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Bru : « Avec l'équipe de France, il y a eu des mensonges qui ne s'effacent pas » (1/2)

Par Pablo ORDAS
  • Yannick Bru a entraîné les avants du XV de France de 2012 à 2017, avant d'être limogé avec le reste du staff.
    Yannick Bru a entraîné les avants du XV de France de 2012 à 2017, avant d'être limogé avec le reste du staff. Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Avant de devenir le manager de l'Aviron Bayonnais, Yannick Bru a passé dix ans à entraîner les avants du Stade toulousain puis de l'équipe de France. L'ancien talonnneur se confie sur son rapport à l'Afrique du Sud, son éviction des Bleus en 2017 et donne son avis sur le XV de France de Fabien Galthié.

Vous avez un rapport particulier avec l’Afrique du Sud. Vous êtes ami avec Eduard Coetzee, président des Sharks, à qui vous rendez souvent visite. Racontez-nous.

L’Afrique du Sud est un pays que j’aime beaucoup. Du point de vue de la beauté des paysages et de la diversité, c’est extraordinaire. C’est un pays de labeur, de travail. Là-bas, la vie est dure. Les Sharks sont très inspirés de la culture Zoulou. Ils s’appuient beaucoup sur la philosophie Ubuntu chère à Mandela. Il y a chez eux des mots, une vision, une atmosphère particulière et une identité très forte. Dans l’équipe, comme dans le pays, ils ont des ethnies différentes. Le contexte politique est compliqué, les contraintes sont drastiques par rapport au Black Empowerment*. Ils arrivent à vivre avec des règles admises par tous, où le respect du collectif est placé au-dessus de toutes les considérations individuelles. Ils ont des blancs, des métis. Il y a une entraide incroyable et pourtant, c’est sûrement le pays où, dans l’éducation des joueurs et dans leur passé, il y a eu une violence et des chocs culturels très forts. Rugbystiquement, l’économie y est difficile. Ils doivent trouver des idées pour se renouveler, se réinventer et, au final, ils sont champions du monde à la surprise générale. C’est une source d’inspiration forte. À chaque fois que je vais les voir, j’en reviens avec beaucoup d’idées !

Dans la formation, sont-ils en avance sur la France ?

Oui, parce que la préparation physique démarre très tôt. Les enfants d’Eduard Coetzee, qui ont moins de dix ans, se lèvent à 5 h 30 le matin. Ils ont ensuite du cardio, de la natation, de la lutte ou du rugby, avant l’école. La culture de la préparation, en Afrique du Sud, fait qu’à 15 ou 16 ans leur avance sur nous est incroyable. Ils ont des skills coachs qui interviennent dans toutes les catégories du club. Tout cela crée une dynamique d’ensemble qui est très forte.

Comment votre vision du rugby a-t-elle évolué sur ces dernières années ?

Je suis un pur produit du Stade Toulousain, marqué par sa philosophie. J’ai ensuite découvert le XV de France où nous avons pris beaucoup de coups. Objectivement, même si nous avons fait des erreurs, je pense que ce n’était pas la bonne période pour coacher les Bleus. J’ai beaucoup appris au contact de Philippe Saint-André. C’est une très belle personne et c’est un entraîneur marqué par la culture anglo-saxonne. Il m’a fait découvrir une approche de la préparation physique, de la planification et j’avais besoin de ça.

Quoi d’autre ?

J’ai été confronté à l’exigence internationale avec l’économie des autres nations du rugby, qui ont placé l’équipe nationale au centre de tout. Avec le XV de France, nous avions un déficit de compétitivité. J’ai été en plein milieu du changement de vision au sujet des avants du XV de France. Ça a été super dur. On est passé d’un pays ancré sur les phases statiques, qui avait la culture du combat, à un niveau international qui avait basculé dans un combat dynamique. J’ai été confronté au déficit de contribution au jeu du cinq de devant. J’ai souffert de ça, mais j’ai aussi beaucoup appris, ça m’a marqué. Ma vision a considérablement changé. J’ai pris ces expériences et elles font de moi un entraîneur différent et techniquement plus riche.

La blessure provoquée par votre éviction de l’équipe de France est-elle toujours là ?

Oui. Il y a eu des mensonges et de l’incorrection. Tout cela ne s’efface pas. Ça fait partie de mes expériences. Après, le destin juge tout le monde. Un jour ou l’autre, je pense que la destinée fera son affaire de tout ça. J’ai un ami qui fait un travail remarquable. Il s’appelle Nicolas Crubilé. C’est un grand handicapé du rugby. Il est d’une force incroyable, il est innovant, il a dépassé son handicap pour créer une structure d’entraînement et il coache à haut niveau. J’ai une admiration importante pour lui et il m’a dit, une fois, "plutôt que de chercher l’ennemi, cherche la leçon."

Du coup, quelle est la leçon ? Qu’avez-vous appris sur vous-même ?

