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Italie-France de 2011 : l'énorme colère de Marc Lièvremont !

  • Marc Lièvremont à l’hôtel de l’équipe de France le dimanche. On pensait qu’il allait peut-être rétropédaler après ses propos de la veille, ce fut tout le contraire.
    Marc Lièvremont à l’hôtel de l’équipe de France le dimanche. On pensait qu’il allait peut-être rétropédaler après ses propos de la veille, ce fut tout le contraire. MIDI-OLYMPIQUE - PATRICK DEREWIANY
Publié le Mis à jour
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Le match Italie-France de 2011 est resté dans les mémoires déjà parce que ce fut la première victoire des Transalpins face aux Français dans le Tournoi. Un séisme pour le rugby français, ponctué par deux sorties fracassantes du sélectionneur Marc Lièvremont, dont la sincérité jurait avec l’aseptisation grandissante.

Dans notre petit monde, ça reste un moment magique, douloureux sans doute, mais vraiment magique. Un après-match électrique, des mots tonitruants du sélectionneur Marc Lièvremont, pour prolonger une contre-performance historique.

Le 12 mars 2011, quatrième journée du Tournoi : pour la première fois la France est battue en Italie, 22-21 après vingt dernières minutes d’apocalypse. À l’heure de jeu, les Tricolores menaient encore 18-6 dans le sillage de la charnière Parra - Trinh-Duc, avant de s’offrir une descente aux enfers dantesque. Le Diable prit le visage de l’arrière Andrea Masi, auteur du seul essai italien, servi par Edoardo Gori petit côté après deux interventions d’Alessandro Zanni et de Tomaso Benvenuti. Plus vicieux encore, Satan prit aussi l’apparence du délicat Mirco Bergamasco, chérubin blond, comme tout droit tombé du plafond de la Chapelle Sixtine pour nous rappeler, nous Français à notre condition de simples mortels. Il enquilla trois pénalités, trois coups de dagues fatals pour achever le moral des Français et exciter son public tellement sevré de succès.

Sentiment ambigu, fruit d’une passion triste

Cette sensation de vivre un moment unique, on l’a sentie se diffuser dans les travées du Flaminio. Dans les dernières minutes, à mesure que les Bleus butaient sur la défense italienne comme des mouches sur une vitre translucide, on vit aussi naitre chez les Français présents, surtout les journalistes bien sûr, ce sentiment ambigu, fruit d’une passion triste. Tant qu’à vivre un effondrement des Bleus autant qu’il se termine par une victoire historique des adversaires. Ça nous fera des souvenirs. C’est la nature humaine. Sans compter l’ambiance, le public survolté, les journalistes italiens qui jettent le masque de l’objectivité aux orties. Et le sourire de Nick Mallett, sélectionneur sud-africain de la "Squadra".

Marc Lièvremont à l’hôtel de l’équipe de France le dimanche. On pensait qu’il allait peut-être rétropédaler après ses propos de la veille, ce fut tout le contraire.
Marc Lièvremont à l’hôtel de l’équipe de France le dimanche. On pensait qu’il allait peut-être rétropédaler après ses propos de la veille, ce fut tout le contraire. MIDI-OLYMPIQUE - PATRICK DEREWIANY

Le match finit sur une série de mêlées plutôt favorables aux Coqs, mais M. Lawrence ne siffla, pas l’ultime pénalité salvatrice. 22-21 pour l’Italie. Cet après-midi de chien, il faudrait le vivre intensément. Écoutons un jeune reporter, Jérémy Fadat, dont c’était le baptême à l’extérieur dans le Tournoi. "Il faut se rappeler que c’était le même week-end que la catastrophe nucléaire de Fukushima. Dans notre microcosme, la défaite des Bleus a totalement éclipsé cet événement. À l’époque, les infos n’arrivaient pas directement sur nos portables. Alors en revenant à l’hôtel, on a bien vu des images sur les téléviseurs, mais notre actualité sportive balayait tout le reste. Je n’ai compris ce qui s’était passé au Japon que le dimanche soir en revenant en France. Pourquoi ? Parce que ça paraissait impensable de voir les Français battus en Italie. Même nous, Midi Olympique, on s’est sentis à un moment donné dépassés par l’ampleur de l’événement, il a fallu revoir la pagination en toute hâte, produire deux fois plus de copie. Mais en fait, je crois que tout le monde a été dépassé, nous, les joueurs, les entraîneurs qui ne s’y attendaient vraiment pas."

