Top 14 - Ugo Mola : "Ce scénario, je n’y crois toujours pas"
Toujours porté par l'émotion qui a suivi la victoire de son équipe face à La Rochelle, samedi dernier en finale du Top 14, Ugo Mola, revient sur la manière dont il a vécu ce scénario complètement dingue. Le manager du Stade toulousain se projette déjà sur la suite, qui sera forcément très particulière...
Ugo, avec du recul, comment avez-vous vécu cette finale ?
Le scénario du match a rendu les choses dingues. Quand La Rochelle passe devant au score à 26-22, que la touche de Romain (Ntamack, N.D.L.R.) n’est pas trouvée et que nous sommes pénalisés sur la mêlée qui suit, on se dit que la finale va nous échapper sans avoir pu réellement jouer ; même si la première mi-temps reste, pendant trente-cinq minutes, plutôt intéressante sur ce que l’on avait voulu mettre en place. Ensuite, l’issue, avec la qualité de cet ultime essai, a été vécue de manière géniale. C’était viscéral, on l’a vu dans les comportements qui n’étaient plus sous contrôle.
On vous a vu courir dans le vide presque…
Cela vient aussi des sacrifices que l’on peut faire sur le plan personnel, familial ou collectif. Mais c’est valable pour tous les coachs ou joueurs engagés dans cette compétition. Elle est longue et épuisante. Quand tu vis dans les deux dernières minutes du dernier match, tu as l’impression de tout lâcher. Je ne pensais pas vivre ça. Et je n’y crois toujours pas.
Cette action reflète-t-elle le caractère de Romain Ntamack, auteur de cet essai venu d'ailleurs ?
Cela fait deux saisons qu’il maîtrise pleinement son sujet au poste de numéro 10, qu’il est dominant et qu’il tient parfois son équipe à bout de bras. Tout au long de la saison dernière, il fut un des internationaux qui a tenu son rang et a été ultra-performant. En septembre, il a connu une blessure qui lui a peut-être permis de se régénérer et de finir fort, avec cette finale au cours de laquelle il est passé par toutes les étapes. Mais cette action… (il souffle) Être capable de le faire, avec ce que cela réclame physiquement, techniquement et psychologiquement à la 78e minute, c’est très fort... Il a été ciblé sur le match, a remué du monde en défense. Après un en-avant et une touche non trouvée, beaucoup auraient sombré. Lui a trouvé ces ressources. Cela vient peut-être aussi de tout ce qu’il s’inflige, de tout son travail… Il est jeune mais je n’ai pas le souvenir de le ménager ou de le voir rater une séance. Il peut s’ouvrir l’arcade ou avoir un pépin, il est tout le temps sur le terrain.
"Malgré un match moyen, souligné par les uns et les autres, mais surtout par l’autre, on finit par marquer 29 points"
Cette action est-elle dans la lignée de certaines autres qui sont dans la légende du Stade toulousain ?
Au club, depuis gamin nous sommes marqués par certaines actions. En 1985, il y avait eu les prolongations en finale et les essais inscrits contre Toulon. Puis la percée de Denis Charvet en 1989, toujours face à Toulon ; il représente, à mon époque, quelque chose de phénoménal. Pour moi, c’est une des plus grandes actions de ce sport. Celle de Romain s’inscrit effectivement là-dedans. Je repense aussi aux crochets dévastateurs de Michel Marfaing, au ballon pris sur la tête des Brivistes par David Berty en 1996. Nous sommes marqués par ces moments de fulgurance, individuelle et collective.
Avez-vous senti venir cet essai ?
L’action est assez incroyable. On tient le ballon pendant cinq ou six temps de jeu, on balaye le terrain. Et Antoine (Dupont) a l’intelligence de porter un peu, ce qui décale Romain et le met sur orbite. Il y avait le surnombre à l’extérieur, on sentait que La Rochelle ne se déplaçait plus. Mais c’était presque contre le cours du jeu.
Vos joueurs avaient parlé d’avoir conjuré le sort après la demi-finale contre le Racing 92…
C’est parti d’un constat mal délivré. On dit souvent que, quand tu fais des demies, tu es dans les clous des objectifs. Mais quand tu commences par ne plus en passer une, deux, puis trois… Tu as atteint l’objectif et pas plus. Ce n’était pas vraiment conjurer le sort mais plutôt de se dire : "Est-on plus ambitieux que ça ?" La demi-finale, c’est l’indicateur d’une saison réussie pour beaucoup d’équipes. Mais on voulait passer ce cap. Parce que s’arrêter sur quatre demi-finales d’affilée avec ce groupe-là… Attention, on ne se voyait pas en maudits des demi-finales, mais on se rendait compte qu’on n’avait pas répondu présent, notamment contre Castres l’an dernier. Nous nous étions effondrés pour des raisons qui ont été analysées. Le scénario contre le Racing nous a certainement permis d’avoir la fraîcheur nécessaire pour ces dernières minutes contre La Rochelle.
Justement, vous aviez très bien géré votre saison. Fallait-il être récompensé ?