(Il réfléchit longuement) J’ai appris que, dans la vie, il faut faire du mieux que l’on peut, parce qu’on est toujours à la merci d’une injustice, d’un rebond défavorable, d’une décision qui ne nous appartient pas. Pour dormir en paix ou se regarder dans une glace, il faut juste se demander : "est-ce que j’ai réellement fait du mieux que je pouvais ?" Quand ça nous dépasse, il ne faut pas se rendre malade. La performance sportive à haut niveau est tellement une affaire de détails, d’atmosphère, de psychologie de groupe, les équilibres sont tellement fragiles que, dès qu’il y a quelque chose qui vous échappe, on ne peut plus obtenir la performance. À l’avenir, j’essaierai d’être dans des environnements où j’ai la garantie que le couple politique-sportif est préservé et qu’on ne m’impose pas des choses qui seront désastreuses pour la performance.

À quoi pensez-vous, là ?

Ce qui est mis en place, aujourd’hui, c’est à quelques virgules près ce que demandait "PSA" en 2012. Il arrivait alors de ses expériences à Sale avec une vision du modèle anglo-saxon. La LNR lui a tiré dessus au lance-roquettes. Tous les présidents de clubs se sont ligués contre lui et ce sont les mêmes qui, aujourd’hui, accompagnent le projet XV de France de toute leur énergie. Quand je parle d’un environnement politique qui n’était pas adapté, c’est ça. Je le dis avec beaucoup de recul. La performance ne peut pas être au rendez-vous quand la psychologie des joueurs est marquée par cette dualité. Mais tout ça, c’est du passé. Aujourd’hui, je suis très heureux que la LNR et les présidents des clubs poussent à l’unisson pour les intérêts du XV. Il faut absolument continuer dans ce modèle-là.

Prenez-vous du plaisir à regarder le XV de France ?

Oui, j’en prends beaucoup à regarder les matchs, à voir les évolutions tactiques ou physiques des joueurs. Il y en a beaucoup que je connais très bien. Ça me fait plaisir de voir Charles Ollivon s’épanouir, Camille Chat évoluer. Guy Novès avait été le premier à mettre Romain Ntamack sur la liste élite. Tout le monde avait crié au scandale à l’époque. Peut-être que ça lui a servi… Antoine Dupont, Damian Penaud, Virimi Vakatawa, c’est un plaisir de les voir évoluer à ce niveau. Ils ont un potentiel aussi grand, si ce n’est meilleur, que celui de leurs adversaires de l’hémisphère Sud ou des nations britanniques.

Jefferson Poirot, que votre staff avait convoqué pour la première fois en 2016, comme Sébastien Vahaamahina, que vous aviez lancé chez les Bleus en 2012, ont récemment annoncé leur retraite internationale. Avez-vous été surpris ?

Oui. Jeff allait sur ses quatre plus belles années de rugby à son poste. Plus tôt dans l’entretien, j’ai parlé de la période de mutation du cinq de devant. Jeff Poirot, par rapport aux autres gauchers, c’était un mutant à l’époque ! Avec Philippe Saint-André ou Guy Novès, nous étions convaincus que c’était le prototype des piliers néo-zélandais. Oui, il avait des efforts à faire en mêlée fermée. Il en a fait. Oui, il est encore perfectible, mais à son poste, on apprend tous les jours. Je trouve ça dommage qu’il arrête parce que, dans la complémentarité avec Cyril Baille qui est plus accompli dans l’exercice de la mêlée fermée, le binôme était séduisant. Je pense qu’il reviendra sur sa décision. Vahaamahina ? Il a débuté en 2012, il avait 21 ans. Combien de fois, tous les observateurs nous ont dit, "pourquoi vous vous obstinez avec lui ?" Tout simplement parce que c’est un extraterrestre. C’est un deuxième ligne qui va aussi vite qu’un flanker. Il est très doué avec le ballon dans les mains, il excelle dans la zone de rucks. C’est une force de la nature et un gros pousseur en mêlée. Combien d’années lui a-t-il fallu pour prendre la mesure du niveau international ? Six ou sept ans et c’est normal. Avec "Séb", entre 2018 et 2019, on a vu un des meilleurs 5 du circuit international. J’ai trouvé dommage qu’il arrête. J’ai beaucoup échangé avec Franck Azéma sur la façon de gérer Vahaamahina. Il fait partie des mecs qu’on ne peut pas manager qu’avec de l’exigence. Il fonctionne au plaisir, à l’affect et j’ai beaucoup appris. J’espère qu’il reviendra aussi sur sa décision.

Pour les joueurs, la sélection est-elle trop prenante ?

Le rugby est un sport de vitesse, de fraîcheur et d’explosivité. C’est très dur pour les joueurs de garder cette fraîcheur pour les rendez-vous internationaux, par rapport à la superposition des compétitions. Les réformes éventuelles des calendriers internationaux seront une bonne chose pour la compétitivité de l’équipe nationale. Après, si on se place du côté des clubs qui nourrissent l’économie du Top 14, ça va générer d’autres soucis. Je connais les besoins du XV de France. Je connais les envies de la Fédération actuelle. Je sais les combats que ça peut générer avec la LNR. Pour l’avoir vécu, il n’y a rien de pire, pour la compétitivité de l’équipe nationale, qu’une guerre officielle ou officieuse déclarée entre les deux institutions. Donc je ne veux surtout pas rentrer dans ce débat-là, parce qu’il est difficile.

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