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1931 : la France expulsée du Tournoi

  • France Angleterre 1930
    France Angleterre 1930
Publié le Mis à jour
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En 1931, onze mois après le France-Galles le plus méchant de l’Histoire, les Britanniques expulsèrent les incorrigibles  Français du Tournoi. Décision qui déstabilisa totalement notre rugby. Il mit seize ans à s’en remettre.

Un jour de mars 1931, il y a quatre-vingt-dix ans, se produisit un énorme coup de Trafalgar. Il survint sous la forme d’une lettre arrivée au siège de la FFR. Les quatre Fédérations des Home Unions annonçaient la suspension de leurs relations avec le rugby français : « Au vu des conditions peu satisfaisantes dans lesquelles le rugby-football est dirigé et joué en France, ni nos fédérations, ni les clubs dépendants de notre juridiction ne pourront organiser de match avec la France ou les clubs français. » En version plus lapidaire : « Vous êtes virés du Tournoi. » L’affaire couvait depuis près d’un an, depuis le 21 avril 1930 après le France - Galles le plus sanglant de l’Histoire. 11-0 pour les Gallois à Colombes devant 44 000 personnes qui avaient laissé 622 500 francs de recette au guichet. C’est dire l’engouement. Il y avait même eu un trafic de faux billets. Mais ce France - Galles fut surtout une énorme partie de manivelles, un festival de mauvais coups qui devait coûter très cher au rugby français, une pénitence de seize ans. Hubert-Charles Day, talonneur de Newport, réclama neuf points de suture pour se remettre d’un coup de pied au visage de Jean Galia. Il avait les lèvres en feu. Quelle vision d’apocalypse pour les tenants d’une certaine vision du rugby.

La décision du 2 mars 1931 était terrible car, depuis plus de dix ans, les Français étaient devenus une puissance du ballon ovale. Ils comptaient au moins une victoire sur les quatre autres nations mais ce rugby continental prenait de plus en plus de libertés avec les bonnes manières qui avaient toujours régi la bataille de l’ovale. Les Britanniques reprochaient aux Français d’avoir ignoré l’adage qui voulait que le rugby soit un sport de voyous pratiqué par des gentlemen. Ils nous accusaient d’en avoir fait platement un sport de voyous pratiqué par des voyous et, plus grave encore, d’y avoir introduit le diable : l’argent.

 

« Sauvagerie gratuite »

Tout avait commencé à partir des années 20. Le rugby français avait gagné en popularité, en termes de spectateurs et en termes de pratiquants. Il n’avait plus le même visage qu’en 1900 : les étudiants de bonne famille avaient été rejoints par des bataillons de gars du « terroir », des paysans ou des ouvriers moins rompus aux « bonnes manières ». On disait même qu’Adolphe Jauréguy, la vedette des lignes arrière tricolores, était dégoûté par la façon de manger de certains de ses coéquipiers. En équipe de France aussi, le bon goût servait de frontière entre deux clans. En 1922, le XV de France avait fait sensation en décrochant le nul à Twickenham : 11-11, en marquant trois essais. Mais plus que la qualité du jeu, ce qui avait stupéfié les Anglais fut le cynisme avec lequel les Bleus avaient allègrement « bastonné » dans les regroupements avec deux « terreurs » nommées Sébédio et Lubin-Lebrère. À partir de ce jour-là, les Français furent épiés. Comment des invités peuvent-ils aussi mal se comporter ?

Et les exemples allaient vite abonder : la finale des jeux Olympiques de 1924 avait salement dégénéré avec des Français vexés que leurs adversaires américains soient bien plus compétitifs que prévu. En 1927, l’arbitre écossais de France - Irlande fut méchamment entouré par la foule de Colombes et ne dut son salut qu’à l’intervention de la police. Puis vint ce fameux France - Galles de 1930. L’envoyé spécial du « Western Mail » le résuma ainsi : « En matière de vraie brutalité et de sauvagerie gratuite, ce match ne peut pas être approché dans les annales. »

Les Français étaient surmotivés car ils pouvaient gagner pour la première fois le Tournoi et, dès le coup d’envoi, ça tomba dru. Dans le rôle des spadassins, Sébédio et Lubin-Lebrère avaient été remplacés par Alex Bioussa et Jean Galia. Les Gallois choisirent de répondre du tac au tac et ce fut une boucherie avec, comme trophée principal, la fameuse sortie de Day pour se faire recoudre. Ce fut son seul contact avec le rugby français. Après, vacciné, il passa à treize histoire de monnayer son talent. On fait le pari qu’à sa mort en 1977, il montrait encore ses cicatrices.

Les Français avaient employé la manière forte avec lui car Gallois étaient les plus forts en mêlée, plus précisément, ils talonnaient mieux les ballons que le pauvre toulousain Albert Ambert, pilier reconverti dans la cage.

La tension était à ce point palpable que Cyril Rutherford, secrétaire de la FFR, fit irruption sur le terrain pour parler à l’arbitre. Écossais de naissance, il comprenait confusément ce qui était en train de se jouer. Mais il ne sut pas avertir son président Octave Léry qui, lors du banquet, fit preuve d’une arrogance ou d’une naïveté incroyable. Au lieu de la jouer profil bas, il demanda carrément l’entrée de la France dans l’International Board. Malaise dans la salle : son alter ego, le président Lyne venait, quant à lui, de souhaiter que de tels France - Galles ne se reproduisent jamais.

