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Les personnages du rugby français : Mesnel tient son Eden

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    Les personnages du rugby français : Mesnel tient son Eden Midi Olympique
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Franck Mesnel a marqué l'histoire du rugby français. D'abord, par ses 56 sélections en équipe de France et ses trois Coupes du monde. Ensuite, par sa reconversion élégante et remarquable. Eden Park, c'est lui. Une idée un peu folle née en 1988 des facéties de la bande du "Show-Bizz". Portrait d'un "quinqua" bien dans ses pompes et dans son business à qui la crise économique qui s'annonce ne fait pas peur. 

C’est l’histoire d’un petit nœud papillon rose. Un accessoire d’élégance en forme de facétie devenue le symbole d’une des plus belles réussites de mode à la française. Souvenez-vous. Nous sommes en 1987, le Racing Club de France (aujourd'hui Racing 92) est en finale du championnat de France de rugby face à Toulon. Mesnel, Lafond, Blanc, Martinez, Cabannes and co pénètrent sur la pelouse du Parc des Princes le torse droit, la tête levée. Le Racing s’incline (12 -15), mais l’histoire ne retient que ce morceau de textile qui orne le cou des joueurs parisiens. La presse s'empare alors de ces impertinents qui osent bousculer les codes du rugby.

Cette année-là, Franck Mesnel est sélectionné pour la première fois en équipe de France. Six mois plus tard, il s’envole pour la Nouvelle-Zélande disputer la première coupe du monde. Les Bleus de Jacques Fouroux parviennent en finale où il affronte les légendaires All Blacks dans l’antre du rugby, l’Eden Park d’Auckland. De retour en France, le demi d’ouverture est interpellé par l’impact médiatique du nœud papillon rose porté six mois plus tôt. A l’époque, le rugby n'est pas encore un sport professionnel. Mesnel gagne sa vie en s'initiant à la pub et au marketing chez Euro RSCG. Le coup du nœud papillon lui fait prendre conscience qu'il a « de l'or entre les mains ». Et avec quelques-uns de ses coéquipiers embarqués dans l’aventure, ceux du « show-biz » comme les appelle alors les avants du club, il saisit l’opportunité. « Eden-Park » est née.

De la bande, il n'était pas le plus décalé. En apparence, tout du moins. « Et ça, je le dois à mon petit côté bourgeois et à mon éducation judéo-chrétienne, confesse-t-il, cloîtré dans son antre familial en plein cœur de la Drôme pour cause de Coronavirus. Mais quand même, j'ai passé six ans en « Archi » avec les dingues. Durant tout ce temps, on n’a pas arrêté de me mettre des normes à respecter, des règles, des process ». Des notions qui échappent totalement à la folie douce de Jean-Baptiste Lafond ou encore Eric Blanc. « Bouboule », comme il est surnommé à son arrivée au Racing, n'hésite pourtant pas à se jeter dans la Seine ou à dévaler « façon cascadeur » des escaliers devant Belmondo croisé à la volée. Mais il le reconnaît, « Jean-Ba » et Eric était dans une autre dimension. » Et de développer : « Robert Paparemborde disait : je ne vais pas demander aux deux dingues de rentrer dans la norme, mais je vais demander au treize autres de s'adapter à la folie de Jean-Ba et Eric. »

L’histoire n'aurait pourtant pas dû s'écrire ainsi. Flash-back. En 1985, alors qu'il est en passe de boucler sept années d’études d'architecture à l’École des Beaux-Arts de Paris, Le trois-quart centre de Saint-Germain-en-Laye plaque tout pour rejoindre le Racing Club de France en première division. « J’ai peut-être fait une connerie, sourit-il encore aujourd’hui, Il ne me manquait qu’une seule UV de géométrie descriptive pour obtenir mon diplôme d’architecte. Mais j’ai eu cette opportunité de partir jouer au Racing... » Et d’ajouter après un long soupir : « De toute façon, du dessin, j’en fait dans mon boulot. »

Eden-park, justement parlons-en. A ses début, la marque se veut « casual » haut de gamme empreinte des valeurs de l’ovalie. Naturellement, la première collection se matérialise par des maillots de rugby plus ou moins bariolés. Parfois élégants, souvent décalés. A l’image de ceux qui font la marque. Elle se développe, se conjugue au féminin. Les boutiques fleurissent ici et ailleurs. Le petit nœud papillon rose se hisse à la hauteur de marques prestigieuses. S’affiche à leurs côtés dans les grands magasins. De Paris à Hong-Kong, de Dubaï à Genève, en passant par Clermont-Ferrand. Tout n’est pourtant pas toujours si… rose. Rien ne se fait sans heurt. De coups de gueule en coup de calgon, « Eden-Park » connaît des crises de croissance. « Heureusement que j’ai perdu des matchs dans ma carrière, heureusement que j’ai reçu des gifles, heureusement que j’ai connu des blessures, souffle Mesnel. Sans parler de chose très grave au regard de la situation actuelle, mais les aléas du rugby m’ont permis d’apprendre à gérer la défaite. » Chez ce quinqua à l’élégance naturelle, au corps encore solide et affûté, la métaphore sportive n’est jamais loin. Il enchaîne : « Cette capacité à rebondir, même avec un ballon qui ne tourne pas rond, m’est précieuse aujourd’hui. Beaucoup ont voulu me donner des leçons sur la façon de gérer une entreprise, me disant qu’on ne gérait pas des salariés comme une équipe de rugby. Je suis convaincu du contraire. En terme de management, c’est exactement la même chose. Ce sont les mêmes métaphores. Et c’est ce que j’essaie de véhiculer dans notre entreprise. Ce n’est pas parce que les gens de la compta sont un peu plus discret qu’ils ne sont pas des piliers redoutables. Ce n’est pas parce qu’à la com ou au marketing on agite les bras comme des moulins à vent parfois qu’il ne faut pas manquer d’humilité. Sur un terrain, nous avons trop besoin des uns et des autres pour ne pas se respecter. Ça doit être pareil en entreprise. »