"Je ne cours pas forcément avec le vent"

Le cœur de l’événement se déplaça vers les coulisses du Stade Flaminio, pour une conférence de presse qui ferait date. "Marc Lièvremont avait des partisans et des détracteurs, mais c’était un homme entier et sanguin. Dans l’enthousiasme ou la consternation, il nous avait habitués à d’excellentes conférences de presse." reprend Jeremy Fadat, alléché ce jour-là par l’odeur des "punchlines".

Pourquoi le cacher ? Avec le recul du temps surtout, on a appris à réévaluer le mandat de Marc Lièvremont et sa personne aussi. Il reste le dernier sélectionneur à avoir réussi un grand chelem (2010), le dernier à avoir battu les All Blacks aussi (2009). On appréciait son français excellent, son éducation aussi pourtant mise à mal par un flot de critiques, y compris dans ces colonnes. Il réussissait le tour de force de la doubler d’une vraie sincérité, une allergie congénitale à la langue de bois dont on ne l’a pas assez remercié. Ce goût de la sincérité, il l’a revendiqué par la suite : "C’était la période où la FFR avait tenté de me placer dans les mains expertes d’un communicant pour quelques leçons comme on prodigue un cours de maintien à un roturier. J’avais déjà eu des sollicitations, sans en tenir compte. Mais là, comme ça venait du corpus fédéral, j’ai accepté la suggestion… J’ai tenu une demi-heure guère plus." Jo Maso, Lionel Rossigneux (alors attaché de presse des Bleus) avaient tenté de le freiner. Marc Lièvremont n’avait pu se résoudre à sombrer dans le bla-bla ronronnant : "J’avais vu des entraîneurs entrer dans ce jeu, ils y avaient perdu en spontanéité et en naturel. De toute façon, je sais que mon visage traduit mes sentiments, je ne sais pas les masquer. je n’aime pas la provocation, mais je ne cours pas forcément avec le vent." (lire "Cadrages et débordements", son autobiographie, aux Editions de la Martinière).

Marc Lièvremont à l’hôtel de l’équipe de France le dimanche. On pensait qu’il allait peut-être rétropédaler après ses propos de la veille, ce fut tout le contraire.
Marc Lièvremont à l’hôtel de l’équipe de France le dimanche. On pensait qu’il allait peut-être rétropédaler après ses propos de la veille, ce fut tout le contraire. MIDI-OLYMPIQUE - PATRICK DEREWIANY

Cette philosophie, il ne manqua pas de l’appliquer derechef en ce 12 mars lors de cette fameuse conférence de presse. Jérémy Fadat reprend : "On l’a vu arriver un visage ténébreux, visiblement en colère. La différence était patente avec son capitaine Thierry Dusautoir, désabusé, mais clairement sur la retenue. Lièvremont, lui était une marmite prête à exploser." Dès la prise de parole, le sélectionneur s’épanche, non il n’a pas parlé, aux joueurs à part quelques mots à son capitaine… "Qu’est-ce que vous voulez que je leur dise ?" Il est tellement en colère qu’il prononce cette phrase hallucinante quand on est drogué à la langue de bois habituelle : "De toute façon, je vais leur donner une composition d’équipe et désormais je les laisserai se démerder tous seuls." Notre reporter n’est pas près d’oublier le regard incrédule de Dusautoir à cet instant précis. "Même si c’était sous le coup de la colère, on ne pouvait pas ne pas penser que cette phrase actait une fracture entre le staff et les joueurs." Tous les plumitifs se ruent sur leurs ordinateurs pour témoigner de l’ampleur du malaise. "Une république sans état !" titra ainsi rugbyrama.fr. Marc Lièvremont témoignera plus tard qu’il avait quand même parlé à ses troupes dans les vestiaires : "Je ne peux pas rapporter tout ce que j’ai pu dire dans les vestiaires. Je me souviens que Pierre Camou, le président de la FFR, tente de me calmer, que j’envoie tout balader."

