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Roman d’un club - Narbonne, un record gravé dans le marbre

  • 1979 reste dans les annales du rugby français avec un Narbonne au sommet de son art, vainqueur de cinq titres en cette saison 1978-1979, dont celui de champion de France, avec un Bouclier de Brennus honoré comme il se doit dans les rues de la cité audoise, et le challenge Du-Manoir, en finale contre face à Montferrand.
    1979 reste dans les annales du rugby français avec un Narbonne au sommet de son art, vainqueur de cinq titres en cette saison 1978-1979, dont celui de champion de France, avec un Bouclier de Brennus honoré comme il se doit dans les rues de la cité audoise, et le challenge Du-Manoir, en finale contre face à Montferrand. Midi Olympique, L’Indépendant et RCNM.
Publié le Mis à jour
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Si près du but cinq ans plus tôt, le Racing Club de Narbonne a conquis son deuxième bouclier de Brennus en 1979. Au terme d'une saison magnifique, la finale contre Bagnères-de-Bigorre fut marquée par une tension singulière. Avec comme seule étincelle, l'incroyable percée de Didier Codorniou. 

Bouclier de Brennus, challenge Yves-du-Manoir, bouclier d’automne, Nationale B, challenge Antoine-Béguère… « Comme un sentiment de plénitude », à en croire les premiers mots de Didier Codorniou. Narbonne 1979, c’est un record gravé dans le marbre.

Une performance qu’aucun autre club n’a réalisée dans l’histoire du rugby hexagonal et qui, quarante et un ans plus tard, ne risque plus d’être égalée. Cette saison-là, les hommes de Gérard Sutra marchent sur l’eau et sur la France de l’Ovalie. Le fruit d’une décennie de construction, de transmission et d’amour du maillot. Avec au bout, la consécration pour tout un club : en l’espace de quelques mois, le Racing rafle tout sur son passage et remporte les cinq titres domestiques. Pour un grand chelem historique. L’ASBH en a rêvé, le Racing l’a fait.

Cette magnifique épopée est celle d’une bande de copains, de jeunes insouciants au talent ravageur, encadrés - et si souvent protégés - par des mastodontes aux gueules peu orthodoxes. Le rugby d’un temps, le rugby d’antan. Le rugby passion, véritablement, à l’époque des maillots trop grands, sans sponsor ni blason, très souvent destinés à éponger la sueur et le sang. « Nous nous sentions irrésistibles… Nous étions vraiment trop forts à cette époque du rugby complet. On fait une saison rugbystique énorme. Énorme ! Nous étions bons partout, dans ce jeu d’équipe, cette superbe liaison avants / trois-quarts. C’était merveilleux. Tout ce que l’on tentait allait au bout. C’est une belle réussite collective. Et c’était aussi l’aboutissement des dix dernières années du club », témoigne François Sangalli. Âgé de 26 ans, le centre fait figure de cadre et incarne le lien naturel entre deux générations de Narbonnais. Lui qui a connu Jo Maso, André Belzons et Walter Spanghero au début de sa carrière entoure désormais la relève, Didier Codorniou, Guy Ramon et Yves Malquier en tête.

« J’ai débuté aux côtés de Jo Maso, je l’ai terminée avec Didier Codorniou. Que voulez-vous de plus dans une carrière ? C’est aussi un symbole de cette transmission et de l’âge d’or que Narbonne a vécu. C’était que du bonheur, nous étions heureux de jouer ensemble. On ne vivait que pour ça. »

Et Spanghero jeta les clés du vestiaire...

Sur le terrain, le Racing impressionne. Leaders de la poule D, devant le trio basco-landais (Biarritz, Bayonne et Dax), les Audois se qualifient aisément pour les phases finales. Leur niveau de jeu est tantôt spectaculaire, sinon éblouissant. Cinq essais et trente points sont inscrits en moyenne par match.

« On prenait très rapidement les matchs en main. On imposait notre jeu, notre rythme », se remémore Claude Spanghero, capitaine charismatique. En seizièmes, Narbonne balaye Limoges (61-14) avant de prendre le meilleur sur le voisin carcassonnais au tour suivant (21-12). Des huitièmes de finale marqués par l’élimination du tenant du titre biterrois, touché par une crise interne et battu par Bagnères-de-Bigorre. On parle alors du « championnat de France de la nouvelle donne ». Et pour le Racing, l’horizon s’éclaircit un peu plus encore en quarts, quand les Orange et Noir font valoir leur suprématie face à Bayonne (18-7). Le chemin qui mène à un deuxième Bouclier de Brennus passe par Clermont en demi-finale.