Elle a été bien gérée mais peut-être nous a-t-il aussi manqué d’ascenseurs émotionnels, et d’aller nous éprouver un plus souvent à l’extérieur. C’est terrible de le dire mais nous n’en avions pas forcément besoin, vu qu’on a rapidement été en mesure d’être premiers et donc d’être en gestion. La problématique du staff était : à force d’être en gestion, on ne va pas réellement se lancer dans la bataille. C’était notre crainte avant le Racing, ou même La Rochelle.
À ce point ?
Oui. L’écueil du Leinster nous a marqués, à la fois sur nos choix, sur la réussite ou la discipline. Mais être trop gestionnaires, ce n’est pas non plus notre truc. On louait notre organisation mais je voulais qu’on en sorte.
"Il y a une part incroyable de chance"
Le fait d’avoir vu La Rochelle remporter une deuxième Champions Cup a-t-il joué dans les esprits ?
Je trouve que ce serait un raccourci un peu dommage. Peut-être que certains se nourrissent de ça mais ce n’est pas mon cas. La Rochelle est un beau champion d’Europe je le répète, n’en déplaise à certains. Mais battre le Leinster en demi-finale ne nous assurait pas d’être champions d’Europe pour autant. Vous savez, dans le sport de haut niveau, il y a une forme de mimétisme. Tout le monde fonctionne un peu de la même manière, il n’y a que la couleur des murs qui changent. C’est rassurant d’un côté mais, là aussi, il faut en sortir même si u es attiré par ce qu’il se fait de mieux. Quand une équipe gagne, tu l’observes forcément. La force de notre groupe est de ne pas avoir lâché ses convictions profondes. Même si elles ont été mises à mal sur le retour de deuxième mi-temps en finale : on n’a pas enchaîné trois temps de jeu.
Mais vous vous en êtes sortis…
Les trois fois où on a enchaîné, on a été dangereux. Malgré un match moyen de notre part, souligné par les uns et les autres mais surtout par l’autre, on finit par marquer vingt-neuf points à La Rochelle. Ça, c’est énorme. Après, nous sommes dans une époque des symboles. Tout le monde y va de son avis, sur le prétentieux, le mec sympa, le mec qui gère, celui qui est brillant, etc... Une fois que tu as dit ça, tu remarques qu’il y a une part incroyable de chance. Ou c’est plutôt celui qui a eu le moins de malchance qui s’en sort.
Faut-il y être préparé, pour vivre une telle fin de match ?
Il faut travailler la mise en situation. On peut passer pour les mecs qui expliquent tout, mais par rapport à ce qui est arrivé en fin de match, tous nos entraînements sont organisés pour gérer ce genre de contexte. On s’entraîne collectivement, à quinze contre quinze, avec des choses qu’il faut maîtriser. C’est notre culture. Le club a cette capacité à gagner dans les moments clés. C’était vrai avant que je sois là, et ça le sera quand mon staff et nos joueurs seront partis.
Avez-vous déjà basculé sur la saison très particulière qui arrive ?
À l’annonce des sélections pour la Coupe du monde, on a déjà dix-sept joueurs potentiellement absents, et trois joueurs identifiés comme réservistes. J’ai pris le parti de laisser cette vingtaine de mecs tranquilles dans leur objectif personnel de compétition internationale. Avec quelques jokers Coupe du monde et des jeunes qui vont monter, on va travailler pour la suite. Depuis mardi, le staff est en ordre de marche pour se redonner une ligne de conduite. La saison qui vient sera très particulière mais, durant ces trois mois avec une équipe largement remaniée, on va essayer d’exister.
Êtes-vous enthousiaste à l’idée qu’Antoine Dupont dispute les JO de Paris en 2024 avec France VII ?
Je n’ai pas à l’être pour ce qu’il se passe en dehors du club. Je comprends qu’Antoine, à 26 ans et après trois titres de champion de France, un de champion d’Europe, un grand chelem et j’espère une grande Coupe du monde, ait envie de faire les JO en France. On va s’organiser. Mais il faudra penser, à un moment, à ce qu’il récupère et qu’il se régénère. Sur le plan physique, c’est singulier le VII. C’est un autre sport. Avec Antoine, Christophe Reigt et Jérôme Daret, on a discuté ensemble. La Fédération semble ouverte, la Ligue et notre président (Didier Lacroix) aussi. Tous les voyants sont au vert. Mais il y a d’autres détails à régler qui ne sont pas neutres puisqu’une grosse partie des rémunérations des joueurs sont assurées par les clubs. De notre côté, on s’apprête à vivre une demi-saison ou une saison pleine à faire sans lui.
Comment y parvenir ?
Cela s’anticipera pour essayer de le subir le moins possible. Dire qu’Antoine Dupont va manquer au Stade toulousain est une évidence. À nous de le préparer ; avec un rugby qui évoluera peut-être moins sur certains joueurs. Je dois le prendre en compte, c’est mon rôle, pour ne pas fragiliser l’équipe. Même si on ne remplace pas Antoine Dupont.
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