Rebelote le lendemain

Une conférence de presse d’après-match, ce n’est pas non plus parole d’Evangile. Tout le monde aurait compris que le sélectionneur rétropédale dès le lendemain, dans un grand hôtel romain, lors d’une deuxième conférence, celle-là très attendue. Qui ne s’est pas emporté sous l’effet de la déception ? "Au bout de deux minutes, on a vu entrer Marc Lièvremont et on a compris que l’atmosphère était toute aussi électrique et qu’il n’était pas redescendu. On a compris pourquoi après, certains joueurs étaient sortis après le match." Au bout d’une ou deux questions, Lièvremont remonte dans les tours, il tonne que l’annonce du groupe pour le dernier match face au pays de Galles est reportée. Puis annonce qu’il a rompu le pacte passé avec ses joueurs qui voulaient que tous les gars qui feraient le Tournoi aillent forcément au Mondial. Un journaliste lui demande alors s’il l’a annoncé aux joueurs : "Oui, ce matin même !" Et alors, ? "Le calme plat. Comme d’habitude avec eux." Il enchaîne avec cette nouvelle sentence de plomb : "Désormais, ce n’est plus eux et moi ensemble."

Avec le recul, on comprendra que cet Italie-France fut la genèse de tout ce qui s’est ensuite passé lors du Mondial néo-zélandais, l’autogestion supposée des joueurs après un nouveau camouflet, face aux Tonga cette fois.

Ces deux conférences de presse hors normes, dix ans après, Jéremy Fadat n’en est toujours pas revenu : "Surtout, quand on connaît le climat qui règne aujourd’hui autour des équipes nationales, où on est toujours en train d’arrondir les angles et de minimiser. On peut de moins en moins pénétrer dans les coulisses. On peut penser ce qu’on veut de Marc Lièvremont mais lui ne trichait pas avec ses émotions."

Cinq bannis, dont Chabal

En 2011, le dimanche soir, par un communiqué, le sélectionneur renvoie chez eux cinq joueurs : Marconnet, Jauzion, Thion, Poitrenaud, Chabal (totem médiatique du XV de France). Les voilà écartés donc pour le dernier match du Tournoi face au pays de Galles. Fin d’un week-end. "Le climat de ce week-end fut donc encore plus étouffant que celui de la défaite face au Tonga sept mois plus tard." Il faut croire que la décision-sanction porta ses fruits puisque la France battit largement de bons Gallois 28-9.

Marc Lièvremont à l’hôtel de l’équipe de France le dimanche. On pensait qu’il allait peut-être rétropédaler après ses propos de la veille, ce fut tout le contraire.
Marc Lièvremont à l’hôtel de l’équipe de France le dimanche. On pensait qu’il allait peut-être rétropédaler après ses propos de la veille, ce fut tout le contraire. MIDI-OLYMPIQUE - PATRICK DEREWIANY

Dans son autobiographie Marc Lièvremont lève un coin du voile sur les coulisses de cette décision particulièrement lourde, avec une gêne assumée. "Le lendemain le staff technique exige des têtes. "Titi" me demande également de marquer le coup. Non, je ne peux pas tout raconter. Je peux juste dire, le souvenir est cuisant, que je plie face aux demandes, pas totalement, mais je cède sur ce principe qui va à l’encontre du mien. On gagne ensemble, on perd ensemble, on remonte ensemble. Ce sera mon premier compromis d’ordre sportif, et le dernier." On peut imaginer que ça avait ronflé en interne entre Lièvremont, ses adjoints (Emile Ntamack, Didier Retière), son manager (Jo Maso), son capitaine pour "faire des exemples". Et que le sélectionneur ne fut pas le plus en pointe finalement dans la sévérité. C’est lui qui dut l’assumer seul en public.