Sans doute conscients de leur gaffe, les dirigeants français allaient tenter se rattraper par un sacrifice. Celui d’Alex Bioussa condamné à ne plus jamais jouer sous le maillot Bleu. La mise au rebut d’un joueur de 30 ans ferait bien l’affaire pour calmer ces British un peu trop collet monté. Mais l’aveuglement des dirigeants français semblait sans limite car ce que le problème de la violence avait ébauché, la question de l’argent allait le conclure en beauté. Déjà, un mois après le France - Galles, éclata la crise de l’UFRA. Douze clubs parmi les plus prestigieux du rugby français, dont le Stade toulousain, faisaient sécession. LRien que ça ! Ils étaient excédés par l’« amateurisme marron » et l’esprit de compétition exacerbé qui régnaient dans le championnat C’était le bouquet, et la pièce décisive au dossier que les Britanniques montaient contre nous dans la pénombre.

 

Un stage à Quillan qui pose question

Avec le recul, on se demande encore comment les patrons de la FFR ont pu autant se bercer d’illusions ; sans doute s’étaient-ils laissés griser par la popularité grandissante de leur sport. Car dans les années 20 déjà, le rugby était devenu si médiatique que des industriels s’en étaient emparés ; tel le chapelier Jean Bourrel, président mécène de Quillan. Les valises de billets circulaient allègrement dans le Sud-Ouest et le terrible Sébédio (encore lui) devenu entraîneur de Lézignan, avait brandi une liasse de « Pascal » au visage de Bourrel pendant la finale du championnat de 1929. Il voulait lui expliquer que tout ne s’achète pas dans la vie, mais on imagine l’impact de ce genre de scène sur les gardiens du temple britanniques. Le cas français n’était plus plaidable en cet hiver 1931 quand les présidents des Fédérations anglaise, galloise, irlandaise et écossaise se rencontrèrent discrètement dans un hôtel de Londres, le 13 février.

Ils avaient, en plus, appris qu’avant le fameux France - Galles de 1930, les sélectionnés français avaient fait une sorte de stage de préparation à Quillan, violation flagrante des règles de l’amateurisme. Le soir du Galles - France (35-3) du 28 février 1931, le président Lyne fit une drôle d’allusion que les dirigeants de la FFR ne voulurent pas dramatiser. La lettre du 2 mars sidéra ces caciques inconscients et leur nouveau président Roger Dantou. L’ancien patron Octave Léry, averti par la presse, refusa d’y croire et, le plus tragique, c’est qu’il restait un match du Tournoi à jouer contre l’Angleterre. Les Français eurent la dignité de le gagner avec brio (14-13) dans une atmosphère d’infinie tristesse. Le public avait boudé ce rendez-vous qui ressemblait à un requiem. Une démarche désespérée se heurta à un mur. Du jour au lendemain, le rugby français se trouva banni de la scène internationale car le boycott s’étendait aux nations du Sud. Les conséquences de cette mise à l’écart furent énormes, car elle favorisa l’introduction en France du XIII, sport ouvertement professionnel. Jean Galia en fut le missi dominici. Et le public suivit. Le premier France - Angleterre treiziste attira 21 000 personnes. Les jeunes talents comme Rousié, Desclaux, Dauger allaient se laisser tenter par ce nouveau rugby si généreux.

Pendant ce temps-là, le XV de France ne pouvait s’escrimer qu’avec des nations de second rang comme l’Italie, la Roumanie ou l’Allemagne, sans grosses recettes au guichet pour la FFR. Le rugby à XV était en train de mourir, tout simplement. Mais en 1939, les Britanniques accèpterent le principe d'une reprise du Tournoi à cinq, à conditions que la FFR supprime son championnat, ce qu'elle fit via son congrès annuel. On peut supposer que le contexte de l’alliance franco-britannique face à l’Allemagne de Hitler joua son rôle. Sauf que la défaite militaire annula les retrouvailles. Mais le gouvernement de Vichy vola au secours du XV. Son ministre des Sports, le colonel Pascot (ex-ouvreur international de l’Usap), supprima d’un trait de plume le XIII et donna la bouffée d’oxygène à l’autre rugby. L’euphorie de la Libération fit le reste et le Tournoi reprit en 1947. Ça faisait, seize ans que les Français ne l’avaient pas goûté. Mais ils étaient sous surveillance. Le brillant Jean Dauger, par exemple, fut cruellement privé d’une carrière internationale pour son choix de jeunesse (signature à Roanne Treize). On ne comprend rien à la défense tatillonne de l’amateurisme des dirigeants de la FFR d’après-guerre (jusqu’à Albert Ferrasse) si l’on oublie le traumatisme causé par l’exclusion de 1931. Quatre-vingt-dix ans après, on se dit que les problèmes actuels du rugby ne sont que des peccadilles à côté du traumatisme qu’ont vécu nos grands-pères.

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