Abonnés

Califano : « Et là Guy me dit : " C'est Tournaire la nouvelle star. Toi, t'es mort. " » (2/2)

  • Christian Califano a connu 72 sélections avec le XV de France
    Christian Califano a connu 72 sélections avec le XV de France PA Images / Icon Sport
Publié le Mis à jour
Partager :

Dans cette deuxième partie d'entretien, Christian Califano revient sur sa pige aux Blues d'Auckland en 2002, la belle aventure de l'équipe de France à la Coupe du monde 1995, mais aussi sur deux entraîneurs qui l'ont marqué : Guy Novès et Pierre Berbizier.

Vous souvenez-vous de vos premiers pas avec le Stade toulousain ?

Je me souviens surtout qu’au début, le club m’avait logé dans un hôtel-restaurant où le propriétaire me filait du foie gras matin, midi et soir. Un mec fabuleux, certes, mais je suis arrivé à Toulouse à 102 kg et, à la reprise de l’entraînement, j’en pesais 123 ! (rires) Plus sérieusement, j’ai eu la chance d’évoluer avec des joueurs de légende comme David Berty, Emile Ntamack, Philippe Carbonneau. Aussi Thomas Castaignède "le gendre idéal" et Xavier Garbajosa "le fatigué". Deux autres joueurs m’ont particulièrement marqué : Christophe Deylaud et Albert Cigagna. C’étaient des génies du rugby.

Pourquoi surnommez-vous Xavier Garbajosa "le fatigué" ?

Il était capable d’arracher les yeux d’un mec. Lui, il aurait pu jouer talonneur. C’était un fou, un nerveux. À l’époque, on lui disait qu’il était un "mini-Novès". C’était un copier-coller de Guy.

Pourtant, les gens ont retenu sa défense sur Lomu en demi-finale de la Coupe du monde 1999, face à la Nouvelle-Zélande…

Donnez-moi les noms des téméraires qui se sont mis sur la route de Lomu ! Il n’y en a pas eu beaucoup.

Parlez-nous de vos rapports avec Guy Novès.

L’histoire s’est mal terminée. Je n’ai pas envie de revenir sur ce qui s’est passé à la fin. C’est un moment très difficile de ma vie. Avec Guy, on s’en est voulu à mort. Mais je lui dois énormément. Dans le management, j’ai eu la chance de côtoyer les meilleurs et lui, il était encore au-dessus. Grâce à lui, j’ai été l’enfant chéri du Stade toulousain. Je pouvais faire la pire des conneries, il me pardonnait tout.

Par exemple ?

Je ne sais pas si c’est très sérieux de raconter ça, mais bon… La veille d’une finale contre Clermont, j’avais du mal à dormir. Nous étions au château Ricard, à Clairefontaine, et notre partenaire automobile avait mis une voiture à disposition de l’équipe. Dans la nuit, je n’avais rien trouvé de mieux que de la prendre pour aller faire des dérapages sur le terrain. Puis un petit tour dans la forêt où je m’étais engagé dans une course-poursuite avec une biche. à gauche, à droite, je ne lâchais pas jusqu’au moment où j’ai senti la voiture décoller… Et je me suis retrouvé dans le lac du domaine ! Heureusement, la fenêtre était ouverte. J’ai pu sortir de l’habitacle et aller me coucher.

Que vous a dit Guy Novès au réveil ?

Je me souviens encore de son regard de tueur lorsqu’il est entré dans la salle du petit-déjeuner. Il a salué tous les joueurs, un par un. Il a terminé son tour de table par moi. Il m’a serré la main, m’a regardé droit dans les yeux et m’a demandé si j’avais bien dormi. Puis, il a ajouté : "C’est important de bien dormir. Aujourd’hui je compte sur toi, Cali. Et surtout, ne te loupe pas." Guy savait trouver les mots justes pour tirer le meilleur de ses joueurs. Ce qu’il disait à Thomas Castaignède, il ne me le disait pas.

Un exemple ?