La veille du match, le journal L’Équipe livre son pronostic : le quotidien sportif loue l’expérience de l’ASM, finaliste la saison passée, et donne les Auvergnats vainqueurs à 60 %. C’est alors que Claude Spanghero, qui parle aujourd’hui du « match référence » intervient à quelques minutes du coup d’envoi : « J’ai empêché le président Bernard Pech de Laclause et l’entraîneur Gérard Sutra d’entrer dans les vestiaires. J’ai fermé la porte à clés puis j’ai jeté la clé par la fenêtre. Comment en sommes-nous sortis ? Avec les piliers, nous avons cassé la porte à coups de tête et à coups d’épaule. La presse disait de nous que nous n’avions rien à faire en demi-finale. Résultat, nous avons battu Montferrand grâce à notre agressivité en début de match. Nous avons surpris tout le monde en les explosant. Ce moment-là dans les vestiaires est fondateur. »

Remontés comme des pendules, les Audois envoient valser la mêlée adverse sur la première épreuve de force. Après une entame de match tonitruante, Narbonne s’impose avec autorité, 19 à 9. Quarante ans plus tard, ce succès résonne encore comme le point d’orgue de cette épopée. « La demie est venue concrétiser tout notre potentiel et nous a donné une confiance énorme », surenchérit François Sangalli.

Le spectre de 1974

Quatre-vingts minutes séparent désormais les Narbonnais du titre. Un Bouclier de Brennus que le club méditerranéen n’a soulevé qu’une seule fois, en 1936, avant de connaître une énorme désillusion en 1974. De cette finale perdue dans les ultimes secondes contre l’ennemi juré, Béziers, ils sont six à retrouver le Parc des Princes cinq ans plus tard : Pierre Salettes, Jean-Michel Benacloï, Henri Ferrero, François Sangalli et Claude Spanghero.

« Nous n’avons pas trop été aidés, surtout en 1974 lors de la finale contre Béziers. Pour moi, l’arbitre nous vole le match. Nous étions dans les arrêts de jeu : sur une touche, je me fais bousculer et Marc Palmié dévie le ballon. Astre sert Cabrol qui claque le drop de la victoire. L’arbitre était devant moi. Marc a avoué qu’il avait triché sur la touche. Cette défaite m’est restée en travers de la gorge. Moi, j’ai été champion de France ensuite mais en 1974, il y avait Jean-Marie et Walter (ses frères, N.D.L.R.). Et ils n’ont pas été champions eux. Ils méritaient un titre. Ça, ça me fait chier », raconte, ému, le deuxième ligne. Clin d’œil de l’histoire, en 1979, les Narbonnais retrouvent M. Francis Palmade au sifflet, le même arbitre que lors de la finale 1974.

Après une saison de rêve, il est inconcevable que le Bouclier leur échappe une nouvelle fois. La déception vécue cinq ans plus tôt a hanté les esprits. Pourtant, à quelques jours d’affronter Bagnères-de-Bigorre à Paris, les joueurs de Gérard Sutra paraissent plus que jamais déterminés et pour le moins confiants. Dans la semaine, le talonneur Pierre Salettes, accompagné par l’ouvreur Lucien Pariès, installe les stores de son bar à PortGruissan. Le tout en prévision d’une victoire et d’une troisième mi-temps arrosée ? Très certainement. Du côté de la ville, des posters estampillés « Narbonne champion de France » sont imprimés à l’avance, mais les joueurs ne l’apprendront que plus tard. De ces dernières heures avant l’échéance se dégage une sérénité inébranlable, partagée par tous.

Encore fallait-il assumer le statut de favori sur la pelouse du Parc des Princes, face à un Stade bagnérais surprenant vainqueur d’Agen en demie.

« La François », une combinaison pour l'histoire

Une finale ne se joue pas, elle se gagne. Narbonne en avait fait le douloureux apprentissage. En 1979, et au terme d’une saison très séduisante, le Racing rend une ultime copie plutôt indigeste, où l’agressivité et les tensions ont très vite pris le dessus sur le rugby.

