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Roman d'un club - Auch : la tournée des grands ducs

  • Henry BRONCAN entraineur d'Auch
    Henry BRONCAN entraineur d'Auch Sebastien Lapeyrere / Icon Sport - Sebastien Lapeyrere / Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Henry Broncan aura passé neuf saisons à Auch, remporté deux titres de champions de France et un bouclier européen. Une épopée qui s’est terminée en 2006-2007 sur une saison exceptionnelle où les Gersois avaient écrasé le championnat. 

Exceptionnelle, historique ou encore inimaginable. On peut donner de nombreux adjectifs élogieux à la saison 2006-2007 du FC Auch-Gers. C’est pourtant avec le plus petit budget du monde professionnel (2,4 millions d’euros) que le club gersois avait attaqué la saison. Le titre de Pro D2 devait se jouer entre Pau, Lyon, La Rochelle et Toulon, qui faisait office de favori avec son budget de 7,5 millions d’euros. L’argent ne fait pas tout. L’âge non plus car, faute de moyen, le club gersois avait misé sur la jeunesse avec un effectif dont la moyenne d’âge était inférieure à 25 ans. En tout cas, c’était encore vrai en 2006-2007. Contre toute attente, Auch avait écrasé la concurrence.

À mi-parcours, le FCAG comptait douze points d’avance sur Béziers, treize sur Toulon, dix-huit sur Dax, dernier club potentiellement qualifié pour la phase finale. Les hommes d’Henry Broncan avaient remporté quatorze de leurs quinze premiers matchs et le 14 avril, le club devenait officiellement champion de France de Pro D2 après un cinglant 31 à 0 face au voisin tarbais, l’ennemi intime d’Armagnac-Bigorre. Le 14 mai, au soir de la dernière journée et d’un ultime succès face au Racing-Métro 92, les Auscitains, qui fêtaient depuis bien longtemps leur titre, affichaient 110 points au classement, pour vingt-cinq victoires, un nul et quatre défaites. Le FCAG, déjà champion en 2004 après une finale épique face à Bayonne, remportait haut la main son deuxième titre, trois ans après.

Retour à un jeu maîtrisé à la perfection

Pourtant, le retour en Pro D2 avait été douloureux. L’équipe avait alors enchaîné quatre défaites lors des quatre premières journées de la saison 2005-2006. Tarbes et Montauban étaient déjà venus gagner au Moulias. « On est derniers et on doit aller jouer à Tyrosse, qui est aussi mal en point que nous, se souvient le pilier Pascal Idieder. Avec le couteau sous la gorge, on l’emporte 15 à 12. À partir de là, Anthony Lagardère se met à buter et on réussit à enchaîner seize matchs sans défaite. C’est le début de l’aventure. » Les Auscitains se qualifient même pour la phase finale mais s’inclinent à Dax, en demi-finale. « On perd sur ce que l’on pense être une injustice mais les Dacquois doivent penser autrement, tempère Julien Sarraute. Cela nous permet d’être dans la continuité la saison suivante. L’émulation collective est exceptionnelle et l’équipe réalise une saison fabuleuse. »

Pour Grégory Patat, alors cadre de la formation gersoise, l’histoire commence bien la saison précédente : « On commence très mal. Je me revois en train de discuter au bord du terrain avec Henry Broncan. Nous étions restés sur le jeu offensif que l’on avait mis en place pour le Top 16, mais le Pro D2 est un tout autre championnat. Le rythme des rucks n’est pas du tout le même. On a dû revoir notre copie. » Les Gersois reviennent à un rugby qu’ils maîtrisent parfaitement : « On avait voulu mettre en place un nouveau style mais on s’était trompé. On a alors remis le bleu de chauffe et misé sur la conquête et la défense. Après la défaite en demi-finale, le groupe pouvait s’appuyer sur une ossature solide avec Saint-Lary, Tapasu, Lagardère et Bastide. Puis, le savoir-faire d’Henry Broncan était de repérer les jeunes à fort potentiel. Et nous avons alors vu arriver ou éclore des joueurs comme Montanella, Bourrust, Bontinck, Battut, Couzier, Aguillon, Chavet. »

Les grognards, ceux qui ont connu le titre de 2004, sont là pour encadrer ces gamins venus gagner du temps de jeu, excités par la réussite de Florian Denos, prêté la saison précédente par le Stade toulousain, ou la montée en puissance d’Arnaud Mignardi déjà récupéré par Agen. « Ils nous ont fait de la bonne publicité, explique Henry Broncan. Nous avons réussi à faire venir beaucoup de jeunes internationaux juniors. Ils avaient connu Mignardi, Dambielle et d’autres en sélection et ils leur avaient parlé d’Auch. Ils savaient qu’en venant ici, ils seraient très vite sur le terrain. Ils étaient sûrs de jouer et de lancer leur carrière. » C’est ainsi qu’Antoine Battut était prêté par Toulouse ou que Thierry Brana, alors au Stade français, découvrait le Gers lui aussi en prêt : « Je jouais quatre ou cinq matchs par an avec Paris. Arnaud Mignardi était un ami et m’avait parlé d’Auch. J’ai alors décidé de tenter l’aventure en Pro D2 pour acquérir plus de compétences et m’en servir comme tremplin. Cela m’a permis de jouer une saison pleine et c’est certainement la plus belle de ma carrière. »