Lors d’un match contre Narbonne où Franck Tournaire, la nouvelle pépite du rugby français, faisait ses débuts, Guy vient me voir pour me parler dans l’oreille. Je voyais bien qu’il regardait mes crampons. Et il me dit : "Dis donc, Cali, elles sont belles tes nouvelles chaussures." Sur le coup, je suis plutôt flatté. Je lui réponds que je viens de les recevoir. Et lui, qu’est-ce qu’il me rétorque ? "Tu vas pouvoir les ranger. Califano en équipe de France, c’est fini. Maintenant, c’est Tournaire la nouvelle star. Toi, t’es mort." Il m’a mis dans une rage folle. Le pauvre Franck a dû se demander ce qui se passait. Je lui ai fait de tout sur le terrain. Je lui ai tiré les cheveux dans tous les sens. Et d’autres trucs pas beaux…

Est-ce vrai qu’un jour, Guy Novès a failli vous faire jouer au poste d’ailier ?

Oui. C’était en 1996, de mémoire. Un match contre le Racing. Je le dis avec beaucoup d’humilité mais j’avais la chance de ne pas être mauvais dans le jeu. J’aimais ça. Sur pas mal de combinaisons, j’intervenais dans la ligne de trois-quarts. Un jour, Christophe Deylaud m’appelle pour aller discuter avec Guy. Et là, il lui propose de me faire jouer à l’aile. Stupéfaction dans les yeux du coach. Moi, j’étais surexcité. Je badais tellement Lomu que les mecs dans le vestiaire me surnommaient "Le mou". Je peux vous assurer que ça ne s’est joué à rien. Guy a vraiment hésité. Finalement, il a dit à Christophe Deylaud : "Si on fait ça, le gros on va le perdre." Avec le recul, je crois franchement qu’il avait raison. (Rires) Même si j’ai toujours rêvé de jouer derrière…

Étonnant pour un joueur formé à Toulon, non ?

Rassurez-vous, j’aimais quand même le combat. Lors d’un de mes premiers entraînements avec le Stade toulousain, je me souviens d’une anecdote. C’était lors d’une opposition contre les Reichel. Pas le droit de plaquer, pas le droit de faire mal… Bref, j’ai évidemment fait tout le contraire. J’essayais de coller des "timbres", de mettre des coups de cigare dans les regroupements. Didier Lacroix jouer au justicier. Résultat : on se fout sur la gueule. Logique. Au loin, on entend alors la voix de Jean-Claude Skréla : "Oh Casino, t’en as pas marre de casser les couilles à tout le monde ?" Vous vous doutez que j’ai un peu dégoupillé… Je me suis avancé vers lui en hurlant : "Mais t’es qui toi ? Moi, c’est Califano. Pas Casino."

Vous avez été le premier joueur français à participer à la compétition majeure de l’hémisphère Sud, le Super 12. Quel souvenir en gardez-vous ?

Une aventure merveilleuse que je dois à Sean Fitzpatrick et Grant Fox. Mon agent de l’époque leur avait parlé de moi. Ils avaient dit "banco". Ça aurait été le plus grand regret de ma vie si je n’avais pas tenté le coup. Pourtant, tout n’a pas été simple. Je n’étais personne en arrivant là-bas. Dans le vestiaire, il y avait Mils Muliaina, Carlos Spencer, Vidiri, Xavier Rush. Autant dire que je n’étais rien. Mais je me suis régalé à jouer le "NPC" dans un premier temps.

Vous aviez failli ne pas être retenu pour le Super 12. Pourquoi ?

Parce que le niveau est très relevé ! Après le NPC, les entraîneurs se réunissent pour faire la sélection et les joueurs sont prévenus par téléphone. La coutume veut que si tu n’as pas reçu un coup de fil à minuit, le dimanche soir suivant le comité de sélection, c’est que tu n’es pas retenu. J’étais comme un dingue durant tout le week-end, je restais collé au téléphone. Mais il ne sonnait pas. À 19 heures le dimanche soir, j’ai commencé à faire mes bagages. Et finalement, Sean Fitzpatrick m’a appelé à 23 h 55 en me disant "Congratulations Froggy". Je sais qu’il a fait exprès d’attendre, pour se venger de nos victoires en 1994 (rires). L’émotion a été si forte que j’en ai pleuré. Réussir ce pari fou, c’était l’aboutissement d’un projet. Certains diront toujours que je n’ai pas beaucoup joué en Super 12. Moi, je sais que c’était merveilleux.