Le match est diffusé en direct sur TF1, avec le Biterrois Raoul Barrière aux commentaires, dans le rôle de consultant. En tribunes, le public narbonnais est incandescent. Pétards, fusées agricoles… L’arrière international bagnérais, Jean-Michel Aguirre, est d’ailleurs la cible de projectiles sur ses tentatives de tirs au but. Il les loupera toutes, avalé par la violence venue des tribunes. « Cette finale, nous ne l’avons pas jouée. Nous l’avons joué quinze jours avant en battant le SUA à Toulouse », avait-il confié. Car sur la pelouse, c’est Narbonne qui mène d’une main de maître cette guerre de tranchées, avec pas moins de quarante-trois mêlées ordonnées par l’arbitre.

On totalisera, à la louche, autant d’échauffourées et de parties de manivelles, accouchant des exclusions tardives de Colomine et Torossian. « On a vu une très mauvaise rencontre. Narbonne s’est imposée car Narbonne avait plus envie de la victoire. Aujourd’hui, c’était une question de motivation. Une envie folle animait tous les joueurs », lâchait l’entraîneur Gérard Sutra au coup de sifflet final. « Pour une fois, ce n’est pas la beauté du match qui nous importait mais le score final », résume quant à lui Didier Codorniou.

« Nous avons clairement fermé le jeu, à partir du moment où nous avons mené au score. Ce n’était pas notre jeu. C’était une finale et on n’allait pas s’amuser à faire du spectacle et s’exposer à un contre. Car en face, ils avaient les moyens avec des mecs comme Jean-Michel Aguirre, Roland Bertranne ou encore Jean-François Gourdon (élu meilleur ailier du championnat de France par Midi Olympique à cinq reprises) », concède Claude Spanghero, véritable tour de contrôle de la touche narbonnaise, avec huit ballons captés dans les airs au cours de cette finale. C’est d’ailleurs d’une touche volée par son capitaine que le Racing planta le seul essai de la rencontre.

Ce 25 mai 1979, l’enfer du Parc révèle « Le Petit Prince ». Après deux pénalités de Lucien Pariès, les Narbonnais sont à l’attaque en fin de première période. Quand soudain, l’unique étincelle de la rencontre. Sur une combinaison en première main, que les Orange et Noir avaient tant l’habitude d’exécuter, l’ouvreur croise avec son second centre, qui n’est autre que Didier Codorniou. Le jeune Narbonnais (21 ans) transperce, élimine puis concentre sur lui six défenseurs avant de libérer le ballon, dans un trou de souris, pour son ailier Christian Tralléro.

« Je pensais que Didier allait finir tout seul. Il leur a fait de tout », témoigne Spanghero, spectateur privilégié de cette percée historique. « Il s’agit d’une combinaison que l’on appelait « La François ». Son origine revient aux années précédentes, quand Jo Maso jouait demi d’ouverture et moi au centre, juste avant l’arrivée de Didier », raconte François Sangalli. « À cette époque, j’avais pas mal d’appuis et j’étais assez solide en jambes. Mais ça va tellement vite. Mon souvenir, c’est d’avoir franchi la défense. Puis après, un crochet, un deuxième… Je ne sais pas comment j’arrive à passer ce ballon à Tralléro mais cela a toujours fait partie de mon ADN. Je préférais faire marquer que de marquer moi-même. En l’occurrence sur cette action, je n’avais pas le choix. Il fallait transmettre », explique Codorniou.

Porté par cet exploit, le RCN prend le large au tableau d’affichage (10-0). Le score ne bougera plus et Narbonne remporte son second titre de champion. « C’est de la fierté, de la joie. C’est une année complète. Avec le recul, je m’aperçois que c’est la saison de tous les titres et de toutes les consécrations. Ça marque un joueur à vie », conclut Didier Codorniou, dont la carrière prit un tout autre tournant. Deux mois plus tard, le 14 juillet, le centre participe à la première victoire de l’équipe de France sur le sol néo-zélandais, à l’Eden Park d’Auckland. Pour sa deuxième sélection, « Codor » marque un essai et scelle un exercice 1978-1979 idyllique, où Narbonne s’inscrivit comme la capitale du ballon ovale.

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