre un dernier hommage à Alain Estève. Des dizaines de personnes sont restées debout, voire dehors. "Les plus jeunes ne peuvent pas s’imaginer à quel point Alain Estève était un monument de Béziers ! Le Grand, c’était le symbole de Béziers, le totem, l’avant le plus solide", lâche Jean-Luc Fabre, un ami de plus de 40 ans. Le XV des joueurs présents n'aurait que peu d'égal. Beaucoup de Biterrois, au fil des générations, avec des Émile Bolzan, Jean-Louis Martin, Henri Cabrol, Diego Minarro, Christophe Vilaplana, Marco Pinto Ferrer, Charly Malié et bien sûr, le neveu du défunt, Jean-François Pedesseau.

Devant l'entrée austère du lieu, que les plantes tentent de rendre présentable, on se souvient du regretté Alain Estève, que l'on appelle plus par son sobriquet Le Grand que par son prénom.

Une enfance très difficile mais longtemps cachée

"C'était un personnage de roman", confiait le jour du décès d'Alain Estève son ancien adversaire mais ami, Jo Maso. La vie du Grand, Jean-Luc Fabre en a fait un livre. Pour lui, ce bouquin, "c'est une histoire d’amitié avec Alain" : "Il y a deux ans au retour d’une chimio, c'était la première fois que je le voyais atteint physiquement. Pour nous, c’est idiot, mais c’était inconcevable qu’Alain Estève soit malade. Je me suis dit qu’il fallait que j’écrive un livre sur lui, pourtant j’étais agent d’assurances, pas journaliste ni écrivain." C'est ainsi, qu'en 2021, Alain Estève, le Géant de Béziers est publié. Encore réédité récemment, il est devenu un best-seller en terres biterroises et les gens se sont rués aux séances de dédicaces.

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"Un matin, chez lui, en écrivant le livre, il y avait des papiers partout et en fouillant, je tombe sur le rapport de l’assistante sociale envoyée à la DDASS de Carcassonne. Je le relis deux, trois fois et j’hallucine. Tout le monde a été surpris par son enfance ! Même les joueurs avec qui il a joué des années, il n’en avait jamais parlé ! Bien des gens ont compris pourquoi il pouvait être si dur, avec cette enfance si triste et misérable", développe l'ancien président du RO Agde. "Je le connaissais très bien, je connaissais sa jeunesse mais pas son enfance, je l’ai découvert dans le livre de Jean-Luc Fabre", confirme Jean-Michel Vidal, président de l'ASBH et intime du défunt. Philippe Bonhoure, lui, en profite pour remercier publiquement l'auteur pour ce livre dans lequel il en a appris plus sur son ancien coéquipier.

Plusieurs centaines de personnes ont rendu hommage à Alain Estève.
Plusieurs centaines de personnes ont rendu hommage à Alain Estève. Midi Olympique - Thibaut Clariond

L'hommage démarre par une cérémonie religieuse. Au centre de la pièce, le cercueil du Grand, avec, dessus, un maillot de l'ASBH floqué du numéro 5. Entre ce chiffre, les onze étoiles conquises par le club, dont huit le furent avec l'ancien deuxième ligne. Richard Astre prend la parole. Suit un discours poignant, dont voici quelques mots : "Il aurait pu inspirer de grands romanciers. Le Grand, ce gladiateur, a suscité le respect de tous ses partenaires et adversaires, même ceux qu'il raillait. Qui s'y frotte s'y pique. C'était un personnage de Victor Hugo. Alain Estève était un grand parmi les très grands."

En arrière-plan, sur un écran, défilent des images d'Alain Estève sur les terrains, mais aussi lors d'un repas, d'un anniversaire, à Disneyland, avec ses filles, des amis... "Avec toi disparaît notre jeunesse", lance alors Jean-Luc Fabre, auteur lui aussi d'un discours plein d'émotion. Après un chant de ses anciens coéquipiers, le cercueil sort, accompagné Des yeux d'Émilie, joué au piano, dénué de parole.

Les anecdotes de Bonhoure

Malgré les circonstances et une émotion palpable sur le parvis du Pech Bleu, tous se remémorent le bon vieux temps, le rugby de l'époque et le Grand Béziers, qu'Alain Estève incarne encore. Les anecdotes ont déjà été sorties des dizaines de fois et elles le seront encore, mais personne ne se lasse. Philippe Bonhoure en propose une. "J'étais au Bataillon de Joinville, avec un ailier de Pau, Bruel. On fait un match comptant pour le "du Manoir", à Lourdes, contre Pau. J'étais remplaçant. Dans un regroupement, boum, il a mis un coup de casque. Le ballon sort jusqu'à l'aile de Bruel, Alain, encore lui, arrive et vlan, civière. Bruel m’a dit qu’il avait fait des cauchemars d'Estève, avec sa tête qui arrive sur lui ! Ah, c'est sûr qu'aujourd'hui je lui aurais mis des cartons rouge écarlate", en rigole l'arbitre vidéo.