Il y a un an et demi, Franck Mesnel a eu peur. Très peur. Celui qui avoue ne pas avoir « le talent d’être un entrepreneur gestionnaire » a bien cru qu’il allait mettre la clé sous la porte. « On revient d’une période difficile où nous étions menés de 30 points à la mi-temps, image-t-il encore. Pour des raisons d’organisation interne, nous avons effectué un changement dans nos outils informatiques, mais l’opération a entraîné un débordement de budget et dans le temps. Et une de nos banques nous a lâché. » Scénario catastrophe. Là encore, ses 56 sélections en bleu ont été un moteur dans la tempête. Mesnel a relevé le col comme aux plus belles heures et avec ses équipes a rendu une belle copie fin 2019. « Avec les félicitations du jury, composé par les banques » dixit celui qui a participé aux trois premières Coupe du monde de l’histoire du rugby.

Pour ça, Eden Park a opéré un tournant. Radical. Exit l'acajou et le fauteuil club en cuir « so british ». Terminé le côté néo-classique poussiéreux des marques des années 80. « « Nous étions dans une proposition baignée par la culture anglo-saxonne, reconnaît Mesnel. Depuis bientôt trois ans, nous développons un autre ton. Nous revendiquons le "french flair", cette part d'improvisation et d'impertinence qu'il peut y avoir dans le jeu mais aussi le caractère français. Auparavant, nous ne mettions pas forcément en avant cet aspect. A présent, notre nœud papillon peut-être bleu, blanc, rouge ». Un petit drapeau qui a traversé l'Atlantique il y a peu. Mesnel n'en est pas peu fier. « Nous avons ouvert cette semaine notre site de e-commerce aux Etats-Unis. Et tu penses bien qu'il est préférable d'y aller avec notre style de « frenchies », quitte à être taxé d’arrogant, plutôt qu’en étant un ersatz de ce qui s'est fait de mieux depuis 20 ans en matière de marketing par Ralph Lauren. On y va donc avec notre French flair, notre décalage, avec une histoire pour légitimer tout ça. » Et Mesnel n’a peur ni du Coronavirus, ni du « French-bashing » opéré par le président Trump, mué depuis peu en médecin- épidémiologiste.

De la vision, il avoue ne pas toujours en avoir eu avec le numéro dix dans le dos. Il assure en avoir acquis en plus de trente années de management. La crise économique à venir, il est convaincu que sa marque la franchira. « Malheureusement, par gros temps, il y a des bateaux qui cassent et d'autres qui passent, philosophe-t-il. Heureusement, nous étions en pleine forme à la fin de l'année 2019. La marque a cette capacité à durer. Elle n’est pas un phénomène de mode quand bien même elle essaie d'être dans l'air du temps. » Un exemple ? Le directeur artistique de la marque n'est autre que Vincent Nadal, fils de Patrick ayant fait les belles heures Stade montois de la grande époque. Son job ? Se balader dans le monde, humer les tendances et les marier à l'ADN du petit nœud pap. Pendant ce temps-là, dans un coin de sa tête, Mesnel se projette déjà sur 2023. « Une coupe du monde en France, c'est capital ». A l’instar du sélectionneur Fabien Galthié, il tient sa flèche du temps. « Pour la première fois, je me suis dit : « ça va le faire ». J’ai vraiment pris plaisir à voir cette équipe durant le tournoi des 6 Nations. Et je ne parle pas en tant que partenaire (ndlr : Eden Park est l’habilleur officiel de la FFR depuis 1999), c'est le passionné candide qui parle. Ces gamins, ce sont des montagnes de puissance, de technique, de précision. Ces mômes, je le dis affectueusement ont une maturité incroyable pour leur âge. Je vois du Carter par exemple chez Romain Ntamack. » Dans les propos de Mesnel, de la fierté. Dans sa voix, de l'amour. Il évoque la « bleusaille » comme il parle de ses 200 salariés. Avec empathie et bienveillance. « Quand t’es un jeune retraité, il y a toujours au fond de toi une sorte d'aigreur débile de ne jamais avoir été champion du monde, rétorque-il. Et tu n’a pas envie que la génération suivante le soit à ta place. Mais aujourd'hui, je suis beaucoup plus vieux, beaucoup moins con et j'ai très envie qu'on gagne de cette coupe du monde. » Pour que son Eden soit encore plus beau.

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