Aviez-vous souffert physiquement ?

La pince à gras se souvient encore de moi ! J’étais à 19 % de masse grasse en arrivant. Le préparateur physique était fou. Il m’a regardé et m’a dit : "Froggy, the duck, it’s finish". Ils m’ont mis au régime sévère. Quelques semaines plus tard, je suis tombé à 14 %. Mais ça n’a pas été sans mal. Tous les mois le préparateur physique de la province passait dans les clubs pour des tests. Un jour, j’explose sur un 3 000 mètres. Avec moi, il y avait Caucaunibuca et trois ou quatre autres joueurs. Résultat : on n’entre plus dans les standards pour prétendre jouer et on doit repasser le test avant le début de la compétition.

Et donc ?

Rendez-vous avait été donné à 7 heures du matin, un dimanche. On se retrouve sous la pluie néo-zélandaise, dans la nuit noire, avec les quelques joueurs concernés. Le bonheur, quoi. Finalement, quelques minutes plus tard, on a vu débarquer tous les joueurs de l’équipe un à un, venus pour refaire le test avec nous et nous accompagner. D’en parler, j’en ai encore des frissons. C’était une émotion forte. Vraiment forte. Nous avions tous réussi le test.

Aviez-vous découvert un état d’esprit vraiment différent ?

Je ne sais pas… Pour fêter ça, le capitaine Xavier Rush nous avait tous invités à boire une bière. Il n’était que 8h30 du matin… Finalement, je suis rentré chez moi à 19 heures. C’est la voisine qui a prévenu ma compagne de l’époque car je m’étais endormi dans le jardin, sur les géraniums. L’an passé, lors de la Coupe du monde au Japon, Keven Mealamu m’en parlait encore (rires). Désormais, quand je croise ces mecs-là, nous avons un rapport particulier.

Ce lien que vous évoquez est-il aussi fort que ce que vous avez vécu avec l’équipe de France de 1995 ?

Ce qui s’est passé en Afrique du Sud restera à jamais le moment le plus fort que j’ai vécu avec l’équipe de France. J’ai eu la chance de faire partie de cette génération incroyable. Qui n’a pas eu le poster de Philippe Sella dans sa chambre ? Me retrouver à table avec cette légende ou avec Laurent Cabannes, Marco Cécillon, Philippe Benetton, Jean-Michel Gonzalez, Franck Mesnel, c’était juste énorme. Et Roumat, on en parle ? J’en ai fait, des conneries, mais lui, il est dix fois plus fort que moi (rires). Tous ces mecs, quel plaisir de les avoir côtoyés. Je suis parfois triste de ne pas les voir aussi souvent que j’aimerais. Cette épopée de 1995, c’est la plus belle histoire de ma vie.

Vous n’évoquez pas le sélectionneur de l’équipe de France de l’époque, Pierre Berbizier…

J’allais y venir. C’est de l’amour que j’éprouve pour "Berbize". C’est lui qui m’a fait vivre 1994 en Nouvelle-Zélande. C’est encore lui qui m’a emmené en Afrique du Sud, en 1995. Il m’a donné sa confiance, m’a permis de me surpasser. Pour Berbize, je me serais jeté dans un ravin, je l’aurais fait sans demander pourquoi. Ensemble, nous avons vécu un truc que personne ne revivra. C’est indescriptible. Poser des mots sur ces moments, je n’y arrive pas. Les liens qui unissent cette génération sont forts. Puissants. Je donnerais tout pour revivre cette période. Quand les discours de Berbize me reviennent en tête, j’en ai parfois les larmes aux yeux. C’est un mec que j’ai toujours admiré, quelqu’un de bien, de droit, intègre. Et je vais vous dire un truc : c’est de plus en plus rare dans ce milieu.

Vous êtes hors-jeu !

Cet article est réservé aux abonnés.

Profitez de notre offre pour lire la suite.

Abonnement SANS ENGAGEMENT à partir de

0,99€ le premier mois

Je m'abonne
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?