Ces jeunes pleins d’envie, « payés le minimum syndical », rigole encore Grégory Patat, étaient conscients de la chance qu’ils avaient. « Les résultats des années précédentes et le fait d’avoir des internationaux juniors qui jouaient le week-end en première nous ont permis d’être attractifs, poursuit Henry Broncan. Je me souviens d’avoir eu Maxime Mermoz en pleurs au téléphone. Il voulait venir mais le Stade toulousain n’était pas d’accord pour le libérer. » Le demi de mêlée Brice Salobert avait tenté le même pari trois ans plus tôt : « J’avais 22 ans, deux titres de champion de France juniors avec Agen et j’ai décidé d’aller à Auch car on savait que l’on avait de fortes chances d’être remarqué en gagnant du temps de jeu. En arrivant, je pensais que ça serait facile et puis je me suis rendu compte que le club avait beaucoup de joueurs gersois très bons. Mais tous les jeunes avaient faim de rugby. Jouer était notre priorité. De toute façon, il n’y avait pas d’oseille. Je bossais à Intersport, Anthony Lagardère était pion. C’était vraiment atypique. » Une ambiance d’un autre temps, même à l’époque. Souvent capitaine après la blessure de Grégory Patat, l’ailier Raphaël Bastide se souvient : « Sur le papier, on n’avait pas la plus grande équipe mais les anciens avaient connu le titre de 2004 et les jeunes ne se posaient pas de questions. Pour moi, notre victoire à Béziers est symbolique de notre état d’esprit. On avait été sacrés champions une semaine plus tôt et on va y gagner alors que l’ASBH luttait pour la qualification. »

« Les Biterrois nous avaient offert du vin sur la pelouse, avant le match et on gagne avec un drop de Lagardère dans les dernières minutes, se marre encore Pascal Idieder. Les Biterrois étaient fous. Nous, on ne se rendait pas bien compte de ce que l’on faisait. Avec notre tout petit budget, on faisait chier tout le monde et on enchaînait les victoires. On se sentait invincibles. » Un sentiment que Henry Broncan a pu mesurer : « Tout était presque naturel, même les victoires en fin de saison alors que certains joueurs étaient partis renforcer les espoirs. Mais c’est extraordinaire une équipe avec une telle confiance. Nous avions quand un effectif large avec des espoirs, qui ont aussi été champions de France cette année-là et qui étaient proches du niveau des titulaires. La concurrence était redoutable. » Un effectif construit pour le combat, selon Brice Salobert : « On saccageait tout le monde devant. Pour un demi de mêlée, c’était génial. On n’avait vraiment peur de personne. Je n’ai jamais joué dans une équipe qui dominait autant devant. Après, c’était pas mal aussi derrière. »

Des rébellions collectives

Un effectif certes homogène, un entraîneur qui avait obtenu pour la première fois une journée de travail en continu (le mercredi), un plan de jeu basé sur une redoutable conquête, cela paraît tout de même un peu court pour dominer autant le championnat. Les hommes ont fait la différence. « Je me suis toujours appuyé sur le président Bernard Laffitte, Elie Mène, Gérard Lacrampe et Patrick Miquel au niveau du staff. Des gens humbles et discrets. Et puis, chez les joueurs, j’avais la bande des Gersois qui étaient de sacrés leaders. » Julien Sarraute en faisait partie, bien que longtemps blessé lors de cette saison-là : « Les anciens ont su insuffler le bien vivre ensemble à ce groupe. C’était notre marque de fabrique et les nouveaux s’y sont greffés. » La vie de groupe était le ciment de cette équipe, allant jusqu’à inventer la première mi-temps du jeudi soir ! « Henry voulait des rebelles sur le terrain, raconte Grégroy Patat, Il a aussi eu droit à des rebelles en dehors. »

Les rebellions étaient collectives depuis des années. Une semaine avant la finale du Bouclier européen remporté face à Worcester en 2005, alors que l’équipe rentrait de Bayonne, le boss avait prévenu que si un joueur était vu aux fêtes de Vic-Fezensac, il ne serait pas du voyage en Angleterre. Les anciens avaient rapidement tenu conciliabule au fond du bus et avaient décrété que toute l’équipe irait à « Pentecotavic », pour que personne ne puisse être sanctionné. Un état d’esprit qui a perduré avec ces soirées du jeudi, que ce soit des virées toulousaines ou des parties de poker interminables. « Il nous arrivait de prendre le bus le vendredi en ayant très peu dormi », reconnaît Grégory Patat. « Henry était au courant de tout, rigole Brice Salobert, C’est vrai que l’on commençait le jeudi mais on était au lit le vendredi. En réalité, nous étions tous ensemble au lycée Saint-Christophe de Masseube. Il y avait un baby-foot, on jouait aux cartes. On était enfermés. » « C’était à l’image d’Henry, poursuit l’entraîneur des avants de La Rochelle, les stages, avec lui, ce n’était pas du 4 étoiles. Il y avait peu de confort et on finissait le samedi matin sans pouvoir marcher alors que l’on jouait le soir. Il voulait puiser dans nos réserves. On retrouvait cet esprit-là à Saint-Christophe. Les lits étaient pourris, on avait tous mal au dos donc personne ne restait dans sa chambre. Nous étions tout le temps ensemble. » « On ne dormait pas, complète Brice Salobert. Si Tao Tapasu ronflait, tout le monde l’entendait et personne ne pouvait fermer l’œil. Il est certain que l’on arrivait énervés le lendemain (rires). Aujourd’hui, les mecs ne tiendraient pas quinze jours mais nous, on aimait ça. »