"C’était la période où la FFR avait tenté de me placer dans les mains expertes d’un communicant pour quelques leçons comme on prodigue un cours de maintien à un roturier. J’avais déjà eu des sollicitations, sans en tenir compte. Mais là, comme ça venait du corpus fédéral, j’ai accepté la suggestion… j’ai tenu une demi-heure guère plus." Marc Lièvremont

L’amertume de Marconnet

Aucun des "bannis" ne sera à la Coupe du monde., mais Marconnet rejouera toutefois un match de préparation l’été suivant. On a toujours senti le pilier aux 84 sélections très marqué par cet épisode, peut-être parce qu’il fut le seul qui aurait pu renverser la tendance. Il s’est exprimé à plusieurs moments. Dès le 14 mars : "Marc Lièvremont a utilisé le vocabulaire d’un homme blessé, qui a l’impression d’avoir été trahi par ceux à qui il a donné sa confiance." Puis fin août après l’annonce de sa non-sélection : "Oui, je lui en veux, j’ai le droit de penser que cette décision n’est pas juste.

En 2013, il y revint dans L’équipe : "On savait à quoi s’attendre (avec Jérôme Thion). Quand tu as passé trente ans et que ça ne s’est pas bien déroulé, tu sens si tu vas être dans le mauvais wagon. Sélectionner, c’est aussi sanctionner. J’ai senti "Seb" (Chabal) touché. Mais le problème avec Marc c’est qu’il pouvait changer d’avis." L’an passé, il reparla encore de l’épisode dans nos colonnes avec toujours cette pointe amertume : "Marc avait décidé de nous mettre cette défaite sur le dos. A-t-on servi de fusibles ? A-t-on été nuls ? Je ne sais pas. Ce jour-là, j’avais Julien Pierre et Jérôme Thion au cul en mêlée. Je n’ai pas l’impression qu’on se soit fait remuer. Je crois simplement que Marc Lièvremont ne comptait plus sur les anciens et ne savait pas comment nous le dire. Toujours est-il que sur ce coup, on s’est fait jeter comme des m…" Marc Lièvremont reconnut avoir cogité pendant deux jours avant de lui annoncer le verdict les yeux dans les yeux dans un hôtel de Dublin au mois d’août. Mais comme pour les autres recalés, le sélectionneur n’avança pas d’autres motivations que sportives purement et simplement.

Cet Italie - France restera donc comme un moment dur, mais terriblement humain dans un monde déjà si aseptisé, mais un peu moins qu’aujourd’hui. On a souvent dit qu’il avait acté une forme de distanciation entre le staff et les joueurs, Il y eut ensuite une autre crise durant le Mondial, celle des "sales gosses", autre saillie verbale fameuse de Lièvremont, puis une équipe en autogestion en fin de parcours, peut-être juste munie d’une composition griffonnée sur une feuille de papier par le coach. C’était peut-être la meilleure chose à faire après tout ... mystère de la psychologie, de la motivation, de la dialectique de l’autorité et du consentement. Mais faisons le bilan sereinement, la France surclassa l’Angleterre en quart, finit en finale, perdue d’un point (8-7) face aux All Blacks sidérés. Elle aurait dû la gagner si l’arbitre sud-africain n’avait pas tremblé au moment de faire son devoir. Finalement des psychodrames comme ça, on en redemande !

On imagine que Marc Lièvremont finit cette année 2011 essoré nerveusement. Son mandat finalement si réussi n’avait pas été traité à sa juste valeur. Rançon de sa personnalité peut-être.. L’Italie - France en avait été l’acmé. On imagine aussi le rayon de soleil qui vint chauffer son cœur un peu endurci quand, après la finale, il avait reçu un SMS de Sébastien Chabal, la vedette qu’il n’avait pas amenée en Nouvelle-Zélande, vrai choix de sélectionneur : "Malgré nos désaccords, je suis triste pour toi. Pas de rancune, je t’aime bien. Je t’embrasse.

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