Plusieurs centaines de personnes ont rendu hommage à Alain Estève.
Plusieurs centaines de personnes ont rendu hommage à Alain Estève. Midi Olympique - Thibaut Clariond

Philippe Bonhoure, comme à ses plus belles années sous le maillot rouge et bleu, semble inarrêtable, mais à quoi bon le stopper. Le sujet du fameux couloir de Sauclières, où tant d'adversaires ont perdu leurs moyens, revient. "J’étais tout jeune. J’étais dernier car le capitaine rentrait en premier puis c'était du 1 au 15. Il était si grand qu'il dépassait dans ce couloir étroit. Pour rendre ce couloir encore plus sordide, à chaque fois, il cassait l’ampoule et on était dans le noir. J’étais mort de rire ! Je me mettais à la place des autres qui devaient se dire : "Qu’est-ce qu’on fait là ?"" Jean-Michel Vidal, lui aussi, y va de son histoire : "L’ASB était partie faire une tournée au Canada. Il n’y avait que des bûcherons en face, les coups pleuvaient de partout. Alain Estève était en tribunes, habillé en civil. Armand Vaquerin s’est avancé vers Raoul Barrière et il lui a dit : "Je te préviens, si tu ne fais pas descendre Le Grand, je m’en vais !" Il est descendu, s'est changé, il n’y avait pas besoin d’échauffement à l’époque, et en deux minutes cela s’est réglé !" Entre ces anecdotes d'un autre temps, tous n'oublient pas de mentionner qu'il était un magnifique joueur de rugby, façonné à l'école Raoul Barrière. "En 1982, lors d'une tournée en Nouvelle-Zélande, juste avant sa retraite, à New Plymouth au fin fond du pays, tout le monde connaissait l'ASB, Vaquerin et Estève. Il n’en existait pas, à l'époque, des joueurs de deux mètres comme lui. C'était aussi un athlète : il a pu jouer troisième ligne aile, il courait", termine Philippe Bonhoure.

Tourner la page du rugby n'a pas été si difficile que ça pour Alain Estève. Jean-Michel Vidal se lance : "Je ne suis pas sûr qu’il aimait le rugby, mais ça l’a sorti de la misère. Il disait : "Le rugby ça fait gameller."" Le rugby lui a permis de sortir de la misère qu'il a connu jeune. "Il était plus heureux de son ascension sociale que de sa carrière de rugby. Il était reconnaissant au rugby pour avoir pu devenir "quelqu’un", pas pour les titres. Il était reconnaissant du club et de ses partenaires, alors que cela aurait dû être l’inverse. C’est peut-être pour ça qu’il les défendait de manière excessive."

Un hommage à Agen

Vous raconter toutes les histoires entendues ici et là, prendrait beaucoup trop de lignes. Après sa carrière, Alain Estève a tenu de nombreux établissements nocturnes dans le Biterrois. Tout le monde à Béziers, donc, a déjà côtoyé feu Estève, est capable de raconter un moment passé avec lui. Mais, à l'unanimité, tous insistent sur son côté humain. Allez, une dernière anecdote pour Jean-Michel Vidal, très ému quand nous lui présentons une photo de son fils dans les bras de Grand, tirée du livre de Jean-Luc Fabre : "Ça, c’est Alain. Mon fils est tout petit, cela ne fait que deux heures que nous sommes sortis de la maternité. Personne n’était au courant que nous étions rentrés. Ça sonne et je vois Alain arriver avec une bouteille de champagne. Que vous dire de plus ?"

Une délégation actuelle de l'ASBH était présente, avec Pierre Caillet, Benjamin Bagate ou le capitaine Clément Ancely, un Biterrois de naissance : "Tous les joueurs d'ici le connaissent de près ou de loin. Sa disparition touche le rugby biterrois et languedocien." Dans vingt-quatre heures, ils se rendront à Agen. Jean-François Fonteneau a appelé son homologue biterrois pour le prévenir qu'une minute de silence sera honorée. Le président de Béziers, lui, nous annonce qu'un grand hommage sera rendu à l'ancien deuxième ligne lors de la rencontre face à Dax. Il évoque plusieurs projets, avec un seul but : réunir le plus de monde au stade. Le corbillard, lui, ne prend pas la direction du stade Raoul-Barrière, mais de Sauclières, pour un dernier tour d'honneur bien mérité...

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Les commentaires (2)
bons65 Il y a 5 mois Le 10/11/2023 à 10:00

Très bel hommage à ce grand monsieur ! Merci pour lui !

VERJUS Il y a 5 mois Le 09/11/2023 à 19:54

C'est notre jeunesse qui fout le camp . Certes un brut de décoffrage le "Grand" mais un "vaillantas" sur le terrain