Il existait un accord tacite et Henry Broncan le reconnaît : « J’étais au courant. Mais je faisais souvent la troisième mi-temps aussi. Plus discrètement… On allait s’asseoir près de la cathédrale illuminée avec deux ou trois copains, après les victoires. » La règle d’or était de ne pas tricher le jour du match. Et les fêtes étaient aussi un bon prétexte pour l’entraîneur. « Henry nous recadrait le lundi, convient Grégory Patat. Il n’y avait pas récupération ou de piscine comme maintenant. » Tous se souviennent de ces fameuses séances du lundi soir. « On s’entraînait dur, c’était de la folie, se souvient Idieder. Le lundi, on avait opposition en mêlée avec les espoirs qui voulaient notre place. Ce n’était pas marrant. » « Tout en opposition, surenchérit Patat, Aujourd’hui, tu peux faire trois ou quatre mêlées en live par semaine. À l’époque, on y passait la soirée et on enchaînait sur les mauls portés, avec les jeunes qui te rentraient dedans. » Brice Salobert avait la chance d’observer ça de loin : « Les séances du lundi, c’était magnifique. Ça finissait quasiment systématiquement en pugilat (rires). Mais on était tellement heureux de se retrouver le soir, à l’entraînement… C’était la cour de récréation, même si les séances n’étaient pas drôles. »

Le séisme du départ de Broncan

La folie ne s’arrêtait pas aux troisièmes mi-temps ou aux méthodes d’entraînement. Malgré les résultats et une montée en Top 14 qui se profilait, l’annonce du départ d’Henry Broncan pour Agen, à l’issue de la saison, a été un séisme. Après neuf saisons, deux titres de champion de France de Pro D2 et un Bouclier européen, une page devait se tourner dans une certaine incompréhension. « Il y a eu un petit accrochage mais ça ne sert à rien de revenir dessus, coupe Henry Broncan, j’ai dû me tromper, à ce moment-là. Je voulais que l’on soit soutenu en conséquence pour retrouver le Top 14. Il fallait tendre vers plus de professionnalisme et je n’ai pas senti une adhésion générale. Il y avait une certaine usure, après neuf ans, car aucune saison n’avait été facile, si ce n’est peut-être cette dernière saison. Mais aujourd’hui, je reconnais que j’ai beaucoup de regrets d’être parti. Je crois que l’on aurait pu faire mieux en Top 14 si j’étais resté. »

Cette annonce prématurée n’a rien changé aux résultats. Mais les anciens ont eu du mal à accepter cette décision. « Je ne parlerais pas de crise mais d’un tournant dans l’histoire du club, analyse Julien Sarraute. Nous étions abasourdis mais, avec le recul, on peut comprendre sa décision. » Ce départ a néanmoins changé beaucoup de choses pour Raphaël Bastide : « Sans lui en vouloir, c’était dur à accepter. C’était notre papa. Il avait tellement joué sur l’affect. Pour moi qui l’ai connu à 16 ans à Lombez-Samatan, j’avais un sentiment d’abandon sur le moment. On avait une relation particulière et j’ai commencé à perdre goût pour le rugby quand il est parti. » « Quand le chef part, les soldats se regardent et se demandent quoi faire, poursuit Grégory Patat, Quand Henry décide de partir, on se demande s’il croit encore en nous, en notre histoire. En étant de l’autre côté de la barrière, aujourd’hui, on comprend l’usure. Il se battait avec des armes en plastique et devait tout reconstruire chaque année. On lui piquait 30 à 40 % de son effectif chaque intersaison. C’est pourtant lui qui a fait jouer tous ces joueurs à qui on ne faisait pas confiance jusque-là : les Chavet, Bontinck, Montanella, Battut, Denos et je pourrais en citer cent autres. Certes, c’est la règle du jeu mais c’était dur. »

C’est finalement le plus gros regret de cette épopée de neuf ans, conclue par cette magistrale saison 2006-2007, à en croire Pascal Idieder : « Les quinze meilleurs partaient et il fallait tout le temps reconstruire. C’est mon plus grand regret. On ne sait pas ce que l’on aurait pu faire si le club avait pu garder tout le monde. » 

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